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Des motifs d’inquiétude au lycée Clade Bernard (Paris 16ème), il y en a. Mais la rentrée des professeurs s’est faite dans un climat apaisé. Les professeurs sont confiants dans leur capacité à s’approprier la réforme. Avec ce que ça implique d’adaptation locale pour que les objectifs de formation des élèves demeurent. Il reste des points difficiles, comme la multitude des évaluations ou les choix de spécialités des élèves. Mais les enseignants pensent pouvoir s’arranger localement avec la réforme même si une partie d’entre eux sont en désaccord avec sa philosophie.

Le parent pauvre du 16ème

Claude Bernard est une des dernières cités scolaires parisiennes. Dans le même établissement se cotoient près de 400 collégiens et 700 lycéens (généraux et technologiques) auxquels s’ajoutent 250 étudiants de CPGE (économiques et scientifiques). Situé dans un arrondissement chic, le 16eme, le lycée Claude Bernard se voit comme « son parent pauvre ». Il souffre de la proximité de lycées prestigieux (Janson, Say, etc.). Son recrutement se fait sur les cités HLM des maréchaux et en partie sur le 15èùme arrondissement, moins privilégié. « Ici on fait de l’éducation nationale » , aime dire Martine Ferry-Grand, la proviseure. Le lycée accompagne les élèves . « Ca nous démarque des voisins », ajoute-elle. Dans les évaluations 2018 Claude Bernard a des résultats bruts inférieurs aux prestigieux établissements du 16ème. Mais il a une valeur ajoutée positive ce qui n’est pas forcément leur cas.

Neuf enseignants manquants à la rentrée

Le 30 aout, dans la grande salle Julien Gracq (un ancien élève du lycée), la rentrée se fait dans le brouhaha des salles des profs. La centaine d’enseignants du lycée se retrouvent et parlent vacances. On voit tout de suite la quinzaine de nouveaux enseignants un peu isolés à l’écart des groupes qui se constituent spontanément. La réforme du lycée est la grosse question de la rentrée et il faut bien deux heures de réunion pour échanger.

On dit que c’est au moment des réformes qu’on voit ce que vaut le chef d’établissement, entre ceux qui plantent leur établissement par incompétence (si si ça s’est vu !) et ceux qui arrivent à adapter la réforme à l’établissement. Martine Ferry-Grand est de ceux ci. Mais l’établissement a aussi des atouts. Les professeurs du lycée enseignent aussi au collège : l’impact de la réforme en est réduit d’autant. Le lycée compte suffisamment de salles ce qui facilite les emplois du temps, un des problèmes du jour. D’ailleurs devant le café on ne parle que de ça. Car à Claude Bernard, les professeurs ont déjà leur emploi du temps.

Commençons par ce qui ne va pas du tout. A Claude Bernard, comme dans de nombreux lycées franciliens, les manuels scolaires du lycée ne sont pas arrivés. Et les enseignants comprennent qu’il faudra quelques semaines. Plus grave, il manque 9 enseignants lors de la rentrée ce qui est loin d’être négligeable. Les enseignants s’attendent à voir arriver autant de contractuels au fil des prochaines semaines.

Huit spécialités

Mais globalement le lycée se tire bien de la réforme. La proviseure y voit « un sacré défi » et « une occasion de faire la différence » avec les autres établissements. L’application de la réforme a été préparée avec les différents conseils de l’établissement depuis le début 2019.

L’établissement a reçu 8 spécialités : maths, physique – chimie, Svt, HGGSP,HLP, NSI, SES et arts plastiques. Ce qui manque c’est la littérature étrangère et ça s’est soldé par le départ d’une enseignante. Selon la proviseure tous les élèves ont pu avoir le parcours de leur choix. Elle cite en exemple un parcours arts plastiques maths SES qui correspond à un projet professionnel précis. Les effectifs des groupes se situent autour de 30 sauf en maths où ca monte à 35.

La question des choix des élèves

En apparence les élèves ont obtenu leur choix. Mais la proviseure et les enseignants sont inquiets sur ces choix. L’année dernière les élèves ont beaucoup hésité avant d’arrêter leur choix. Pour beaucoup c’est un choix dicté par les parents, avec ce que ca implique d’inégalités. Les élèves ont généralement reconstruit les ancienne filières de la série générale.

La question du choix va se poser à nouveau cette année pour le passage de 3 spécialités en première à 2 en terminale. Comment les élèves vont-ils choisir alors qu’on leur demande un avis à al fin du 1er trimestre, au moment où ils ont peu d’évaluations ? Comment les élèves vont-ils suivre dans une spécialité qu’ils vont quitter en fin de 1ère ? La question est encore plus pointue en maths : comment enseigner un programme très exigeant avec des élèves qui ne feront plus de maths en terminale ?

Parce qu’il y aussi les programmes. Apparemment la majorité des enseignants les jugent trop difficiles voire infaisables.

La course aux évaluations

Mais ce qui occupe surtout la réunion de rentrée c’est les évaluations. « Quand on est évalué on n’apprend pas », dit justement Martine Ferry-Grand. Comment concilier la course aux évaluations avec la formation des jeunes ?

A Claude Bernard on entend à la fois garder les bacs blancs, ne serait ce que pour l’évaluation globale qui entre pour 10% dans le bac. Pour celle ci les professeurs s’inquiètent des coefficients.

Mais il y a en plus le controle continu. La circulaire est complexe et ca discute fort entre profs. « Je ne suis pas tout seul à ne pas comprendre »… On se demande quand on va pouvoir mettre les épreuves. D’autant qu’il y a un calendrier académique. Lors de la réunion émerge une solution susceptible de garder à l’établissement un fonctionnement normal. « Il faut de la légèreté. Pas de bac blancs supplémentaires », explique la proviseure.

Mais il y a aussi le problème de la correction. Les professeurs ne vont pas corriger leurs élèves mais ils entendent qu’ils ne soient pas corrigés comme ceux d’établissements plus prestigieux. La solution c’est que le professeur prépare un corrigé type. Les enseignants craignent aussi « des magouilles » : que les sujets soient préparés en classe à l’avance, puisqu’ils seront connus des enseignants. Et puis il y a la stratégie de certains élèves qui s’absentent aux controles jugés difficiles. Comment va-t-on gérer cela ? On retrouve là un problème de fond du nouveau bac qui a cassé le diplome national en sauvegardant les apparences, ce qui aboutit à une rare complexité.

Il y a ces zones d’ombre encore à éclaircir dans l’année. Mais à Claude Bernard il semble que la réforme soit domptée. Certains lui restent hostiles et le font savoir en réunion. La plupart pense pouvoir se débrouiller avec. Appliquer une réforme c’est l’adapter aux réalités matérielles et pédagogiques de l’établissement. Un travail qui va durer toute l’année au moins.

François Jarraud