Print Friendly, PDF & Email

Puisque la « boîte de Pandore » ( cf l’Expresso du 21 septembre) des violences à l’Ecole reste semble-t-il entrouverte, on se doit de rappeler en l’occurrence l’importance du  »collectif ». On se contentera d’un passage d’ « Histoires vraies des violences à l’Ecole », un ouvrage que j’ai écrit avec le bâtonnier Françis Lec, paru chez Fayard il y a tout juste dix ans.

« Il est remarquable que les succès les plus probants de la lutte pour réduire l’ampleur et l’intensité des violences scolaires passent par certaines mises en œuvre collectives, par le collectif.

De nombreux travaux de chercheurs américains le montrent sans appel, en particulier ceux de l’équipe de Denise C. Gottfredson, qui a mené une enquête de victimation et climat scolaire sur un échantillon de plus de deux cents établissements. Cette recherche a établi que les facteurs les plus explicatifs de l’augmentation de la victimation sont l’instabilité de l’équipe enseignante (‘’teachers turnover’’) et le manque de clarté et l’injustice dans l’application des règles (‘’fairness’’, ‘’clarity’ ), même si des facteurs exogènes au fonctionnement des établissements (tels, en particulier, que la concentration des désavantages) peuvent également jouer leur rôle en l’occurrence.  »Les écoles dans lesquelles le corps enseignant et l’administration communiquent et travaillent ensemble pour planifier le changement et résoudre les problèmes possèdent un meilleur moral des enseignants et pâtissent de moins de désordre. Les écoles dans lesquelles les élèves perçoivent des règles claires, des structures valorisantes et des sanctions sans ambiguïtés souffrent également de moins de désordre » » ( Denise C.Gottfredson, Schools and Delinquency, Cambridge University Press, 2001, p. 88 ).

« La nécessité d’une action la plus collective possible (y compris, et peut-être surtout, la nécessité d’une harmonisation – de droit et de fait – des règles et des sanctions effectives) pour optimiser au maximum les chances de lutter contre les désordres et les violences scolaires dans chaque établissement est généralement sous estimée par les enseignants qui ont tendance à concevoir l’exercice de leur métier sur le mode d’une ‘’profession libérale’’, de façon individuelle voire individualiste. Cela n’est d’ailleurs pas très étonnant car leur mode de formation même professionnelle ) et leurs modalités de nomination et d’affectation restent très largement dominés par les considérations individuelles »

Le modèle traditionnel de l’enseignant est celui du maître (après Dieu ) dans sa classe, avec sa dose d’arbitraire privé. Mais l’arbitraire n’est pas très positif sur le plan éducatif car il peut développer le sentiment d’injustice chez les élèves (et nourrir la révolte ou la violence en retour), ou bien aboutir à leur soumission à un maître selon son arbitraire privé (ce qui est une autre forme de violence) alors qu’il devrait s’agir non d’obéir à quelqu’un (un ‘’maître’’) mais de se régler sur des règles communes. Alors que la légitimité et l’efficacité ( éducatives ) vont pourtant dans le même sens, on se heurte aux résurgences de la tradition, toujours très prégnante dans le monde scolaire.

On rappellera ici pour mémoire que l’arrêté de juillet 1890 décidé en pleine Troisième République triomphante préconisait déjà la tenue d’un registre des sanctions disciplinaires, une obligation réglementaire qui a été très généralement négligée, alors même qu’elle est essentielle pour la transparence, la cohérence et la stabilité des pratiques (collectives…) en matière de sanctions et de punitions. On peut espérer qu’il ne faudra pas encore un siècle pour que l’un des dispositifs retenus par la circulaire de juillet 2000 soit effectivement à l’honneur dans chaque établissement scolaire : « tenir un registre des sanctions infligées comportant l’énoncé des faits, des circonstances et des mesures prises , sans mention de l’identité de l’élève ». On a encore 90 ans pour y parvenir…

Claude Lelièvre

L’Afev ouvre la boite de Pandore