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Pourquoi faut-il lire ce livre aujourd’hui ? Parce que l’accélération de la société a un impact majeur sur l’école et sur les attentes et les apprentissages qui se font, sur les rencontres entre maitre-élève et les apprentissages, ces derniers faits dans la rapidité et la superficialité – toujours « trop vite » pour se comprendre réellement réciproquement et développer une relation authentique avec les savoirs scolaires et également entre enseignants et étudiants. Là, dans le dispositif de parole mis en place et explicité par l’auteure « c’est le temps pour surseoir » selon Philippe Meirieu.

Parce que ce livre s’intéresse à la parole des enfants, a fortiori à la parole des adolescents, à ce qu’ils pensent de l’école, de ce qu’ils comprennent de son rôle et surtout de ce que l’école a comme mission à leurs yeux. Et que cette parole des jeunes devrait fortement intéresser ceux qui travaillent au quotidien avec eux, à savoir les enseignants. Malgré une littérature importante en recherche de l’éducation anglosaxone sur la sociologie de l’enfance et la jeunesse, s’intéresser à la parole des élèves est une préoccupation bien plus rare dans le monde francophone. Parce que les enfants et les adolescents, nos élèves sont peut-être les moins entendus sur ce qu’ils ont à dire sur leur vie, sur leur vie d’étudiant, sur leur (im)prises avec les apprentissages scolaires.

Parce que la démarche que l’auteure a adoptée est de décrire cette entreprise audacieuse de demander la parole des enfants et de construire un dispositif d’écoute suffisamment flexible pour que cette parole advienne. L’auteure et ses collègues ont donc mis en place un dispositif de parole à distance de la course effrénée à la réussite et au rendement. Il s’agit d’un tiers-lieu, qui n’est ni la famille, ni l’école mais un espace intermédiaire qui justement ouvre à une parole possible des élèves et donne accès aux savoirs. Ce tiers-lieu est tenu par des enseignants et intégré à l’institution. Le seul rendement intelligent ici est de se retrouver entre adulte en devenir et adulte référent (enseignant) pour se parler, pour s’écouter dans un respect mutuel et se comprendre, peut-être bien mieux saisir le malentendu scolaire autour de ce que fait l’école et doit être l’école. Pour chacun des protagonistes de la relation pédagogique, il s’agit alors de mieux comprendre la relation que le jeune construit face une discipline ou face au travail scolaire ; de mieux saisir les préoccupations concernant le sens, les enjeux des apprentissages et la nécessité de l’école ; ils peuvent prendre conscience et poser des mots sur les difficultés, les obstacles et leur incompréhension concernant le système éducatif.

Parce que l’auteure nous rappelle l’importance de ces lieux d’accompagnement intermédiaires, qui sont des lieux de « réparation de l’expérience scolaire » – déjà préalablement analysés par Dominique Glasman. Car à l’école le déficit relationnel ne finit pas de montrer tant de malentendus entre élèves et enseignants, entre élèves et l’école en général. Cette expérience montre qu’il y a des bénéfices à cette parole : que les jeunes reviennent, se réconcilient petit à petit avec l’école, qu’ils se remettent à travailler, qu’ils dépassent mieux l’adversité, qu’ils affrontent et persévèrent dans les difficultés qu’ils rencontrent. Et cela parce que les enseignants les considèrent comme de réels sujets dignes d’être entendus, d’apprendre et des adultes en devenir. Parce que les jeunes veulent aborder en toute confiance les enseignants, sans avoir peur d’eux, et surtout peur des représailles classiques de la note scolaire.

Parce que l’auteure nous donne accès à des paroles de jeunes, issues de ces entretiens d’accompagnement, des paroles complètement en lien avec la construction des savoirs, du sens du savoir et des disciplines scolaires et de leurs obstacles, leur processus et évolution dans ces apprentissages. Ces espaces-temps intermédiaires qui sont nécessaires pour intégrer, situer les savoirs tels qu’ils sont transposés et apprendre et comme le dit Annick Delachanal Perriollat sont indispensables pour accéder aux savoirs.

Parce que l’auteure nous donne une trame de travail pour l’enseignant en tant qu’accompagnateur : qui est celui qui doit abandonner ses projections, qui n’établit pas les difficultés à l’avance et tout le système d’aide, qui n’est pas l’initiateur mais plutôt celui qui aménage un temps pour l’élève. C’est l’élève qui en prend l’initiative et du coup la relation maître-élève redéfinit ses contours canoniques.

Parce que « l’entretien d’apprentissage » ainsi renommé à la fin de l’ouvrage ne devrait pas se trouver aux marges de l’école. Car il est indispensable au cœur des apprentissages. Faudrait-il alors passer d’un lieu confidentiel à un lieu institué pour accéder à cette parole ?

Et parce que « la classe à deux voix » se révèle comme une condition pour apprendre autant que pour enseigner.

Andreea Capitanescu Benetti

membre de LIFE, Université de Genève

Delachanal Perriollat, A. (2015). Un temps pour apprendre. Quand la parole ouvre l’accès au savoir. Issy-les-Moulineaux : ESF.