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Une pétition a récemment été lancée par un collectif d’enseignantes, d’enseignants et d’acteurs et d’actrices du monde de l’éducation pour réclamer la démission de Jean-Michel Blanquer. Cette pétition, partie des préaux, s’inscrit dans un mouvement large de protestation contre l’action du ministre. Rapidement soutenue par des milliers d’enseignants, elle a dépassé les 10 000 signataires. Son but, au-delà de réclamer la démission d’un ministre qui suscite, plus qu’aucun autre, la défiance des personnels enseignants, était d’ouvrir de nouvelles perspectives pour l’avenir de l’école et au-delà, du monde éducatif.

Pourquoi une pétition ?

L’Éducation nationale traverse une terrible tempête, une tempête qui va crescendo : réforme des programmes de l’école à la hussarde, sans concertation et sans évaluation sérieuse des précédents ; réforme du baccalauréat ; de Parcoursup, qui a remplacé l’orientation par la désorientation ; double précarisation des enseignants caractérisée par un gel de leur salaire qui se poursuit depuis des années (alors même qu’il est déjà un des plus faibles des pays de l’OCDE) et une précarisation professionnelle illustrée par une tentative de priver les enseignants et enseignantes de l’intelligence de leur métier en les transformant en simples exécutants ; volonté forte, enfin, de les museler à travers l’article 1 de la Loi Blanquer sur l’école…

À tout cela est venu s’ajouter la crise de la COVID et les menaces sur la laïcité de l’école, dont le paroxysme a été l’assassinat terrible de Samuel Paty, professeur d’Histoire-Géographie de Conflans-Sainte-Honorine, par un terroriste islamiste. À chaque fois, la gestion par Jean-Michel Blanquer de ces évènements s’est révélée un fardeau supplémentaire pour les équipes éducatives.

Maintenant, ce sont des scandales d’état, révélés par Libération et Mediapart, qui viennent éclairer d’un jour nouveau l’action de Jean-Michel Blanquer à la tête de son ministère, et le discréditent encore davantage.

Notre École est un bateau fragile au milieu d’un océan déchainé. Dans cette tempête, celui qui est censé être le capitaine du navire le mène droit au naufrage.

Ordres, contrordres et désordres sont les trois mamelles de l’action de Jean-Michel Blanquer au milieu de cette tempête. Si l’école arrive encore à fonctionner, c’est malgré son ministre, et uniquement grâce à l’engagement des enseignantes et des enseignants ! De ce constat global est née une volonté forte : que l’école change de cap et de capitaine !

Un ministre qui ne respecte pas le monde enseignant

Dans ses discours, Jean-Michel Blanquer ne cesse de vanter son amour pour les enseignants et enseignantes, mais nous savons trop bien qu’il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour !

Or, comment ce ministre prouve-t-il son amour, ou même seulement son respect pour le monde enseignant ?

• En communiquant sur les chaines d’informations continues plutôt que par les voies officielles et règlementaires que sont les messageries électroniques professionnelles ?

• En modifiant au dernier moment l’heure de la rentrée scolaire des vacances de la Toussaint alors même que les collègues s’étaient organisés, sur leur temps de vacances, pour une rentrée à 10 h ?

• En réduisant l’hommage à Samuel Paty à une minute de silence et la lecture d’une lettre de Jean Jaurès totalement inadaptée au niveau des enfants ?

• En rédigeant l’article 1 qui tente de museler l’expression des enseignants et des enseignantes ?

• En publiant des petits guides orange, tel le Mao Tsé-Toung de l’école, petits guides qu’il faudrait suivre sans ciller, niant au passage l’expérience et l’expertise des enseignants et enseignantes ?

• En laissant entendre que l’université est un repère d’islamogauchistes qui seraient responsables de l’assassinat de Samuel Paty ?

• En imposant « son » manuel de lecture dans les classes de CP, reniant ainsi la liberté pédagogique des enseignants et leur professionnalité ?

• En organisant un grand colloque devant aboutir à une redéfinition du métier enseignant… sans y inviter aucun enseignant ou chercheur en sciences de l’éducation ?

• En modifiant les programmes de l’école maternelle auxquels adhéraient pourtant une très large majorité d’enseignants ?

L’Éducation nationale a besoin de faire confiance aux enseignantes et enseignants qui, chaque jour sur le terrain, affrontent les déferlantes pour éviter le naufrage de cette institution.

L’Éducation nationale doit changer de cap

Depuis de nombreuses années maintenant, l’École de la République est systématiquement déconstruite par Jean-Michel Blanquer. Elle est gouvernée par la folie bureaucratique et le fantasme du contrôle absolu, assujettie à des évaluations stériles et sclérosantes (que l’on imposerait maintenant à des enfants dès l’âge de trois ans !), prise en main par des idéologues libéraux qui ne jurent que par la norme et la compétition, et guidée par une aveugle soumission au dogme des « fondamentaux » lire-écrire-compter, oubliant au passage le rôle essentiel de la culture et le but de l’école qui est de créer du commun, de faire société, de faire advenir l’humanité dans l’homme.

L’École se perd. Et avec elle, les citoyens de demain. Alors qu’Emmanuel Macron — dont le programme plaçait l’éducation et la culture comme « premier chantier » — avait bénéficié du suffrage d’une majorité d’enseignants et d’enseignantes, la nomination de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Éducation nationale constituait déjà une trahison.

La liberté pédagogique doit être réaffirmée et le personnel enseignant respecté

Les professeures, les professeurs ne sont pas de simples exécutants. De plus en plus, leur métier est vidé de sa substance : mise en péril de la conception des apprentissages et des évaluations, augmentation des tâches administratives, processus bureaucratiques freinant toute initiative. L’École doit changer de cap, et c’est le monde enseignant, en appui avec le monde de la recherche, qui doit fixer ce nouveau cap, en faisant la part belle à la coopération, à l’émancipation individuelle et collective, à l’ouverture culturelle.

La liberté d’expression et la laïcité ne sont pas des objets d’apprentissage théoriques. C’est en les vivant au quotidien dans nos classes, dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos lycées, dans nos universités, que nous formerons des citoyens qui sauront les respecter et les faire vivre.

L’École a besoin d’enseignantes et d’enseignants reconnus, formés, correctement rémunérés, qui puissent travailler dans les meilleures conditions matérielles possibles. Souvenons-nous qu’en tant que directeur de l’enseignement scolaire sous le ministre Chatel, Jean-Michel Blanquer est comptable de la destruction des RASED et de la disparition de 60 000 postes de professeurs.

Jean-Michel Blanquer doit partir

La période des fêtes approchant, le plus beau cadeau qui pourrait être offert à M. Blanquer c’est de précipiter son départ de la rue de Grenelle, puisque c’est ce que lui-même a ardemment souhaité lors du précédent remaniement, lorgnant les ministères de la Justice et de l’Intérieur qui correspondaient sans doute mieux à son sens tout particulier du « dialogue républicain ».

Le lien de confiance, indispensable au bon fonctionnement de l’Éducation nationale, est définitivement rompu entre Jean-Michel Blanquer et le monde enseignant. Rappelons qu’avant la crise de la COVID, seuls 6 % des professeurs des écoles soutenaient l’action du ministre selon le baromètre UNSA 2019, soit une note de 1/20… reconnaissons que l’élève Blanquer a quelques lacunes !

Les récentes affaires en lien avec la création et le financement du syndicat Avenir Lycéen ont achevé de discréditer le ministre. L’éducation est une affaire trop sérieuse pour la laisser entre les mains d’un homme qui n’est plus en situation d’entrainer l’adhésion du monde enseignant. Après avoir révélé les scandales d’Avenir Lycéen, d’Avenir étudiant, d’Avenir enseignant et d’Avenir Éducation, c’est maintenant Jean-Michel Blanquer que nous devons priver d’avenir à l’Éducation nationale. Totalement disqualifié pour incarner plus longtemps la fonction de ministre de l’Éducation nationale, il doit démissionner.

Nombreux sont les enseignantes et enseignants, actrices et acteurs de terrain, à demander dans l’intérêt des écoles, de ses personnels et des élèves que Jean-Michel Blanquer remette sa démission et que s’ouvre, enfin, le chantier de la refondation scolaire.

La proposition qui suit peut sembler radicale. Elle n’engage que moi, et ne saurait représenter l’opinion de l’ensemble des signataires de la pétition. La démission de Jean-Michel Blanquer serait un premier pas, et pourrait conduire à engager une « révolution consensuelle » de l’Éducation.

Notre système éducatif a besoin de stabilité ! Songeons qu’aujourd’hui, tous les enfants fréquentant le système éducatif ont connu plusieurs changements de programmes et de recommandations pédagogiques. Cette instabilité pèse sur la réussite scolaire de nos enfants, comme l’ont prouvé les dernières comparaisons internationales, elle pèse aussi sur les conditions de travail des enseignants et des personnels éducatifs.

Je le dis, soyons ambitieux et réclamons, à l’instar de ce que la Finlande a su faire dans les années 70, une « révolution consensuelle » de notre système éducatif, cette révolution consensuelle ne se fera pas lors d’un fumeux Grenelle de l’éducation entre gens de bonne compagnie, cooptés par un ministre qui veut s’assurer de voir valider ses options, sous couvert d’une pseudo concertation. Cette révolution consensuelle ne pourra exister qu’en créant une « constituante » de l’éducation qui devra allier deux impératifs :

• La co-construction de ce nouveau système éducatif par ses acteurs et notamment personnels éducatifs, chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation, parents d’élèves, représentants de collectivités et d’associations éducatives complémentaires de l’école qui auraient à définir les objectifs que l’on fixe pour l’école, les valeurs qu’elle doit transmettre, les principes pédagogiques sur lesquelles elle pourra s’appuyer, les moyens (en part du PIB) dont elle disposera et leur répartition. Il sera nécessaire que cette co-construction concerne aussi l’ensemble du périscolaire et du hors-scolaire en reconnaissant et valorisant enfin les pratiques liées au sport, à l’animation, à la culture, au socioéducatif, toutes ces pratiques éducatives informelles et non formelles tellement essentielles dans la formation du citoyen et de la citoyenne.

• La sanctuarisation de ce projet et des modalités de son évolution, afin qu’il ne puisse plus dépendre des changements de majorité au pouvoir et de la succession de ministres. Le projet ainsi défini devra avoir la même valeur, la même solidité que la Constitution qui régit le fonctionnement de notre république.

Cette « révolution consensuelle » de l’école, en transformant le projet scolaire en véritable projet citoyen partagé, est une alternative porteuse d’espoirs ! Loin d’être utopique, elle est une solution pour reconstruire une école démocratique, émancipatrice, une école commune, une école qui permette de faire société en garantissant la pérennité de son projet.

On ne reconstruira pas l’école à marche forcée, en piétinant les personnels, en méprisant l’histoire de la recherche en sciences de l’éducation, en niant la professionnalité des enseignants et des enseignantes. C’est pourtant la voie qu’a emprunté l’actuel ministre de l’Éducation, caricature à lui tout seul de tous les travers de sa fonction. Mais on ne construira pas non plus l’école de demain en changeant de ministre, de doctrine, de programmes tous les trois ans.

L’éducation est une affaire trop importante pour la laisser entre les mains d’un ministre ou d’une ministre de passage et pour en faire un outil politique au service de sa carrière et de ses ambitions personnelles. Nous ne voulons plus de ministre !

Cédric Forcadel

Maitre d’école, militant pédagogique de l’ICEM-pédagogie Freinet, auteur.

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