Print Friendly, PDF & Email

L’étude des textes condamne-t-elle enseignant.es et élèves au face-à-face ? Peut-on imaginer d’autres dispositifs de travail, plus actifs et collaboratifs, que le traditionnel cours dialogué ? Au lycée Malraux à Allonnes dans la Sarthe, Pauline Auffret amène ainsi ses élèves à travailler sur les textes en trois phases : des groupes d’« experts » sont d’abord constitués autour d’une question spécifique, des « ambassadeurs » vont ensuite expliquer à leurs pairs le résultat de leurs recherches, une question enfin amène les élèves à réaliser à l’écrit un bilan individuel. Les intérêts paraissent importants : développement des compétences orales, implication et valorisation de tous les élèves, transformation de la classe en communauté interprétative. Eclairages …

Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de transformer le dispositif habituel d’étude des textes en cours de français : le cours frontal et dialogué ?

A l’origine de ce dispositif, il y a la volonté d’impliquer tous les élèves dans l’étude des textes, quel que soit leur niveau. Le cours dialogué peut donner une impression de dynamisme et de rapidité lorsque les élèves découvrent des textes mais on touche vite à ses limites. Ce sont souvent les mêmes qui répondent aux questions de l’enseignant et on se rend régulièrement compte lors des phases de travail suivantes qu’une partie silencieuse de la classe ne tire pas profit de ces échanges élèves/professeur. On découvre parfois avec étonnement qu’un point qui semblait évident (et qu’on n’a donc pas abordé) n’a pas été compris par certains élèves. On peut penser, entre autres causes, que le rythme du cours dialogué n’a pas laissé le temps de faire émerger les difficultés rencontrées par certains élèves. A l’origine de la démarche, il y a donc un questionnement sur des difficultés auxquelles tout enseignant est confronté : comment gérer l’hétérogénéité et comment impliquer tous les élèves ?

Un travail interdisciplinaire avec un collègue de sciences m’a permis de découvrir ce dispositif. Il m’a semblé porteur et transposable dans nos cours de français, pour rendre nos élèves plus actifs. Cette réflexion a été par la suite approfondie par la lecture des travaux de Philippe Meirieu sur le travail en groupe et plus précisément sur le « monitorat ».

Dans votre dispositif, vous commencez par constituer des « groupes d’experts » : de quoi s’agit-il ? comment constituez-vous ces groupes ?

Par groupes d’experts on entend groupe d’élèves à qui l’on va confier une tâche spécifique sur un texte. Les domaines d’expertise proposés sont complémentaires et permettent au final de construire une lecture globale du texte.

Il y a plusieurs manières de constituer les groupes d’experts. On peut par exemple proposer des domaines d’expertise de niveaux différents, auquel cas, on soumettra des questionnements plus accessibles aux élèves en difficulté, tandis qu’on proposera des sujets plus pointus aux élèves qui accèdent rapidement au sens du texte.

On peut aussi faire le choix de l’hétérogénéité et proposer des domaines d’expertise d’égale difficulté à chaque groupe. Quelle que soit la modalité choisie, il faut que les groupes d’expertise soient interdépendants pour que le travail de chaque groupe ait de la valeur.

Pouvez-vous donner des exemples des tâches qui leur sont ainsi confiées ?

Les domaines d’expertise confiés dépendent du texte sur lequel on travaille et des objectifs poursuivis. On ne peut pas les déterminer « hors sol ». Dans l’idéal, ils doivent susciter le débat, remettre en jeu des connaissances précédemment acquises et/ou amener les élèves à porter leur attention sur des détails significatifs du texte (points de langue, lexique, situation d’énonciation ambigüe, etc.)

On peut également doubler les domaines d’expertise par un « scenario » : se mettre dans la peau d’un éditeur, d’un auteur rival, d’un metteur en scène…pour amener les élèves à envisager le texte dans une perspective plus historique ou plus subjective par exemple.

A titre d’exemples, voici 4 sujets proposés à 4 groupes d’experts autour d’un extrait des « Chants de Maldoror » de Lautréamont. Quel univers Lautréamont a-t-il créé autour du thème de la nuit ? Pourquoi l’éditeur de Lautréamont a-t-il refusé de vendre ce recueil poétique selon vous ? Vous êtes Victor Hugo, vous avez eu entre les mains le recueil Les Chants de Maldoror : quelle est votre réaction ? Que pensez-vous du titre du recueil Les chants de Maldoror ? Pour l’étude de la scène 31 d’Incendies de Wajdi Mouawad, le dispositif amène à se réunir des experts d’une même profession : conseiller dramaturgique, concepteur de costumes, comédien, metteur en scène.

Une deuxième phase de travail en groupes permet la mutualisation : comment déployez-vous cette étape de travail ?

La phase de mutualisation a pour objectif de rassembler un expert de chaque domaine au sein de nouveaux groupes. L’expert (on parle aussi d’ « ambassadeur ») dispose d’un temps limité pour exposer le résultat des recherches menées lors de la phase antérieure aux membres de son nouveau groupe. L’élève se trouve cette fois dans une posture didactique. L’avantage est double : il doit veiller à la clarté de son propos (puisque ses camarades ont travaillé sur d’autres sujets) et pour cela, il doit s’être bien approprié le fruit des échanges de la phase d’expertise.

Concrètement, on reconstitue des groupes de trois ou quatre élèves, chacun prenant la parole l’un après l’autre et on intègre un temps supplémentaire pour que les élèves aient le temps de se poser des questions (pour se faire préciser une chose ou éventuellement exprimer un désaccord avec ce qui a été présenté par leurs camarades.)

Un ultime temps de travail invite à un bilan écrit individuel : en quoi consiste-t-il ?

Le bilan écrit individuel vise à synthétiser l’ensemble des informations recueillies par l’élève lors des différentes phases de travail. Il permet de prendre du recul et amène chaque élève à se réapproprier les domaines d’expertise sur lesquels il n’a pas travaillé. Il donne donc sens et importance à la prise de note effectuée lors de la phase de mutualisation.

Il peut se faire en classe ou à la maison pour la séance suivante. Suivant l’objectif de la séance, le bilan peut prendre plusieurs formes. On peut par exemple dévoiler le titre du texte étudié et demander aux élèves d’en expliquer le sens au regard des éléments qu’ils ont recueillis. On peut également leur demander en quoi le texte qu’ils viennent d’étudier est différent d’un autre texte connu, quelles caractéristiques de tel courant ou de tel auteur il a permis de faire émerger, etc.

Comment l’enseignante accompagne-t-elle les élèves durant ces différentes phases de travail ?

Lors de la phase d’expertise, l’enseignant doit circuler et écouter attentivement les échanges des groupes, de manière à réorienter ceux qui dériveraient vers une piste erronée. Dans l’idéal il faut prendre un temps avec chaque groupe avant la mutualisation, pour éviter qu’une erreur ne se propage dans d’autres groupes. Il faut cependant éviter d’intervenir trop tôt, pour laisser les questions et hypothèses de réponse émerger de façon autonome. Lors de la mutualisation, on note d’ailleurs que les élèves sont tout à fait capables d’identifier d’éventuelles erreurs commises par d’autres groupes, parce qu’elles vont entrer en contradiction leur propre travail. Et si malgré cette étape, une erreur demeure, il est encore temps de s’en rendre compte au moment du bilan et d’y revenir collectivement.

Au final, quels vous semblent les intérêts d’un tel dispositif de travail, plus autonome et plus collaboratif ?

Ce dispositif présente de nombreux intérêts. D’une part, il permet à chaque élève, de développer des compétences orales. Rares sont les cours où chacun de nos 35 élèves peut prendre la parole au moins 5mn. La mise en œuvre régulière de ce dispositif développe donc une habitude de prise de parole chez tous les élèves.

D’autre part, ce dispositif a pour effet d’impliquer et de valoriser tous les élèves. Ceux qui sont plus en difficulté bénéficient des échanges de leur groupe lors de la phase 1. Ensuite, le fait que chaque élève soit le porte-parole de son groupe lors de la phase 2 améliore l’implication lors de la phase de recherche. Cela diminue nettement la passivité qu’on peut noter chez certains élèves lors des travaux de groupe.

Enfin, le dispositif permet de faire de la classe une communauté interprétative. En travaillant sur des aspects différents mais qui convergent finalement vers un même objectif, chaque élève contribue à l’élaboration d’une lecture collective du texte. La parole de chacun permet de donner sens au texte.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés de l’adopter ou de l’adapter ?

Pour que le dispositif puisse être mis en œuvre sur une séance d’une heure, il y a quelques pré-requis. Prévoir une première phase de découverte du texte lors de la séance précédente. Les élèves doivent avoir lu le texte étudié et une réflexion doit déjà avoir été amorcée (sous forme d’hypothèses ou d’atelier de questionnement textuel par exemple) pour pouvoir passer en position d’expert.

Constituer les groupes au préalable et les projeter au moment des changements de phase pour fluidifier les déplacements. Projeter un compte à rebours ou chronomètre en ligne pour faciliter la gestion du temps par les élèves.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Exemples sur le site de l’académie de Nantes