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« Les épreuves ont commencé à se dérouler depuis plus d’une semaine dans le calme le plus total à partir du moment où il n’y a personne pour perturber ». Cette lapalissade, JM Blanquer l’a lâché lors d’un long entretien sur France Inter le 19 janvier. Il n’a cessé d’opposer « 99.9% des enseignants qui sont d’accord avec ce que je dis » et des « minorités radicalisées antidémocratiques et antirépublicaines » responsables des « perturbations ». A la veille de l’ouverture de la première session du nouveau bac, le ministre dresse un paravent médiatique devant la série d’événements qui ont déjà commencé contre une réforme menée trop rapidement et dans l’irrespect de principes de base des examens.

« 99.9% des enseignants sont d’accord »

Le 19 janvier sur France Inter, à la veille des premières épreuves de controle continu du nouveau bac (dites « E3C »), JM BLanquer a pu durant une heure pourfendre tous ceux qui s’opposent à sa politique. « Il n’y a pas de climat anti-Blanquer à l’éducation nationale » explique le ministre. « Prenez le bac, la réforme a recueilli l’adhésion quand je l’ai présentée. « 99.9% des enseignants sont d’accord avec ce que je dis ».

Même proférés avec force, ces propos restent faux. Présentés au Conseil supérieur de l’éducation le 21 mars 2018, tous les textes sur le bac ont été rejetés par la majorité du conseil. Le décret sur le bac est rejeté par 40 voix contre et 19 pour (Unsa, Snalc). C’est pire pour l’arrêté sur le contrôle continu, l’épreuve dont parle JM Blanquer, qui trouve 48 voix contre et seulement 9 pour. Le texte sur le bac technologique est repoussé par 46 voix contre. Celui sur le bac général est lui aussi rejeté par 41 voix contre et 17 pour.

Passons maintenant en 2020. JM Blanquer souligne que Clermont est « le seul endroit » où il y a eu une contestation de l’épreuve qui serait l’oeuvre « d’une minorité radicale ». A Clermont, le 18 janvier, une centaine de manifestants a envahi le lycée et empêché l’épreuve d’anglais. Quelques jours auparavant l’épreuve d’anglais avait été aussi annulée par une manifestation d’opposants de toutes professions.

Un site du Snes recense les perturbations des épreuves E3C à partir des dépêches de presse. Le cas de Clermont Ferrand est loin d’être le seul. Par exemple à Montauban, 200 élèves du lycée Bourdelle ont voté le 17 janvier le boycott des épreuves du controle continu selon La Dépêche.

Tous les syndicats enseignants contre la réforme

JM BLanquer estime « qu’il risque d’y avoir des perturbateurs mais que ce sera très limité car les professeurs ont le souci de l’intérêt des élèves ». Et là il n’a pas tort. Les enseignants ajouteront rarement du stress à celui déjà ressenti par les élèves. Mais ceux qui le feront seront pleinement compris par leurs collègues.

Pour autant dans de nombreux lycées les enseignants ont déjà exprimé leur refus de la réforme. Tous les syndicats enseignants du public ont demandé depuis plusieurs semaines l’annulation de la première session qui commence le 20 janvier. Le 16 janvier c’était au tour de tous les syndicats du privé (Fep Cfdt, Cgt, Sundep, Synep Cgc, Spelc, Snep Unsa) de demander aussi au ministre « de renoncer à cette session ». Et ils donnent les mêmes raisons que dans le public : « A mesure que les semaines passent, les problèmes sont de plus en plus évidents : problèmes d’organisation, lourdeur de la procédure, inégalités de conditions de passage et de traitement entre établissements et donc entre élèves », écrivent les syndicats.  » A moins de quinze jours de la tenue des épreuves, rien n’est prêt, ce qui contribue au stress grandissant des élèves. Les enseignants expriment leur malaise, ne pouvant faire correctement leur travail ».

Dans certaines académies la quasi totalité des lycées a adopté des motions contre la tenue de ces épreuves ou ont refusé de participer au choix des sujets. C’ets le cas par exemple en Bretagne où le recteur a adressé le 13 janvier un courrier aux proviseurs prévoyant tous les cas de refus et la démarche qu’ils devront suivre.

Le refus de choisir les sujets ne peut donner lieu à une sanction. Là où les professeurs refuseront de surveiller les épreuves ils devront se déclarer grévistes. Dans le cas de refus de correction, les enseignants risquent de se retrouver dans le cas des enseignants de cet été avec des suspensions de traitement jusqu’au retour des copies.

Les raisons d’un refus

Les enseignants sont souvent choqués par les inégalités engendrées par la réforme. Bien sur il y a une banque nationale de sujets mais elle est parfois inopérante, notamment quand les enseignants n’ont aps anticipé et aligné leur progression depuis septembre (à un moment où il y avait peu d’information sur les sujets).

Les inégalités existent aussi dans les conditions de passation des épreuves. Selon un sondage réalisé par l’association des professeurs d’histoire-géographie auprès d’un millier d’enseignants, l’épreuve de controle continu aura lieu sur des heures de cours normales dans un tiers des cas, sur une semaine banalisée pour un autre tiers et sur une demi journée banalisée pour un dernier tiers. Ces trois configurations donnent des conditions réelles de passation très différentes au niveau de la surveillance, de la préparation des élèves et de leur fatigue.

Le pompon c’est quand le rectorat lui-même fabrique de la triche. Ainsi au lycée Vaucanson de Tours, les enseignants ayant refusé de proposer des sujets d’histoire-géographie, c’est l’inspection qui a fait le choix. Selon La Nouvelle République, la proviseure du lycée a indiqué aux élèves les chapitres à réviser en histoire -géographie. Elle l’a fait à la demande de l’inspection qui estime « qu’il est habituel de donner des indications pour les révisions » en controle continu. C’est nettement moins habituel pour les épreuves du bac. Les élèves de Vaucanson partent avec un avantage que n’ont pas leurs camarades d’autres lycées.

Cet incident rappelle la principale critique qui est faite au bac Blanquer : celui de faire du bac un diplôme d’établissement. Le ministre n’a pas osé assumer un réel contrôle continu lors d ela rédaction des textes organisant les E3C. Et il a mis en place quelque chose qui n’est pas non plus une épreuve nationale. Il a construit un monstre qui génère beaucoup d’angoisse chez les élèves, qui met les enseignants en opposition avec les valeurs d’égalité qu’ils portent et qui au final n’est défendu par aucune organisation syndicale. Si la semaine qui s’annonce risque d’être terrible ce ne sera pas la faute de « minorités radicalisées » mais faute d’avoir écouté une profession qui de façon unanime criait au feu.

François Jarraud

Sur France Inter

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Clermont