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Vice-présidente du CSP « démissionnée » par la présidente actuelle, Sylvie Plane a participé à la rédaction des programmes de 2015. Elle analyse la Note publiée par le Conseil supérieur des programmes (CSP) qui présente les principes des futurs programmes de maternelle.

La loi, votée ou pas encore votée : un prétexte pour réorienter l’école maternelle

Pourquoi le Conseil supérieur des programmes vient-il de publier un texte bizarre, mal bâti, agglutinant des fragments disparates, qu’il a intitulé « Note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle » ? À l’en croire, il s’agirait de répondre à l’immense changement dans la fréquentation de l’école maternelle qu’instaure la loi de 2019 rendant obligatoire l’instruction à partir de trois ans. On se souvient en effet que ce thème avait servi de prétexte à une loi destinée à faire passer bien d’autres mesures, dont l’une, bien cachée dans un amendement obscur, visait surtout à priver les directeurs d’école d’une reconnaissance institutionnelle. Cependant, l’argument de l’augmentation de la fréquentation avancé par les auteurs de la note ne tient pas longtemps : ils admettent eux-mêmes que 97% des enfants sont déjà scolarisés en maternelle. La massification n’est pas à venir, elle est déjà là.

Mais la note du CSP ne se contente pas de la référence à la loi en vigueur, elle annonce : « à la rentrée scolaire 2021, c’est l’école, et non pas seulement l’instruction, qui sera obligatoire à 3 ans pour tous les enfants ». En affirmant cela, la note anticipe sur une mesure pas encore votée (elle avait été retoquée en 2019 par le conseil constitutionnel) qui figure dans le projet de loi contre le séparatisme soumis actuellement au parlement.

Prenant donc prétexte de la loi votée en 2019 et de celle qui est en débat, la note, contrairement à ce qu’annonce son titre, ne propose nullement une analyse des programmes de l’école maternelle qui avaient été très largement approuvés par la communauté éducative mais en fait la critique afin de les réorienter. Les compilateurs qui ont assemblé des fragments de textes pour en faire une note sont animés par l’idée que la réussite des tests d’entrée au cours préparatoire doit désormais devenir l’enjeu majeur de l’école maternelle. Cependant, comme la note est issue d’un collage de textes mal raboutés entre eux, il subsiste des contradictions et on trouve çà et là quelques mises en garde signalant que la maternelle n’est pas une préparation au cours préparatoire, en complet décalage avec la teneur d’ensemble de la note du CSP.

L’obsession de la mesure et des tests

L’obsession de l’évaluation et de la réussite à des tests qui anime cette note se manifeste de plusieurs façons. Elle se marque d’abord par le choix des domaines auxquels s’intéresse la note : ceux qui sont évalués au CP sont donc privilégiés. Outre le français, les mathématiques occupent donc une place importante puisque, à l’entrée au CP, les élèves seront évalués en français et en mathématiques. Les auteurs de la partie consacrée au domaine mathématique s’offusquent d’ailleurs que ce dernier soit situé en cinquième position dans les programmes actuels, comme s’il s’agissait là d’un signe d’irrespect. Les sciences et la technologie sont elles aussi évoquées, mais pour justifier leur importance en maternelle les auteurs invoquent le bilan de fin de collège ! En revanche pas un mot sur le domaine artistique et sur l’activité physique. Il ne faudrait pas que les élèves de maternelle perdent leur temps alors qu’ils doivent se préparer assidument aux évaluations de CP.

Des développements importants sont bien entendu consacrés au français, ou plutôt à la lecture et au principe alphabétique, puisque c’est cela qui est évalué à l’entrée au CP. On y trouve quelques perles qui pourraient être réjouissantes si le sujet n’était pas si grave. Par exemple page 17, dans la rubrique intitulée « Développer la compréhension de messages et de textes entendus » figure cette formule qui amalgame deux objectifs :« L’enseignement, centré sur la compréhension des textes entendus, vise à introduire le principe alphabétique ». Ou encore page 20, pour expliquer les raisons pour lesquelles des enfants de 3 ans parlent un français très éloigné de celui qu’ils vont apprendre à lire et écrire, la note avance cette explication : « Il s’agit enfin, trop souvent, d’un défaut d’accès au principe alphabétique ». Notons au passage que l’emploi du terme savant « sémiologique » page 19 est non seulement cuistre mais inapproprié. La note du CSP sacrifie bien entendu au rite d’exécration de la méthode globale (page 18). Et il y aurait bien d’autres choses à dire sur les obsessions dont témoigne ce texte…

Tests et évaluation sont en effet les maitres mots de cette note, avec 31 occurrences des mots « évaluer » ou « évaluation ». Et cela commence très tôt, puisque les auteurs incitent à mesurer les compétences des enfants dès l’âge de trois ans. Une nouveauté à suivre que ce bilan de compétences à l’entrée en maternelle…

Sylvie Plane

Professeure émérite de sciences du langage Université Paris-Sorbonne

Ancienne vice-présidente du Conseil supérieur des programmes