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Ce sera le premier affrontement direct entre les syndicats et le ministre depuis le printemps dernier. Le 10 novembre une intersyndicale (FSU, Cgt, Sud, Fo, Snalc, Sncl Faen) appelle à la première « grève sanitaire ». Mais bien d’autres raisons vont pousser une partie des enseignants hors des écoles et des établissements.

Nouvelle forme de grève, vieux enjeux

Dans les circonstances actuelles les enseignants ont bien des raisons de ne pas faire grève, ne serait ce que le désarroi des élèves et des familles, la maigreur des salaires, la menace terroriste, l’apparente inflexibilité du ministre.

Les syndicats appellent à une « grève sanitaire », un nouveau concept qui souligne l’incapacité du ministre à gérer la crise sanitaire. Concrètement ils demandent une meilleure protection des enseignants et des élèves et des recrutements pour faire face à la situation.

Car la grève sanitaire est aussi une grève pour le recrutement. Pour pouvoir accueillir les élèves dans une meilleure sécurité sanitaire il faut pouvoir réunir des groupes moins nombreux ce qui suppose soit d’avoir davantage d’enseignants soit de réduire les heures de cours. En lycée, c’est ce choix qui est fait. Quand seulement 50% des élèves sont en présentiel, les 50% restants ont du travail à faire mais l’enseignant ne peut pas à la fois faire classe et enseigner à distance.

Au collège et dans les écoles, l’épidémie augmente les tensions sur la gestion des enseignants. Compte tenu des malades ou des professeurs en isolement, les ressources en remplaçants sont souvent épuisées. Résultat les professeurs des écoles accueillent dans leur classe les élèves de leurs collègues, ce qui augmente les risques de transmission du virus et renforce un brassage que l’on veut réduire. Si le ministre ne veut pas réduire le temps d’enseignement en présentiel au collège et à l’école , on lui demande au moins de renforcer les effectifs d’enseignants. Il n’a pas une importante marge de manoeuvre. Mais il a les enseignants inscrits en listes complémentaires, c’est à dire des enseignants reconnus d’un niveau suffisant par les jurys mais pour lesquels il n’y avait pas de postes. Ce geste d’apaisement bien des ministres l’aurait fait spontanément. Mais pas JM BLanquer. A défaut les enseignants demandent que les groupes soient réduits.

Une profession qui a beaucoup donné

L’épidémie augmente aussi la tension des enseignants. Depuis mars dernier ils ont beaucoup donné. Pendant deux mois ils ont porté à eux seuls l’institutions scolaire en inventant tout seuls, sans aucun soutien du ministère, les solutions pour que l’enseignement puisse continuer. La « continuité pédagogique » a été inventée sur le terrain par des enseignants qui ont fait preuve d’inventivité sans ménager leur temps et leur peine. Dans les épisodes suivants, jusqu’à cette rentrée, ils doivent encore pallier l’impréparation complète de l’institution face à la crise sanitaire.

Le moindre que l’on peut dire c’est qu’ils ont fait l’expérience d’une rare ingratitude dès le déconfinement. En guise de remerciements ils ont eu l’épisode du prof bashing et les promesses de revalorisation non tenues. Puis des masques pour le moins douteux. Puis de nouveaux critères de définition des cas contacts de façon à maintenir les classes ouvertes aboutissant aux statistiques irréalistes du ministère de l’éducation nationale.

La façon dont a été géré l’hommage à S Paty a été une autre amère expérience. Après avoir fait semblant de négocier avec les syndicats une matinée d’hommage réellement pédagogique, le ministre a tout réorganisé sans explication et sans aucune allusion aux engagements pris avec les représentants des enseignants. L’hommage a été vite expédié sauf là où les directions ont su écouter les professeurs.

L’épidémie donne aussi du pouvoir

Le retour de l’épidémie et du confinement met les enseignants dans une situation curieuse. D’un coté on leur impose des conditions sanitaires très dégradées avec un risque réel d’attraper la maladie du fait de l’entassement des personnes dans les salles de classe, d’un nettoyage très souvent insuffisant, d’un brassage des élèves qu’il est impossible de supprimer dans les conditions imposées par la rue de Grenelle.

D’un autre coté les enseignants ont fait l’expérience lors du confinement précédent de l’autogestion du système éducatif. On en connait les limites : sans réelle école une bonne partie des élèves, et justement ceux que l’on voudrait garder, sont perdus. Mais cette expérience d’une école inventée par les professeurs, les élèves et les parents alors que l’institution a disparu est aussi fondatrice. Les enseignants peuvent y puiser des forces morales. Ce sont eux qui font tourner la machine scolaire alors que l’institution s’avère incapable d’anticiper et de préparer. L’impréparation est devenue visible par tous. C’ets sur le terrain, souvent dans la concertation avec le chef d’établissement, que se construit le présent… si l’institution ne tente pas de se mettre en travers.

Alors difficile de prévoir quelques jours après la rentrée ce que sera ce mouvement. Les enseignants vont hésiter à laisser tomber leurs élèves dans la situation actuelle. Il est certain qu’il y aura de fortes différences d’un département à l’autre. Le Snuipp-Fsu par exemple annonce 20% de grévistes dans les écoles. Mais à Paris ce pourrait être le double. Les enseignants ont vu leur ministre céder pour les lycées. Ils pourraient aussi avoir envie d’imposer d’autres conditions de travail dans les collèges et les écoles.

François Jarraud