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Comment théâtraliser l’étude du théâtre ? Comment lui faire retrouver, jusque dans la classe, sa place au cœur de la cité ? Médée est l’héroïne infanticide d’une tragédie de Corneille. Au lycée Maurice Genevoix à Bressuire dans les Deux-Sèvres, Maud Lacère a orchestré son procès avec ses élèves de seconde. La séquence favorise une appropriation de l’œuvre à travers une réflexion sur la monstruosité et l’humanité du personnage. Le procès, soigneusement préparé, joué et filmé, permet de travailler des compétences argumentatives et orales. Et le travail mené renforce l’engagement des élèves à travers de riches débats, des interrogations sur l’éthique et la justice, des mises en perspectives avec l’actualité. Eclairages sur un dispositif fort transférable

Dans quel cadre avez-vous mis en place ce travail autour de Médée ?

La séquence concerne une classe de 35 élèves de 2nde dans le cadre de l’objet d’étude « la tragédie et la comédie au XVIIème siècle : le classicisme.

La séquence sur Médée intervient en séquence 2 de l’année, il s’agit d’un contrepoint par rapport à la séquence 2. En effet, les élèves ont découvert par un humble groupement de textes de dénouements de tragédies classiques dans une séquence 1 « La mise à mort au théâtre ». Nous avons aussi construit repères, codes, caractéristiques du classicisme, particulièrement en lien avec le genre théâtral. La séquence a abouti notamment à l’exploration d’une mise en scène contemporaine de la fin de Phèdre par Patrice Chéreau. Il s’agissait de prendre du recul par rapport à la notion de classicisme et transférer les notions vues sur les textes sur un autre support. C’est le même mouvement que j’ai opéré sur la séquence 2.

Comment avez-vous aidé les élèves à entrer dans cette pièce difficile ?

D’abord, il était nécessaire de nourrir les élèves autour du mythe de Médée, la pièce de Corneille démarre alors que Médée a déjà fait un bout de chemin : elle a été victime du sort des dieux, rencontré Jason, trahi son royaume, fui ses terres laissant de nombreuses victimes derrière elle. Bref, ce passage de la vie de Médée était essentiel. J’ai donc mobilisé la mise en scène de Paulo Corréia utilisée en fin de séquence qui elle aussi fait la narration de la vie de Médée avant la pièce pour ses spectateurs via un dispositif vidéo sur scène. C’est donc une entrée par la vidéo que j’ai choisie avec un travail de carte panoramique pour garder trace.

J’ai aussi mis en place un guide de lecture qui orientait les élèves sur la problématique de la séquence « Qui est le monstre dans Médée ? ». Il y avait donc des traces écrites très légères et des post it à insérer dans le livre. Les élèves savaient déjà quelle tâche de lecture allait être au cœur de la séquence, à savoir construire une plaidoirie ou un réquisitoire.

Enfin, j’ai aussi accompagné sur une séance d’AP des lectures à voix haute, un ou deux jours après la remise du livre. Et comme à mon habitude pour toute œuvre à lire, nous sommes entrés ensemble dans la lecture dès la remise du livre. J’aime faire sonner le texte aux oreilles des élèves, donné des conseils et éclaircir les premières zones d’ombre.

La mission principale a été de construire en groupes une plaidoirie ou un réquisitoire dans le cadre du procès de Médée : quelles ont été les étapes et modalités de travail pour mener cette entreprise de lecture argumentative ?

Tout d’abord, nous avons fait le point sur le personnage de Médée via une frise chronologique divisée en deux : la vengeance de Médée et les gestes d’amour désespérés de Médée, cela pour mettre en perspective la monstruosité ou l’humanité de Médée. Cela a permis à tous d’avoir une vue d’ensemble sur Médée et cela m’a permis de laisser ça et là, le numéro des pages qui me semblaient clés pour les aider à faire leurs travaux. Je n’ai rien dit bien sûr.

Ensuite, comme le travail de relecture, que j’appelle « lecture-radar », s’est fait en groupes, j’ai planifié le travail des groupes : un membre du groupe avait à relire un acte à l’aune de sa mission (réquisitoire ou plaidoirie). Les élèves étaient 5 au moins dans chaque groupe. Ensuite, chaque élève, présentait ses trouvailles et le groupe complétait un tableau esquissant la thèse (évidemment !) et les arguments. Il leur revenait ensuite de développer les exemples. Ils pouvaient alors m’appeler, me demander confirmation sur des passages qui leur semblaient pertinents mais pour lesquels ils n’étaient pas sûrs de tout saisir.

Une fois, le tableau complété par le groupe, il a fallu construire le plan puis les discours sur 3 séances. Les élèves ont utilisé Wiki, outil sur LOL, j’ai ainsi pu les guider dans leur écriture dans le cadre de mon cours mais aussi entre les cours. Wiki permet de commenter les travaux des élèves par écrit. Au retour en classe, ils lisaient mes commentaires et poursuivaient.

J’ai aussi installé une séance très modeste sur des lectures de grands discours pour mettre en évidence des techniques d’argumentation. J’ai aussi pu les initier aux deux notions « convaincre » / « persuader ».

Le procès du personnage a été théâtralisé, joué, enregistré : selon quels dispositifs ?

Le procès a été théâtralisé selon un canevas simple et reposant sur ce que nous avions pu observer dans « L’Hermine » en début de séquence.

Tout s’est fait dans la classe en bougeant quelques tables et quelques chaises. Je ne tenais pas à faire du montage vidéo donc, j’ai tout simplement scénarisé ainsi : vue sur un papier « Procès 1 » / le juge prend la parole, fait décliner à Médée jouée par un élève volontaire son identité / vue sur un papier « Réquisitoire » / les élèves passent à tour de rôle sur leur partie… Idem pour la plaidoirie.

Nous avions fait une séance « théâtre » auparavant pour dédramatiser le regard de l’autre, gérer le souffle et placer sa voix.

En quoi vous semble-t-il intéressant de mener une telle représentation filmée ?

C’est une façon de valoriser la lecture mais aussi et surtout c’est une façon pour les élèves de se percevoir en sujet lecteur. Ils se voient alors engagés dans leur lecture. Ils photographient alors ce que c’est que d’être un lecteur actif.

Vous avez conduit les élèves à transférer les compétences ainsi travaillées : de quelles façons ?

Si les élèves ont pris la défense ou accusé Médée, Corneille par son écriture a pris le parti de Médée.

Cette lecture qui vise à s’engager permet aussi de lire l’engagement d’un auteur ou d’un metteur en scène. J’ai donc transféré par une lecture analytique et par une lecture de mise en scène. Dans la lecture analytique ; la problématique était celle de la séquence. Dans la mise en scène, il s’agit de voir le parti pris esthétique de Corréia : mise en scène classique ou baroque ?

Enfin et surtout, en travaillant cet engagement, on démontre que la lecture est un geste qui demande de se positionner et de défendre son point de vue. La lecture est un acte social : entre individu et groupe. L’individu propose, défend et le groupe cautionne, accepte. Or, c’est cet aller-retour permanent que nous faisons en classe et qui va se voir ainsi légitimé tout au long de l’année.

Le travail mené veut renforcer l’engagement du sujet lecteur : au final, quelles vous semblent les difficultés et intérêts du travail mené ?

Tout est affaire de temps et de rythme. Là est la difficulté du travail. Le numérique m’a éloignée d’un autre écueil : perdre les élèves en difficulté. Le numérique permet le suivi efficace des élèves, on les suit, donc ils ne peuvent pas s’égarer.

Lire ainsi une œuvre permet de sortir des sentiers battus : les élèves sont très actifs, ils sont obligés de l’être. Sans cela, ils ne peuvent rien produire. Par ailleurs, le travail en groupes ouvre de réelles discussions sur l’œuvre pour mieux la comprendre et l’interpréter. Des débats riches ont pris place. Ils n’auraient sans doute pas existé à coup de lectures analytiques. Enfin, les élèves creusent la posture philosophique face au texte. Ils s’interrogent sur la morale, l’éthique, la justice au sujet de l’œuvre, certes mais mettent aussi l’œuvre en perspective avec l’actualité. C’est aussi une façon de réaliser un travail d’EMC assez poussé.

Il est effectivement tentant de faire le procès de Médée : par-delà ce personnage et cette pièce, qu’y a-t-il selon vous de transférable sur d’autres œuvres et dans d’autres séquences ?

De manière moins ambitieuse parce que le temps nous fait défaut, en 1ère, j’ai tenté cette année, la construction d’une ligne de défense en faveur de la réhabilitation des « Fleurs du mal » en 1949. J’avais constitué un dossier de textes critiques et journalistiques pour ce faire. Ce travail était l’antichambre d’une dissertation.

Quant à transférer sur un autre personnage, pourquoi pas ! Toutefois, Médée me semble idéale : elle suscite tellement la controverse au premier abord !

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

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