Print Friendly, PDF & Email

Après une année chaotique et violente, un passage ultra brutal à l’enseignement à distance et au confinement puis un déconfinement qui n’en finit pas, on comprend que de nombreux enseignants sont au bout du rouleau. Comment éviter le burnout ? Dans l’immédiat la réponse est dans pile un mois… Mais sur le fond, Philippe Gay et Philippe Genoud (Haute école pédagogique du Valais et Université de Fribourg) interrogent, dans Recherches en éducation (n°41) l’apport des compétences émotionnelles au métier enseignant. Au terme d’une recherche portant sur 200 enseignants, ils estiment que la connaissance de ses propres émotions protège efficacement contre le burnout.

« Les enseignants éprouvent une large gamme d’émotions en réaction aux comportements et aux résultats de leurs élèves, notamment de la frustration, de l’inquiétude, de la déception mais aussi de l’espoir, de l’enthousiasme et de la fierté. À cela s’ajoutent les préoccupations personnelles et des aspects de l’enseignement (relations avec les collègues et la hiérarchie…) qui vont au-delà de la salle de classe. S’occuper de ces émotions est notamment crucial pour garantir la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage dans les classes », écrivent Philippe Gay et Philippe Genoud.

« Une enquête récente menée auprès de 5 477 enseignants (dont 76 % de femmes) en Suisse Romande a mis en exergue une situation alarmante. En effet, plus de 42 % des enseignants présentent des scores élevés de burnout sur la dimension d’épuisement relative à la personne, plus de 26 % sur celle liée aux relations avec les élèves, et plus de 22 % sur celle liée au travail. Par ailleurs, le score moyen de burnout est légèrement plus élevé chez les enseignants qui exercent au niveau primaire qu’au niveau secondaire », poursuivent-ils. Une étude de la Depp a montré en 2019 que les enseignants suisses sont moins sujets au burnout que leurs collègues français. Le suicide de C Renon, la très récente lettre de 99 directeurs montre que le burnout est très présent en FRance dans l’enseignement primaire.

Philippe Gay et Philippe Genoud ont évalué le niveau de burnout de 202 enseignants du premier degré en Suisse romande en estimant aussi leur niveau en compétences émotionnelles. Ils ont utilisé 10 compétences. 5 compétences interpersonnelles : savoir reconnaitre ses émotions, connaitre les raisons des épisodes affectifs, réussir à réduire ses émotions, comprendre la valeur de ses émotions. Et 5 compétences intrapersonnelles : repérer les émotions d’autrui, comprendre ce quigénère des émotions chez autrui, faire preuve d’écoute, aider les autres à réguler leurs émotions, comprendre la valeur des émotions d’autrui. Et ils ont calculé la corrélation entre le niveau de burnout et les compétences émotionnelles.

Le premier enseignement de leur étude c’est que l’expérience finalement protège peu du burnout. En tout cas elle protège moins que les compétences émotionnelles. Ensuite certaines compétences sont plus efficaces que d’autres.

« Au niveau des dix compétences émotionnelles spécifiques, la compréhension de ses propres émotions est la dimension qui est la plus fortement associée aux trois caractéristiques du burnout des enseignants », écrivent-ils.  » Les enseignants qui comprennent mieux leurs émotions rapportent moins de burnout, particulièrement moins d’attitudes détachées voire méprisantes envers les élèves et plus de capacités pour répondre de manière adéquate aux attentes des élèves. Par ailleurs, une meilleure compréhension des émotions d’autrui est associée uniquement à des scores plus faibles de burnout sur la dimension de réduction d’accomplissement personnel. Ces résultats peuvent s’expliquer en partie par le fait que comprendre les émotions facilite les prises de décisions pédagogiques. Il est également possible que comprendre les émotions aide les enseignants à penser de manière plus constructive en facilitant les évaluations des causes profondes des émotions et des interprétations adaptées dans le milieu de l’enseignement. Par exemple, au lieu de se démotiver ou de culpabiliser lorsqu’un élève ne comprend pas ou refuse de se mettre au travail, les enseignants qui comprennent mieux leurs émotions et celles de leurs élèves sont à même de mieux ré-évaluer cette situation en la relativisant et en évitant de chercher à tout prix un responsable à cet état de fait… L’identification des émotions (chez soi et chez autrui) est également une compétence qui corrèle modérément avec différentes dimensions du burnout ».

Ils en concluent que ces compétences doivent entrer dans la formation des enseignants. « Comme les enseignants émotionnellement plus compétents semblent mieux équipés pour faire face au burnout et pour gérer avec succès différentes situations scolaires stressantes, la formation des enseignants peut gagner à s’occuper particulièrement des émotions de ces derniers ». Et ils imaginent des séquences en formation initiale ou continue.

F Jarraud

Recherches en éducation n°41