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Comment favoriser l’implication physique des élèves ? C’est la question que s’est posée Olivier Dieu, enseignant d’éducation physique et sportive et docteur en STAPS à l’université du Littoral Côte d’Opale (Calais). Pour cela, il a expérimenté différentes typologies de pratiques dans l’activité Badminton, loin des allants de soi, les résultats sont surprenants et questionnent l’activité même de l’enseignant d’EPS. Il présentera ses travaux à la 3ème Biennale de l’AE-EPS.

Pouvez-vous expliquer votre expérimentation ?

En EPS, des classifications existent pour catégoriser les activités physiques et sportives en modifiant leurs formats traditionnels afin de générer des émotions positives. Récemment, nous avons mesuré l’effet des différentes typologies de tâches proposées par Gagnaire & Lavie sur l’implication des élèves en termes à la fois de plaisir déclaré et de quantité d’activité physique. 44 élèves de collège et lycée ont ainsi participé à un cycle de badminton composé de trois tâches caractérisées par une orientation émotionnelle spécifique. Chaque participant a joué 3 matchs dans chaque type de tâche (défi, rencontre, épreuve). Le plaisir perçu des élèves a été mesurée par questionnaire et la quantité d’activité physique a été évaluée par accéléromètre.

Le premier type de tâche (orienté vers le défi et la compétition) est une « Montante –descendante ». Le but de cette tâche est de gagner des matchs de 11 points contre différents adversaires pour atteindre le « meilleur » terrain. Dans le second type de tâche, la « ronde italienne » (conçue pour promouvoir la rencontre), les élèves constituent des équipes hétérogènes de trois joueurs et jouent un score cumulé de 15 points l’un après l’autre (le meilleur joueur de l’équipe 1 affronte le meilleur joueur de l’équipe 2, puis les joueurs intermédiaires s’affrontent et enfin les joueurs moins habiles). Dans le troisième type de tâche, le « challenge » (conçue pour promouvoir l’exploit personnel), les élèves moins habiles pouvaient défier un joueur de rang supérieur dans un jeu à 11 points démarré avec un handicap positif dépendant de la différence de niveau entre les joueurs (si un joueur moins habile met au défi un joueur intermédiaire, il commence le jeu avec score de 4-0 ; s’il met au défi un joueur du meilleur groupe, il démarre à 7-0).

Nous avons ensuite croisé l’effet de ces typologies de pratiques avec les principales variables utilisées dans les travaux sur l’engagement dans les pratiques physiques: l’âge, le sexe et l’expertise.

Pourquoi s’intéresser à la quantité de pratique des élèves ? Est-ce significatif ?

Plus qu’à la seule quantité de pratique nous nous intéressons au lien entre quantité de pratique et nature de l’expérience vécue par les élèves en EPS. S’intéresser uniquement à la quantité de pratique reviendrait à cautionner une approche déductiviste vis-à-vis des pratiques sportives de type “sport sur ordonnance” dans laquelle il suffirait de prescrire des activités énergétiques pour qu’ipso facto les élèves bougent davantage. Pour nous, la question du « combien » on bouge (quantité d’activité physique) ne saurait faire l’économie du « pourquoi » on bouge (plaisir pris). Nous considérons donc que le plaisir éprouvé en EPS est à la fois un levier et une variable clé de la persistance dans l’activité physique.

Cette question du plaisir pris en EPS mérite surement d’être posée à l’heure où de nombreux élèves décrochent du sport à l’école (PISA, 2015), en particulier les filles, et les élèves de la voie professionnelle.

Alors qu’il est un des sports de raquette les plus sollicitant, nous pointons un obstacle qui nous semble aboutir à une sous exploitation de la dimension énergétique du badminton à l’école : une approche rationaliste et cognitiviste de la didactisation du badminton scolaire : en vue de former un « citoyen lucide » le traitement didactique s’est davantage opéré sous l’angle des ressources perceptivo décisionnelles que sous l’angle des ressources affectives et énergétiques.

C’est-à-dire, il existe une dérive dans le traitement « en général » qui est fait du badminton ?

Alors que les élèves plébiscitent le badminton comme « activité ludique engendrant une dépense énergétique importante en un minimum de temps » (Gomet, 2012), le badminton, à l’école, est souvent un badminton « en réduction » qui privilégie l’évaluation des compétences sur le(s) plaisir(s) des élèves. Ainsi, soit son traitement didactique minimise la charge physique au profit des dimensions perceptives et décisionnelles : un badminton se jouant en solo, sur des temps courts, avec l’objectif de rompre rapidement en un minimum de frappes. Soit, le badminton proposé repose sur un enseignement techniciste décontextualisé du jeu qui s’éloigne de la logique interne de l’activité. Dans les deux cas, la question du plaisir pris par l’élève n’est pas centrale.

Or la spécificité du badminton est que la question de l’activité décisionnelle est concomitante à l’expérimentation d’un effort intense et des émotions qu’il procure. C’est pourquoi nos propositions s’inscrivent dans une perspective conative à la fois inductive (car elle part du joueur, de ses préoccupations, de ses sensibilités au plaisir) et holistique (car elle prend en compte à la fois les aspects affectifs, cognitifs et moteurs de la conduite).

Loin de remettre en cause l’objectif de citoyenneté alloué à l’EPS et l’apport éducatif indéniable des activités de raquette en termes « d’éducation au choix », il semble que la demande sociale des années 2020 fasse émerger de nouveaux enjeux comme celui de lutter contre la sédentarité imposée par l’augmentation du « temps écran ». L’objectif de santé et de mouvement doit donc être une mission réaffirmée du professeur d’EPS.

Quels ont été les résultats de votre expérimentation ?

Tout d’abord, le premier résultat de notre étude est qu’en termes de plaisir déclaré, il n’y a pas de différences significatives entre les 3 formats de pratiques et ce même si on croise les variables d’âge, de sexe et d’expertise. De plus, les scores de plaisir sont relativement haut (5,3 sur une échelle de 7). Pour autant, la quantité d’activité physique, elle, diffère selon les formats. Le plaisir déclaré, seul, ne semble donc pas être un facteur exhaustif pour appréhender la mobilisation des élèves. Ce décalage entre le « dire » et le « faire » nous pousse à relativiser le poids du déclaratif en EPS et à ne pas trop se focaliser sur les impressions des élèves quand on leur demande de s’exprimer à propos d’une activité. Cela n’est pas toujours révélateur de leur engagement in situ.

En termes d’activité physique, il en ressort que la « rencontre » n’est pas un format magique pour augmenter l’activité physique. La « ronde italienne » (rencontre) basée sur la convivialité n’a pas généré de scores d’activité physique supérieurs à la montante descendante (défi) pour les élèves. Par contre, dans la tâche de « challenge » (épreuve), les élèves bougent moins que dans la tâche de rencontre.

Pourtant la « rencontre » est souvent utilisée au prétexte d’augmenter l’activité physique, notamment des filles pour sortir des buts compétitifs ?

Dans notre étude, la ronde italienne, tâche additive basée sur la convivialité n’a pas généré, pour les filles, de scores d’activité physique supérieurs à ceux des autres tâches. La rencontre n’est donc pas un format magique pour augmenter l’activité physique des filles.

L’idée stéréotypée selon laquelle les garçons auraient tendance à louer les modalités sportives qui impliquent plus de confrontation physique et de compétition, tandis que la tendance des filles serait de valoriser la sociabilité se discute donc. Cela porte la vigilance sur certaines formes d’enseignement du badminton scolaire (jeu d’échanges en continuité) et certains rôles sociaux (coaching, observateur) dans lesquels se réfugient souvent les filles, où finalement le désir de « coopération » pourrait à terme nuire à l’action.

Il semblerait que les matchs à handicaps (épreuve) démobilisent les plus habiles ?

Si les élèves des stades 1 (novice) et 2 (niveau intermédiaire), ne présentent pas de différence significative en termes de quantité d’activité physique dans les 3 formes utilisées, les élèves de niveau 3 bougent moins dans la tâche « épreuve » qu’en « défi » et « rencontre ». Cette étude questionne donc la gestion de l’hétérogénéité dans les sports d’opposition. Aménager artificiellement le rapport de force pour faire jouer ensemble des élèves de niveaux différents (handicaps de score) afin de rétablir l’égalité présente des limites. Cela n’augmente pas la quantité de mouvements des filles ou des « joueurs moins habiles », en revanche cela réduit l’activité des garçons et notamment des garçons les plus habiles (produisant un rétablissement de l’égalité « par le bas »).

Bien conscient des limites de toute recherche, quelles conséquences selon vous en EPS ?

Si la valence « coopérative » du badminton n’est pas magique pour mettre les adolescents en mouvement, elle présente des intérêts : (1) en termes de gestion de l’hétérogénéité, et (2) dans une perspective de nouveauté (nécessaire à la motivation) par rapport au format compétitif et hiérarchisant de la « Montante-descendante ».

En effet, en EPS, il est aujourd’hui nécessaire de trouver des alternatives à la montante descendante (qui sur le long terme stigmatise les élèves les plus faibles) sans pour autant faire baisser la quantité d’activité physique des élèves.

Les formes coopératives de type « ronde italienne » sont, dans ce cadre, prometteuses car elles mobilisent plus que les matchs à handicaps (challenge) et autant que les matchs classiques (montante descendante), au moins au collège. Pour faire bouger les élèves en EPS, il vaudrait donc mieux privilégier des équipes hétérogènes en conservant l’équilibre du rapport de force (ronde italienne) que chercher à rétablir artificiellement le rapport de force entre deux joueurs de niveaux différents.

Dans une perspective rénovée d’éducation à la santé, qui met en avant le lien entre plaisir et mouvement (Ekkekakis, Hargreaves, & Parfitt, 2013), se poser la question des facteurs d’engagement, des « plaisirs d’agir » pour augmenter le mouvement consenti des élèves en EPS nous semble être une nécessité. Chaque APSA peut être interrogée sous l’angle des mobiles d’agir et devenir ainsi une occasion de relever le défi de la santé, qui ne devrait pas rester l’apanage de la seule CP5.

Propos recueillis par Antoine Maurice

Dieu, O. (2010). Badminton : l’éternel débutant. Revue EPS, 343, 10-13.

Dieu, O. (2015). Badminton, rompre avec l’éternel débutant : de l’évaluation des compétences attendues à l’observation de l’activité de l’élève. Enseigner l’EPS, 266, 12-17.

Dieu, O. (2018). Badminton : et si on prenait le temps de parler de score ! Revue EPS, 379, 68-71.

Dieu O., Joing, I., Llena, C. (In press). Prendre en compte les prévalences conatives des élèves en badminton : vers une pédagogie de la mobilisation en EPS. In J. Visioli & O. Petiot (Eds), Regards croisés sur les sports de raquette, AFRAPS.

Dieu O. (In press). Santé en EPS et engagement des élèves : une illustration dans l’enseignement du badminton. In J. Visioli & O. Petiot (Eds), Regards croisés sur les sports de raquette, AFRAPS.

Dieu, O. Expérience corporelle et sens du mouvement : matérialisation via l’actimétrie du « contexte altéré par l’action » dans l’évolution du joueur de badminton. STAPS. The international journal of sport science. 2012 ; 98 : 49-65.