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Qu’est-ce qu’une visite enrichie ? Comment impliquer les élèves dans la valorisation du patrimoine local ? Eric Hitier, professeur des écoles à Druye (37) propose à ses élèves du CE2 au CM2 de construire des ressources en réalité augmentée pour les visiteurs du château d’Azay-Le-Rideau. Présenté à la ministre de l’Education nationale au forum des enseignants innovants, le projet #AzayAugmenté ouvre un nouveau champ de possibles pour les écoliers. Découvrez cette idée né d’un constat : « le lien entre les éléments du patrimoine et l’école est fort » Entretien avec Eric Hitier qui rend ses élèves producteurs de contenus.

Comment est né votre projet #AzayAugmenté ?

Le projet #AzayAugmenté est un projet pluri-disciplinaire qui a pour but de construire des ressources tels des vidéos, photographies, fichiers sonorisés, cartes mentales interactives. Ces ressources viennent en complément pour un certain nombre d’œuvres du château et de les proposer au visiteur sous forme de Réalité Augmentée (QRCodes, Bleam ou Auras) qui seront apposés sur le livret de visite.

A l’origine, le projet est né d’un constat : le lien entre les éléments du patrimoine et l’école est fort, qui plus est lorsqu’un site classé aux monuments historiques se trouve dans un rayon proche d’une école. Mais ce lien ne peut se faire qu’avec la mise en place de pratiques concrètes et de situations immersives dans ces univers culturels. Il s’agit, finalement, de créer des situations d’appropriations des lieux culturels et des lieux du patrimoine commun chez les élèves par la production pour ces lieux. Ceci est d’autant plus important dès lors que ces éléments du patrimoine sont des monuments historiques, des châteaux figurant parmi les plus visités de France et, de surcroît, proches de chez eux.

L’une des autres raisons de ce projet a été une interrogation sur la mesure de la qualité de la réception des œuvres d’arts et des éléments constitutifs de ces châteaux auprès du public en me demandant combien de temps pouvaient rester des visiteurs et quel serait le moyen de rendre les « traditionnelles » visites plus ludiques, plus innovantes, plus longues, afin de plonger le visiteur dans des mondes virtuels, plus réalistes et de faire basculer la simple visite en une visite enrichie. Une visite immersive, au milieu des œuvres, au milieu de contenus interactifs, transmédias. La réalité augmentée ouvre alors un nouveau champ de possibles pour le visiteur, qui, en plus de trouver l’œuvre « matérielle » va se voir offrir une augmentation de cet objet par des passerelles numériques. Ce projet, qui s’appuie sur l’expérience réalisée au château de Selles-sur-Cher (41) ajoute une touche ludique à la visite et permet aux visiteurs de devenir actifs, acteurs, d’une part, mais également de bénéficier d’une autre ressource, d’une autre vision, d’un autre point de vue et d’une appropriation par l’intermédiaire d’une « entrée numérique» dans l’œuvre : une double niveau de lecture et une double entrée dans l’œuvre. Cette expérience est la première de ce genre en France, puisqu’elle aura été réalisée par une classe de cycle 3, en partenariat avec un monument historique.

Une visite enrichie accorde une place importante à la question de la réception de l’art dans son sens le plus large. Les objectifs sont multiples. Premièrement, il s’agit pour les enfants de conquérir un lieu historique, un espace local, de proximité (l’école est située à 7 km du château) et de se l’approprier par l’approche documentaire et l’aspect « recherche » des œuvres qui y figurent. Cette dimension d’appropriation par la construction de ressources constitue un point d’ancrage, dans une vision plus large, à la domination des œuvres historiques par le jeune public. Savoir lire, savoir décrire des œuvres, être capable de cerner le genre et les périodes historiques prévalent des compétences attendues chez les élèves. C’est, d’une certaine façon, faire d’eux des spectateurs et des critiques d’œuvres habiles, capables d’approcher tout document iconographique avec une dimension critique, entendue ici dans son sens le plus noble. Nous nous situons donc dans une approche clairement à dimension sociologique, où ce travail de construction et d’élaboration des ressources doit créer « l’adulte », le « spectateur », l’ « historien » de demain.

Deuxièmement, il s’agit de consolider les compétences de production d’écrits (en tout genre) et celles de la maîtrise de la langue française (qu’elle soit orale et écrite) et celles, enfin, de la culture humaniste (histoire, histoire de l’art). Ces compétences, travaillées sous un angle et dans un espace différents peuvent permettre à certains élèves de dépasser des difficultés qu’ils pourraient rencontrer sur des formats et des supports plus standardisés. Autrement dit, l’implication de l’élève et son travail des œuvres peuvent ancrer les apprentissages et compétences attendues en fin de cycle 3.

Troisièmement, ce projet apporte une réflexion sur la notion de réception de l’œuvre historique et de ses différents niveaux de lectures. Comment les œuvres historiques du patrimoine français sont-elles reçues chez le visiteur ? Comment celui-ci s’en imprègne-t-il ? Quels schèmes méta discursifs sont mobilisés chez le visiteur pour lui permettre d’entrer dans une démarche globale de réflexion et de construction des faits historiques ? Offrir des ressources multiples peut-il contribuer à une lecture fine des évènements, des personnages, des lieux historiques ? Quels sont les véritables apports des ressources enrichies et comment le visiteur se les approprie-t-il ? Possède-t-il, également, les codes structurels lui permettant l’accès à cette dimension d’enrichissement ? C’est à ces trois objectifs que le projet a tenté de résoudre et de mettre en avant. En résumé, construire une visite enrichie apporte un questionnement réflexif sur sa participation à l’art en tant que consommateur. Le travail des élèves a contribué, ainsi, à offrir au visiteur un double niveau de lecture de l’œuvre d’art protéiforme.

Comment rendez-vous les élèves producteurs de contenus ? Quel est alors le rôle de l’enseignant ?

Lors de la première étape j’ai présenté le projet à mes élèves. Ces derniers (constitués en groupes de 4 élèves) ont effectué une première visite (visite découverte ou « d’imprégnation ») du château et y ont découvert les œuvres dans leur contexte d’exposition (lieu, emplacement dans l’espace, taille, forme, odeur-s, etc.). et ont rédigé un compte-rendu de visite en fonction des recherches sur l’élément qu’ils avaient choisi d’étudier ou en fonction des besoins des différentes parties (tableaux, objets, monuments, détail, …). En classe, les documents de visite sont repris pour chaque groupe et retravaillés, mis en commun, en fonction de la prise de notes de chaque élément du groupe. Ils rédigent ensuite un texte présentant un point de vue original (sous forme de description) de l’œuvre ou sur un détail de cette dernière (détail qu’ils jugent important de relever et de pouvoir enrichir grâce à d’autres ressources ou éléments historiques). Ils pourront, à ce titre, aller au-delà de l’objet en expliquant la source, l’histoire, en jugeant de sa qualité esthétique et en donnant le maximum d’informations supplémentaires qu’ils jugeront nécessaires et utiles pour une visite enrichie.

Chaque groupe partage sa vidéo et/ou toute autre production multimédia avec le service éducatif et le service des publics du château pour une dernière relecture. Les élèves communiquent par courriels, par Twitter, ou tout autre moyen de communication avec les personnes ressources (ciblées par le service des publics) afin d’avancer dans la construction de leurs productions (et que celles-ci soient exactes sur le plan historique, artistique, etc.). Ensuite, chaque groupe réalise une ressource multimédia (capsule vidéo ne devant pas dépasser 3 minutes, carte mentale interactive, photo augmentée, vidéo en réalité augmentée, photo, etc.). Après une dernière correction (sous forme d’aller-retour entre les élèves et les personnes ressources), les élèves publient leurs contributions sur les plateformes spécifiques à chaque format de travail (pour les vidéos sur Viméo, pour les photos sur Instagram, etc.). Une fois toutes les vidéos et tous les « QRCodes » et « Bleam » réalisés, des affichettes ont été réalisées (imprimées et plastifiées) et apposées sur les plaquettes visiteurs du château d’Azay-le-Rideau.

Le dernier temps fort de ce projet a été la mise en exergue de ce projet, grâce à la diffusion d’une émission de Radio, en direct et en ligne. Cette Webradio a été préparée avec toutes les parties (Ecole, Services des publics et éducatif du château, Rectorat, DSDEN 37, IEN de la circonscription, Drac, Office du tourisme, ville d’Azay-le-Rideau, etc.) pour une présentation en public, dans une des parties du château (la Grande Salle). La promotion de ce projet a pour objectif de valoriser la démarche des élèves, leur implication mais aussi d’inciter le public à la découverte des nombreux éléments innovants. Les élèves ont donc construit l’ensemble de ce projet des ressources jusqu’à la diffusion et la promotion.

Pour la construction des productions, les élèves ont été assistés par des personnes ressources et par l’enseignant, qui les a guidé dans leurs recherches documentaires (historiques, esthétiques, sociales) avant de les orienter vers la production technique (quel média et support serait le plus approprié pour valoriser la trace écrite ?). En ce qui concerne plus spécifiquement l’aspect technique de ce projet, les productions ont été réalisées dans la classe, certaines sur fond vert (besoin de certains groupes d’incruster une image et/ou une vidéo dans une autre vidéo), certaines avec des applications spécifiques de traitement de l’image et/ou du son. De façon globale, les élèves ont fait preuve de beaucoup d’audace et de stratégies expertes pour élaborer et finaliser leurs ressources.

En quoi votre projet est-il facilement transposable et adaptable ?

Le projet est transposable car il ne nécessite véritablement aucune technicité particulière hormis la manipulation d’applications sur tablette mais parfois, avec leur propre expérience, les élèves ont un temps d’avance sur celui de l’enseignant : j’ai beaucoup appris en les voyant faire. Il l’est de part sa facilité de mise en œuvre, dans les conditions qui ont été mises en place sur #AzayAugmenté en trouvant finalement un établissement culturel et/ou historique qui serait intéressé pour l’intégration de tels supports sur son site.

Il est également adaptable en fonction du niveau des élèves. On peut très bien imaginer des lycéens conduisant une visite virtuelle d’une ville ou d’un musée par exemple, mais en y intégrant des savoirs plus enrichis et plus aboutis que ceux construits par des élèves de cycle 3. Un travail sur la mémoire par exemple serait judicieux pour des lycéens, en, lien avec le concours sur la déportation …

Avec quelles institutions et quels organismes avez-vous travaillé ? Pour quels apports ?

Ce projet a été mené en collaboration avec le château d’Azay-Le-Rideau et plus particulièrement la direction du service des publics du château. Une convention a d’ailleurs été signée entre l’école et celle-ci, afin de formaliser le projet, de le rendre pérenne et de faciliter l’accès au site par les élèves, en attribuant la gratuité d’entrée. Le CMN (Centre des Monuments Nationaux (auquel le château est rattaché) a été aussi l’un des partenaires dans la mesure où les décisions du château venaient, pour certaines, du siège du CMN. Il s’est aussi chargé, dans une autre mesure, de donner de la visibilité au projet. De plus, celui-ci lui a permis d’instaurer et d’impulser une dynamique d’ouverture du numérique dans ces établissements. La cellule Cardie OT a permis aussi de valoriser le projet (à l’étape de construction) pendant l’année en participant au Cardie Tour au cours duquel j’ai pu échanger et rencontrer des enseignants du premier et du second degré autour de ce projet. Enfin, les derniers partenaires ont été le CLEMI et le CANOPE 37. Leur aide a été précieuse pour la préparation et la mise en place technique et pédagogique de la WebRadio, diffusée le 27 mai 2016.

Des écueils à éviter pour un enseignant qui souhaite mener un tel projet ?

Je ne sais pas si je peux parler d’écueil mais plutôt de conseils. En premier lieu, il s’agirait de dire que la préparation d’un tel projet doit se faire en toute simplicité, avec les moyens techniques que l’on dispose et les soutiens que l’on peut avoir tout au long du projet : ne jamais se fixer d’objectifs inatteignables, cela engendre de la frustration. Prévoir donc quelque chose de simple en premier lieu, et complexifier le projet (en termes techniques) si cela s’avère concluant.

Ensuite, le second conseil que je pourrais donner est de garder en tête les apprentissages des élèves au travers d’un projet comme celui-ci. Le numérique et le côté technique qui s’y raccrochent ne sont que les artifices qui feront du projet ce qu’il est en version « finale » : le visible. Ne perdons pas de vue « l’invisible » : les acquis et les savoirs des élèves, ce qu’ils vont apprendre et construire comme compétences et comme capacités. Attention au projet « hyper-numérique » qui n’aurait aucun sens global pour eux. Il s’agit donc d’un savoureux mélange et d’un fin équilibre entre pédagogie et numérique. En ce qui concerne le projet #AzayAugmenté, par exemple, l’apport du numérique a constitué une part infime du projet final : environ 10% en terme de temps. Le reste a été apprentissage (écrits oraux et enregistrements de textes, élaboration de traces écrites et de comtes rendus, …). Les 10% du numérique ont été dévolus à la réalisation des ressources et des supports visuels. Le dernier conseil que je pourrais donner est de véritablement laisser les élèves eux-mêmes producteurs de leurs contenus. C’est ce qui fait la force de ce genre d’expérience scolaire. Tout a été fait par eux, ou lorsque cela devenait trop technique, cela a été fait avec eux. Tout a été, dès le départ, très clair et visible par les élèves. Finalement ne pas rendre opaque une étape du projet, sans quoi la compréhension et l’implication des élèves en seraient touchées.

Quel bilan tirez-vous de votre participation au forum des enseignants innovants ?

Pour une première participation, je pense qu’elle fut réussie et pleine d’émotions. Les rencontres et les échanges que l’on peut avoir avec des collègues qui partagent la même idée de l’école et de l’innovation est quelque chose de fort, de puissant. Cela permet aussi de se dire que ce que l’on fait est finalement aussi une reconnaissance par les pairs : plutôt positif. Le forum contribue à faire émerger une certaine réflexion sur des parcours, des pédagogies et des expériences de classe qui peuvent aussi nous sensibiliser. On donne beaucoup, on reçoit énormément. Enfin, pour une première, je pense aussi que j’ai eu ce à quoi je ne m’attendais pas en arrivant à ce forum. Pourvoir présenter le projet #AzayAugmenté à Madame le Ministre fut une chose intensément forte et un privilège absolu. La première pensée a été pour mes élèves qui auraient été fiers de se trouver à côté de moi à ce moment-là.

Entretien par Julien Cabioch

Dossier : 9ème Forum des enseignants innovants