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Les rencontres maternelles du GFEN ont fêté le 27 janvier leurs 10 ans, « un an de plus qu’elles n’avaient l’année dernière, un an de moins qu’elles n’auront l’an prochain ». Foin des belles « paroles » du ministre sur l’attachement qui font plus grincer des dents que rire. Ici salle comble et intergénérationnelle, des étudiant-e-s aux « têtes chenues » tous se réunissent et travaillent pour défendre leur rêve d’une école maternelle où l’on rit, où l’on « veut apprendre » pour s’envoler vers l’émancipation. Ce n’est pas la zad « enchantée » en chantier, mais quand même, sous les arches de la Bourse du travail on « résiste », on élève le ton sans pour autant se « casser la voix ». En ce petit matin, ils et elles sont parfois venu-e-s « loin de chez eux » pour cent fois sur le métier remettre leur ouvrage.

Souvenirs, souvenirs

Jacques Bernardin, président du GFEN, ouvre la journée sur le rappel des circonstances de la mise en œuvre de la première édition. Revenons en 2008, Darcos est alors ministre et pour lui la maternelle est assimilée à une garderie d’état (souvenons-nous des propos sur les couches), la dévalorisation du métier est produite par le ministre-même de son institution.

En 2009, en guise de réponse, avec l’audace qui la caractérise Christine Passerieux lance la double invitation à défendre et transformer l’école maternelle. C’est la première édition de ces rencontres, et depuis, rendez-vous renouvelé, chaque dernier samedi de janvier. Entre-temps le mouvement de recherche et de formation en éducation a participé à l’élaboration des programmes de 2015 et ainsi contribué aux nouvelles orientations de l’école maternelle.

Alors 10 ans déjà mais la période actuelle a « comme un air de déjà vu » avec la mise en œuvre « d’une logique de restauration sous la parure clinquante de la modernité ». Jacques Bernardin égrène : « prévalence des neuro-sciences, pilotage par les évaluations aux items qui désignent et déterminent ce qui fait priorité ». Au niveau communication, est soigné « le sens des annonces dans le but de faire simple, rassurer, anesthésier tout pouvoir critique, soumission à un aveuglement scientiste, etc. » En cette 10ème édition (plus de 250 personnes sont présentes et la jeune génération, public en formation, bien représentée), le succès de celle-ci montre que « la profession n’est pas prête à renoncer, qu’elle veut soigner le métier, élargir des pouvoirs d’action, faire reculer les fatalités ».

« Notre ambition commune est d’enrayer les effets d’une socialisation première marquée par des conditions dégradées et pour ce faire il faut de la professionnalité, mais celle-ci ne s’improvise pas ! », Jacques Bernardin rappelle les fondements du GFEN : « le principe que tous les enfants sont capables d’apprendre » et que pour enseigner « il faut que l’enseignant compose avec le développement présent de l’élève ». Il rappelle les principes de Vygotski sur le proche développement, enseigner c’est chercher « de quoi les élèves sont capables, qu’est ce qui est à leur portée ? Mais pouvoir en juger suppose un regard instruit, c’est à dire une vraie formation ».

Il y a donc impérative nécessité à penser le métier : « les enseignants peuvent être victimes d’ethnocentrisme (on le voit dans la description qu’ils font des élèves, des qualificatifs usités : élèves lents, malhabiles, peu autonomes…) alors ils glanent de-ci, de-là pour tenir tant bien que mal… et ils reproduisent des formes de travail sans en interroger la pertinence. Continuer ainsi c’est condamner les élèves à peu progresser ». C’est parce que la maternelle est le parent pauvre de la formation que les professionnels sont obligés de s’organiser de façon informelle par le biais des réseaux associatifs, « ces rencontres ont pour but de rendre les professionnel-le-s plus fort-e-s pour leurs ambitions partagées ».

« Et je serais provisoire, une fourmi dans l’histoire, rassurée, un être humain dans la foule »

Isabelle Lardon, responsable du secteur maternelle du GFEN, présente une brève rétrospective photos de ces 10 ans de rencontres, son appareil photo en ayant capturé des traces fugitives. Aux portraits des intervenants (une cinquantaine d’enseignants chercheurs venus au fil des ans) sont associés des mots-clés, reflets de toutes les thématiques abordées : apprentissages, pensée complexe, ambition, réussite de tous… autant de valeurs portées par le GFEN. En 10 ans, des centaines d’ateliers préparés par des militants du mouvement, un succès jamais démenti, et à nouveau le tour de force accompli.

Sylvie Cèbe, Isabelle Roux-Baron : Narramus : Apprendre à comprendre et à raconter

L’atelier fait salle comble pour découvrir, appréhender les fondements et la démarche conçue, élaborée, évaluée et narrée à double-voix par Sylvie Cèbe et Isabelle Roux-Baron. Sylvie Cèbe indique qu’elle présente les travaux d’une « recherche menée plus de 200 classes, dans la France entière, seulement en REP+ et en REP » et que « son discours sera orienté sur la réduction des inégalités d’acquisition ». Prenant appui sur la formule d’invite à la journée « Enseigner à l’école maternelle, un défi à relever » elle écarte deux sous-entendus ( « on n’enseignerait pas assez ? » et « on ne transmettrait pas assez ? » ) pour dit-elle « défendre un autre parti-pris : penser le métier pour le transformer ». Mais Sylvie Cèbe pose d’emblée deux gardes-fous : « il faut connaître le métier, ses pratiques habituelles, ses questions, ses besoins de formation, ses besoins d’outils, les contraintes qui pèsent sur son exercice. Il faut également participer, avec les enseignant-e-s à la politique de refondation de l’école : concevoir pour eux et pour elles, avec eux et avec elles, des outils capables de réduire les inégalités scolaires. »

Aussi elle axera son propos en prenant exemple dans le domaine de l’enseignement du langage oral et écrit autour de la collection Narramus, panel de différents outils co-construits avec le métier (réalisation à laquelle sont associés les utilisateurs).

Ce que dit la recherche internationale

« C’est là le travail des chercheurs », nous dit Sylvie Cèbe, « à eux revient la charge de répondre aux questions  » Que sait on des compétences requises ? De quoi les élèves ont besoin pour apprendre ? » . Puis à eux de définir les besoins d’enseignement des élèves. Il y a un consensus scientifique international : ce qu’il faut enseigner c’est le langage scolaire, les formes de communication et les mots présents à la fois dans les livres et à l’école. Il faut également enseigner les compétences langagières scolaires qui permettent aux élèves d’utiliser et de comprendre le langage de l’école et qui se déclinent en trois sous-catégories : les compétences langagières narratives (capacités à comprendre et à raconter clairement une série d’événements à la fois en émission et réception), les compétences langagières inférentielles (aller au-delà de l’info littérale), les connaissances du vocabulaire scolaire (la capacité à comprendre et à utiliser les mots et les structures grammaticales du langage écrit) ». D’ailleurs Sylvie Cèbe note qu’on se pose beaucoup de questions sur l’enseignement du lexique (avec des protocoles « un mot par jour », « deux mots par jour ») ce qui montre que la question est bien présente pour les acteurs de la profession.

Du coté de l’institution

Donc « Il n’y a que ça à faire… Mais comment le mettre en musique ? » interroge Sylvie Cèbe. « Pour la mise en œuvre il y a impératif besoin de connaître le métier, de connaître la zone proximale de développement professionnel » des enseignants. Elle cite le rapport de l’Inspection Générale de 2011 qui remarquait dans les classes de maternelle « beaucoup de lectures offertes mais des emplois du temps muets sur l’organisation de séances de travail dévolues à la compréhension ». Ce dont ont besoin les maîtres, c’est d’une part de connaître les cibles et d’autre part de savoir quelles sont « les pratiques pédagogiques et didactiques, les tâches et activités efficaces ». Pour Sylvie Cèbe les « evidence based practices » consistent « en un inventaire des caractéristiques didactiques et pédagogiques à privilégier ». L’Inspection Générale formulait cinq recommandations : choisir des textes complexes (y compris et surtout quand on travaille en milieu populaire), enseigner explicitement les connaissances et les stratégies, apprendre à utiliser la structure textuelle pour comprendre et mémoriser le contenu, organiser et guider des discussions portant sur la compréhension fine et l’interprétation, instaurer et maintenir un contexte motivant. A celles-ci s’impose pour les professionnels la nécessité de respecter les programmes de l’École maternelle qui prescrivent d’apprendre en jouant, en réfléchissant et en résolvant des problèmes, d’apprendre en s’exerçant, d’apprendre en mémorisant et en se remémorant.

La recette pour que l’alchimie prenne

Forte des cibles à atteindre selon les consensus de la recherche internationale, tout en s’inscrivant dans le cadre de l’institution, dans son laboratoire (elle précise en un clin d’œil aux auditeurs « enfin…, de mon bureau »), Sylvie Cèbe et son équipe se donnent la tâche d’élaborer un premier prototype de scénario d’enseignement de la lecture-compréhension. Celui-ci se veut un « compromis entre le souhaitable et le raisonnable (utile, utilisable, acceptable) » soumis à dix enseignant-e-s qui formulent, après mise en œuvre dans leurs classes, leurs observations, leurs propositions de suppressions, ajouts, modifications. Suite aux entretiens avec cette première équipe de co-concepteurs est élaboré un deuxième prototype intégrant les variations proposées. Ce canevas est à nouveau soumis à 20 autres enseignants, eux aussi seront observés, entendus en entretiens et formuleront de nouveaux ajustements (à leur tour intégrés) et travailleront à la « dentelle » de l’outil.

Présentation de l’outil

C’est un guide du maître détaillé, justifié théoriquement et empiriquement comportant des conseils, les remarques, les ajouts de tous les co-concepteurs. Pour l’élève « le but en fin de séquence est de savoir raconter l’histoire à la maison ». Sylvie Cèbe défend pour l’enseignement de la compréhension « une vision intégrative », en effet dans Narramus, « toutes les compétences sont travaillées simultanément et en inter-action » (c’est une approche différente de la vision modulaire proposée par d’autres chercheurs). Pour ce faire, le déroulement est ritualisé : rappeler ce qui a été appris avant, révision du vocabulaire appris et enseignement d’expressions et de mots nouveaux, rappel systématique des épisodes précédents par un-e seul-e élève ou par l’enseignant-e, découverte de la suite de l’histoire, différentes tâches et activités (seul, à deux, à plusieurs, ensemble), théâtre (masques), maquette et figurines. S’ajoutent en parallèle des activités « décrochées » visant l’appropriation du lexique par de la « dictée » en salle de jeux, par le biais de jeux de cartes et encore la fabrication de son propre album, de sa maquette et ses personnages …

L’outil est conçu de manière à enseigner explicitement, ont été pensé et sont proposés 8 pictogrammes illustrant les consignes ritualisées au fil des scénarios : l’enseignant lit, l’enseignant raconte, les élèves apprennent ou révisent le vocabulaire, les élèves jouent en théâtre, l’anticipation : prévoir illustration à venir, un seul élève raconte un épisode, la classe corrige et complète. L’outil requiert d’avoir un vidéo-projecteur pour favoriser l’attention conjointe. La projection permet aux élèves d’être actifs pour montrer ce dont on parle. Sylvie Cèbe invite à profiter des ressources numériques pour pour l’enseignement des connaissances sur le monde et les illustrations du vocabulaire proposées, celles-ci variant de l’image fixe à l’emploi de gifs animés aidant à « tatouer la mémoire » (Sylvie Cèbe rappelle que c’est « un truc de psycho-cognitive : avoir une émotion pendant l’apprentissage fixe encore plus »). Le vocabulaire et ces connaissances sont enseignées avant l’accès au texte (avec une entrée par la lecture d’extraits ou la narration contée selon les scénarios). Selon les programmes, en fin de cycle ce qui est entre autres, attendu « c’est la compréhension des textes écrits sans autre aide que le langage entendu ». Sylvie Cèbe s’appuie sur les propos de Viviane Bouysse : « Quand on veut qu’ils s’intéressent au texte, on empêche que les élèves s’intéressent à l’image » aussi l’emploi du vidéo-projecteur « permet de dissocier systématiquement la présentation des informations pour à la fois faire l’obstacle au traitement perceptif et permettre aux élèves d’opérer un traitement en profondeur de chaque type d’information ». Sylvie Cèbe a en outre une attention à impliquer le corps dans la mémoire des mots d’où des activités de « dictée de mots » en salle de motricité. Enfin Narramus familiarise les élèves avec l’intérêt « aux états mentaux des personnages » reprenant le principe des bulles de pensées développé dans les aînés de Narramus (Lector et Lectrix, Lectorino Lectorinette) pour mettre en mots « ce que le personnage pense, ressent, croit ».

Conception terminée, place à l’évaluation, du côté des élèves, du côté des enseignants : dans Narramus, rien à jeter !

C’est à Isabelle Roux-Baron que revient la prise en charge de cet aspect, impératif de s’y coller si l’outil proposé veut prétendre au rang de ceux reconnus « evidence based practices ». Il faut donc étudier les effets que produit l’outil et cette observation revient à une personne tenue à l’écart de la conception. C’est l’objet de la thèse d’Isabelle Roux-Baron, dont elle présente ici « une partie des questions centrées sur les apprentissages des élèves, en particulier pour le développement des compétences narratives en réception et en production, et sur les compétences lexicales des élèves ». Elle évalue également les effets du temps d’enseignement sur le développement des mêmes compétences (effets à diverses échéances temporelles : avant et après la mise en œuvre de chaque scénario (3 par an) puis après 1 an d’enseignement (2016-2017), après 2 ans en 2017-2018 puis 3 ans en 2018-2019) et elle s’intéresse encore au maintien des apprentissages lexicaux à la fin de chaque année. Du point de vue de la méthodologie, rigueur oblige, un groupe témoin est constitué, informé des attendus de la passation d’évaluation (raconter l’histoire, savoir expliquer quelques mots du vocabulaire de l’histoire). Il s’agit de pouvoir évaluer les effets compensatoires de l’enseignement sur les apprentissages des élèves (réduction des inégalités sociales d’apprentissage). Dans la confrontation des résultats de différents groupes soumis aux mêmes tests (un groupe témoin qui travaille les mêmes histoires selon la conduite ordinaire de l’enseignant, un groupe utilisateur de Narramus sans accompagnement, un groupe utilisant Narramus avec accompagnement de conseillers pédagogiques) on observe que si au premier pré-test tous les élèves des différents échantillons se situaient dans un même niveau de compétences, au deuxième test ceux ayant travaillé avec Narramus avec fort accompagnement ont des prestations qui se rapprochent d’élèves de milieux favorisés. D’autre part au fil des tests, les élèves progressent dans leur compréhension de l’exercice et dans leur façon d’appréhender l’apprentissage aussi leurs résultats aux pré-tests s’améliorent significativement entre chaque album étudié (avant même qu’il y ait enseignement, ils ont progressé dans leur écoute des histoires).

Du coté des retours des enseignants au questionnaire qui leur est adressé « on observe d’emblée un fort taux de réponses ». Celles-ci sont éloquentes particulièrement pour les apprentissages portant sur l’acquisition du lexique, mais aussi pour les compétences transférées dans le domaine de l’oral en général puisqu’après utilisation de Narramus il s’avère que les prises de paroles sur d’autres sujets sont facilitées. Ces enseignants expérimentateurs constatent « également une efficacité sur les compétences en réception et sur les compétences inférentielles ». Du point de vue de ce que l’outil a modifié dans leurs pratiques professionnelles les enseignants remarquent « qu’ils varient désormais davantage leurs supports, qu’ils ont fait évolué le temps consacré à l’enseignement de la compréhension, qu’ils « exploitent » les albums différemment ». Pour résumer, ils construisent de nouveaux gestes professionnels relatifs à l’explicitation, sont plus attentif à la répétition de certaines situations pour ancrer les apprentissages, ritualiser. Les enseignants sondés sur ce qu’ils ont détesté, ont préféré détourner la question « pour relever ce qui a pu leur être difficile : au départ les contraintes matérielles, les séances parfois longues, le rythme soutenu ». Ce qu’ils retiennent de leur utilisation de l’outil, « c’est que celui-ci est arrivé à un moment de leur carrière où ils en avait besoin, puisqu’il leur a fait aborder « autre chose » au bon moment ». Alors… défi relevé, pari tenu !

Jean Bernardin : « Quel rôle des attentes dans la construction de l’image de soi »

Après une carrière d’instituteur, Jean Bernardin est aujourd’hui formateur en direction de publics très fragiles, à l’image péjorée d’eux-mêmes. Pour eux, « le premier objectif (en dispositif relais par exemple) est de redonner de l’estime de soi, pour qu’ils puissent apprendre. Parce qu’apprendre c’est devenir autre, il faut avoir une image de soi assez forte pour affronter le manque (Boimarre) ».

L’atelier de Jean Bernardin consiste à vivre en situation une démarche conçue par Michel Duyme pour comprendre le phénomène des attentes et essayer de comprendre comment se construit l’image de soi. Elle s’appuie sur les travaux de Rosenthal et Jackobson au sujet de l’effet Pygmalion. Après confrontation en petits groupes de réflexion sur différents sujets (les mécanismes en œuvre pendant une faillite bancaire, une pénurie de sucre, l’effet placebo, …) les participants de l’atelier dégagent les invariants que l’on retrouve dans les situations de prophéties autoréalisatrices. Dans chacune des situations on retrouve une information délivrée par une « autorité », information « interprétée » par des destinataires, et effet « Panurge », boule de neige ou par excès de confiance en cette « autorité » l’information crée des conséquences qui n’auraient pas du avoir lieu d’être (sauf que le mécanisme étant bien connu, il peut être provoqué sciemment, on atteint ici la manipulation des opinions). D’autres groupes planchent eux sur l’expérience de Rosenthal avec ses étudiants sur un protocole à imaginer pour déterminer les capacités d’anticipation de souris de laboratoires. Mais l’animateur introduit une variable dans les consignes qui consiste à biaiser les attentes des participants. Pour leur expérience il est indiqué à certains que leur souris ont de faibles capacités ou au contraire qu’elles sont pourvues d’un sens hors du commun de l’orientation. Les schémas produits sont éloquents : on attend évidemment beaucoup moins du groupe prétendument sous-doué.

Ce grand détour pour illustrer que les attentes induisent toujours de façon inconsciente des modifications de comportement. Bernardin rappelle que l’un des travers des enseignants est de se fonder sur sur ce qu’on nous dit de l’élève, sur les performances des frères et sœurs, sur ce qu’on suppose des performances antérieures et que l’un des biais est la façon d’appréhender la classe sociale de l’élève.

Or le traitement différentiel induit une baisse des exigences sur les contenus proposés (moins pour les faibles), des activités plus contrôlantes, structurées (vs activités différenciées, difficiles), des sollicitations de moindre niveau (questions plus faciles, moins souvent), on leur donne plus rapidement les solutions. C’est pervers parce que quand les attentes sont faibles, les élèves reçoivent moins d’information de contenus, mais plus de feeback comportementaux alors que les feedback précis sur les performances sont apportés aux élèves déjà dans un niveau de réussite. A eux les encouragements quand les autres reçoivent les critiques. C’est de ce cercle vicieux qu’il convient de sortir. Il ne s’agit plus d’ailleurs d’une « croyance » en le « tous capable », mais d’un fait avéré aujourd’hui par les neurosciences. En effet « l’imagerie médicale montre que les les apprentissages transforment biologiquement le cerveau » : « plus il y a de la culture, plus il y a développement des capacités biologiques du cerveau. ». Pour conclure, Jean Bernardin convoque le concept de « triple autorisation » de Jean-Yves Rochex qui définit les conditions pour garantir l’entrée dans les apprentissages : « il faut que le jeune (ou l’enfant) s’autorise à devenir autre que ses parents, il faut que ses parents l’autorisent en retour à ce qu’il ne soit pas tenu de reproduire leur histoire, et enfin il faut que le jeune reconnaisse la légitimité des pratiques de ses parents dont il veut s’émanciper. »

Christine Passerieux, pour ne pas conclure.

Christine Passerieux ne s’étend pas sur le contexte dans lequel sont nées les rencontres, Jacques Bernardin l’ayant rappelé en début de journée. Elle privilégie l’actu avec une focale sur deux annonces liées entre elles et qui éludent la question de l’apprentissage, de la formation à l’enseignement.

La première concerne la déclaration du ministre dans Ouest-France au sujet de l’attachement « qui suffirait » pour penser l’accueil des jeunes enfants, la seconde vise la mission confiée à Boris Cyrulnik (« un psychiatre et non un professionnel de l’enseignement, sans expertise sur le sujet ») de préparer des assises de la maternelle en vue d’une refonte. Alors oui, dix ans après les premières rencontres, l’école maternelle est à nouveau « sur la sellette », et on assiste à une « offensive contre le métier d’enseignant » sur le « mode du mépris et de la culpabilisation ». Christine Passerieux se réfère à la pensée d’Yves Clot qui analyse l’activité professionnelle : « Le travail empêché crée de la déconsidération professionnelle et personnelle » et s’alarme que les enseignants soient « confrontés à tant d’injonctions ». Cela est d’autant plus dommage que « les programmes de 2015 bien que limites sur certains points, étaient bien acceptés et suscitaient des questionnements. Quelques mois plus tard, alors que l’appropriation n’est pas finie, les annonces ministérielles se succèdent pour les enterrer ».

Christine Passerieux s’inquiète que le métier se trouve réduit à l’empathie, dans des conceptions victimisantes qui tendent à « rendre les enseignants individuellement responsables de l’échec scolaire », elle déplore des « justifications institutionnelles de l’inégalité de l’accès aux savoirs ». Pour elle, « parler de bain de langage c’est laisser penser qu’il suffirait de laisser fréquenter un objet pour que l’enfant se l’approprie » et c’est bien là nier tout l’acte d’enseigner.

Comme Jacques Bernardin elle alerte sur le pilotage par les indicateurs et voudrait « penser les enseignements en fonction des enfants qui n’ont que l’école pour les acquérir ». S’il s’agit bien de « défendre des valeurs d’égalité en affirmant le tous capables », il faut voir cette invite « comme mouvement » (à transformer) et non comme injonction. « Il n’y a pas à attendre la maturation mais à la provoquer en organisant » les dispositifs pour que les enfants apprennent. Christine Passerieux tient à « réaffirmer la fonction formative de l’école particulièrement en maternelle où tout est objet d’apprentissage (oser essayer, changer d’avis) pour prendre conscience qu’apprendre permet de conquérir de nouveaux pouvoirs aussi il faut avoir de l’ambition dans les contenus ». Et c’est une œuvre politique que d’initier à des valeurs, qu’engager tous les enfants dans un processus à long terme d’émancipation individuelle. Lucide et sans concession elle plaide pour une formation professionnelle de qualité. « Si les neurosciences apportent des connaissances utiles elles ne résolvent pas la difficulté de la classe. Le métier ne relève pas de l’exécution », elle prône de « sortir de la solitude professionnelle, en lien avec la recherche pédagogique, en prenant appui sur l’expertise des enseignants, qu’ils s’appuient sur leur conscience à bien faire leur métier ».

Citant à nouveau Yves Clot « La dispute professionnelle ne peut avoir lieu qu’autour de ce qu’on ne partage pas encore, plus que sur ce qu’on partage et qui ne justifie pas de dépassement » elle rappelle que la nécessité est la même qu’il y a 10 ans, qu’elle demeure : « il faut encore et toujours défendre et transformer le métier. L’école publique est menacée, l’enseignement relève d’une professionnalité exigeante lorsqu’il s’agit d’engager de très jeunes enfants dans les apprentissages scolaires ». C’est un cri d’alarme et du cœur mais qui n’est pas résigné, en cette « période d’en-même-temps-tisme, -pisme » on peut créer les conditions du « tous capables ! » à l’école maternelle en articulant théories et pratiques. « Si nous ne sommes pas tout-puissants, nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance : des alternatives existent ».

par Lucie Gillet

Lecture : Les effets prouvés de Narramus

Sylvie Cèbe et Isabelle Roux-Baron en conférence à l’IFE

Sur Michel Duyme