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Fleuron de la refondation, faisant l’unanimité du ministère aux syndicats, le dispositif « Plus de maitres que de classes » (Pdm) doit permettre à l’école française de relever son niveau et de réduire ses inégalité. N Vallaud Belkacem a présenté le 10 janvier un nouveau rapport d’étape qui fait le bilan de 3 années de déploiement dans les écoles primaires. S’il monte en puissance et s’il sera élargi à la rentrée 2017 à toutes les écoles de l’éducation prioritaire avec 5 161 emplois de « maître + », le dispositif Pdm n’a pas encore fait ses preuves. Les progrès constatés semblent fragiles. La mise en place rapide a ses lacunes. 2017 devrait être une année de vérité pour un dispositif qui compte aussi des ennemis politiques.

Un pilier de la refondation

Pilier d’une refondation qui pointe l’urgence d’un effort pédagogique dans l’enseignement primaire, le dispositif Plus de maîtres que de classes (Pdm) veut, selon la circulaire de 2012 qui l’a créé, « mieux répondre aux difficultés rencontrées par les élèves et de les aider à effectuer leurs apprentissages fondamentaux, indispensables à une scolarité réussie… Il s’agit de prévenir la difficulté scolaire, tout au long de la scolarité primaire, et d’y remédier si elle n’a pu être évitée. L’action sera prioritairement centrée sur l’acquisition des instruments fondamentaux de la connaissance (expression orale et écrite, mathématiques) et de la méthodologie du travail scolaire ». La circulaire cadrait d’ailleurs le déploiement des 7000 postes prévus par la loi d’orientation en évoquant un « projet rédigé par l’équipe pédagogique sous l’autorité du directeur d’école est validé par l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) chargé de la circonscription ». Pour le ministère, le dispositif « doit permettre la mise en place de nouvelles organisations pédagogiques, en priorité au sein même de la classe ».

En juillet 2014, l’Inspection générale publiait un rapport assez sévère sur le PDM. Les inspecteurs notaient que  » la co-intervention ne va pas de soi et, quand elle est efficace, elle est le produit d’une réflexion partagée en amont (vision claire des objectifs à atteindre, connaissance des besoins des élèves), d’un ajustement réciproque des conduites au cours de la séance, de la recherche d’une optimisation du temps d’enseignement pour chacun des élèves ». Et ils préconisaient un encadrement beaucoup plus strict du dispositif.

C’est que les attentes sont très fortes pour ce dispositif. En juin 2015, Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires, parlait de « la réforme cachée de l’éducation nationale ». Subrepticement, presque en douce, le dispositif « fait bouger les lignes sans provoquer de raidissement ». D’où le grand intéret porté par les syndicats et les acteurs de l’Ecole pour un dispositif qui, pour une fois, fait l’unanimité. Le comité de suivi, présidé par la rectrice de Clermont Ferrand, Marie Danièle Campion, peut ainsi regrouper les principaux syndicats du primaire avec la Dgesco, l’Inspection et la Depp.

Depuis 2013, le ministère a régulièrement augmenté le nombre de postes investis dans le dispositif. En 2014, on comptait 1849 emplois de maitre surnuméraire (maitre +), 2352 en 2015, 3196 à la rentrée 2016. Le 10 janvier la ministre a annoncé au moins 5 161 postes pour la rentrée 2017. Il est maintenant clair que les 7 000 postes promis ne seront pas atteints à la fin du quinquennat. Et on verra que cela reflète aussi les difficultés liées au déploiement des maitres +.

Quels dispositifs pour aider les élèves au primaire ?

Dans un article publié en 2013 dans le Café pédagogique, Bruno Suchaut, à l’époque directeur de l’IREDU, faisait le point sur les dispositifs du même ordre expérimentés en France et à l’étranger.

En France on compte deux précédents : l’expérimentation de la réduction des effectifs en CP et une expérience départementale de maitres surnuméraires.  » En 2002, des moyens supplémentaires ont servi à réduire les tailles de classe dans les CP dans le cadre d’une expérimentation. Les résultats peu encourageants publiés par la D.E.P.P. en 2005 ont été réexaminés plus récemment par Pascal Bressoux et Laurent Lima… Les nouvelles analyses produisent des résultats bien différents puisqu’ils font apparaître un effet positif et marqué de la réduction de la taille de la classe sur les progressions des élèves. En ce qui concerne les enseignants surnuméraires, on ne dispose en France que d’une seule évaluation d’un dispositif s’adressant aux élèves du cycle III en grande difficulté. Mis en place dans de département de l’Aube dans les années 2000, ce dispositif nommé ARTE (Aide à la Réussite de Tous les Elèves) a été évalué par l’IREDU (Piquée, Suchaut). Les résultats ne sont pas favorables au dispositif puisque les élèves bénéficiaires n’ont pas progressé davantage que ceux qui fréquentaient des classes témoins », expliquait-il.

D’autres expérimentations ont eu lieu aux Etats-Unis et en Grande Bretagne.  » Des expériences étrangères faisant intervenir des assistants d’éducation avec les enseignants dans les classes (projet S.T.A.R. aux USA, projet D.I.S.S. en Angleterre) ont été évaluées scientifiquement avec un protocole exemplaire. Les résultats sur les progrès des élèves sont très décevants et interrogent sur les modalités de la co-intervention pédagogique et son efficacité. Un risque réel est que les enseignants responsables de la classe accordent moins d’attention aux élèves en difficulté, laissant ainsi à l’autre adulte la responsabilité de leur prise en charge », expliquait B Suchaut. A noter que le comité de suivi en 2015 a déjà préconisé qu’aucun groupe d’élèves ne soit sorti de la classe pour suivre le maitre +.

Une évaluation du dispositif Pdm par la Depp (division des études du ministère) est en cours. Mais on ne connaitra pas ses premiers résultats avant fin 2017.

L’évaluation du dispositif par le comité de suivi

« Les élèves gagnent en confiance et grâce aux interactions plus fréquentes avec les enseignants peuvent mobiliser des compétences métacognitives indispensables à la régulation de leurs situations d’apprentissage », écrit le comité de suivi. « Ce dispositif dans a double dimension de prévention et d’aide aux élèves contribue à la réduction des inégalités, à l’amélioration du climat scolaire et à la réussite de tous. Il concourt également à l’évolution des pratiques enseignantes, change la forme scolaire , favorise l’interprofessionnalité, renforce la dynamique collective de l’école. Il implique un pilotage partagé au plus près des besoins ».

Mais cet avis repose plus sur des sentiments que sur des évaluations sérieuses des effets du dispositif Pdm. Le comité serait bien en peine de justifier de façon scientifique cet avis.

On remarquera d’ailleurs que le comité charge la barque du dispositif. Le « plus de maitre que de classes » doit à la fois résoudre les problèmes du travail d’équipe et du pilotage et remédier aux difficultés des élèves. Une vraie baguette magique !

Ce que montre réellement le rapport

Pourtant le rapport ne cache pas de sérieux points d’inquiétude. D’abord sur le recrutement des maitres surnuméraires. Ces experts en pédagogie sont en fait recrutés selon des procédés très variables selon les départements mais qui n’épargnent pas des néo titulaires (c’est à dire des professeurs débutants) bombardés maitres +, par exemple en Loire Atlantique. « Dans la grande majorité de scas il existe une formation assurée le plus souvent par les membres des comités de suivi départementaux ». Cela veut dire que certains maitres + sont nommés sans aucune formation. Quant à la formation sa durée est variable : en général de 1 à 3 jours.

Souvent l’enseignant et le maitre + se retrouvent dans des espaces séparés (dans un peu moins de 50% des cas dit le rapport). Les cours portent sur le français et les maths mais les maths sont largement à la traine : 17% des cas alors que Timss a montré le très faible niveau des élèves français. Dans deux cas sur trois seulement, il a été précédé d’une préparation entre les deux enseignants. Par contre le dispositif se concentre bien sur le cycle 2 ce que souhaite le comité.

Un dispositif soutenu par le ministère et le Snuipp

Le comité recommande de mieux encadrer et piloter le dispositif. Il pose la question de la formation et demande le recensement des écrits et traces relatifs au dispositif et leur diffusion. Il reprend aussi des recommandations plus anciennes : ne pas éparpiller les maitres + sur plus de 2 écoles , ne pas leur faire jouer le role de remplaçant, ne pas confondre maitre + et maitre E des Rased (enseignant spécialisé).

La ministre a vivement soutenu le dispositif. « Il est emblématique de notre priorité donnée aux fondamentaux », a-t-elle dit. « Le dispositif impacte la pratique pédagogique des enseignants qui sont amenés à débriefer ensemble. Le maitre + peut faire bénéficier des bonnes pratiques les uns et les autres… Grâce à ce dispositif on a une réponse à l’hétérogénéité des classes qui ne passe pas par la relégation des élèves en difficulté dans une autre classe ». N Vallaud Belkacem « insiste sur le fait que les ce dispositif soit souple dans les choix des formes d’intervention pédagogique et sur ce sur quoi elles portent. C’est àl’équipe de concevoir le projet en fonction de ses besoins ».

Francette Popineau, co secrétaire générale du Snuipp, participait à la présentation du rapport, ce qui manifeste une alliance rare entre ministère et syndicat sur ce dossier. « On ne doit plus reculer mais renforcer tout ce qui permet le travail collectif. C’est ce qui va permettre la réussite des élèves », dit-elle. « Mais le dispositif n’est pas magique. Il doit être accompagné ». Le Snuipp revendique des formation et la liberté pédagogique des enseignants. « De bonnes conditions c’est quand l’équipe est libre de monter son projet et a les moyens de travailler convenablement avec la formation ». Pour elle, il faut aussi « régler le problème des effectifs, plus lourds en France que chez nos voisins. Il faut rétablir les Rased ».

De son coté, la ministre a annoncé qu’à la rentrée 2017 toutes les écoles prioritaires disposeraient d’un maitre +. Comme il y en a 6 778, certains maitres seront toujours sur plusieurs écoles.

Un dispositif déjà menacé

Mais les 5000 maitres + « il faut les savourer » dit N Vallaud Belkacem. Car « il y a un mur qui se présente ». Ce mur c’est F Fillon et la brutale réduction du nombre de fonctionnaires qu’il a annoncé. « On entre dans une logique comptable douloureuse qui revient à ne plus donner de moyens là où les difficultés sont les plus importantes ». Pour N Vallaud Belkacem, avec F Fillon on aurait « un développement exponentiel du privé et moins de moyens pour le service public donc un grand marché de l’éducation qui ne va pas profiter aux élèves en difficulté ».

Plusieurs ouvrages de spécialistes proches du candidat à la présidentielle annoncent déjà la fin des maitres +. JM Blanquer juge qu’augmenter le nombre de professeurs est un problème et non une solution. Pour B Toulemonde le dispositif est inefficace et donc à supprimer. Là aussi e quinquennat semble trop court. Le dispositif Pdm pourrait bien être supprimé avant d’être sérieusement évalué. Et remplacé par rien.

François Jarraud

Le rapport

Portrait d’une maitresse +

Le rapport de 2015

Bruno Suchaut en 2013

Le rapport de l’Inspection générale de 2014