Print Friendly, PDF & Email

A l’école maternelle Barbanègre de Paris (75), dans le dix-neuvième arrondissement, on ne plaisante pas avec les émotions. Bien au contraire, elles sont l’un des axes principaux du projet d’école. Un projet que soutient la Cardie de l’académie de Paris mais aussi suivi par des chercheurs du laboratoire Bonheur de l’université de Cergy.

Hélène Montagne est enseignante depuis plus de vingt ans. Après des débuts dans une classe unique en Béarn, elle part enseigner dans des écoles françaises de l’étranger, au Congo et au Gabon, des écoles du réseau AEFE. A son retour, c’est dans la capitale qu’elle pose ses bagages. Aujourd’hui, elle est directrice de l’école maternelle Barbanègre, et ce depuis quatre ans. Proche de la porte de la villette, l’école, classée REP, accueille 165 élèves répartis dans huit classes. Dix professeures et professeurs des écoles animent l’équipe pédagogique de cette école qui cherche, au quotidien, à aider ses élèves à apprendre. Une équipe, qui comme beaucoup d’autres, tâtonne, se questionne et se réinvente pour permettre aux élèves de dépasser les empêchements d’apprendre qu’ils rencontrent.

Gérer les élèves qui « explosent » à l’école

C’est lors de l’un des multiples conseils des maîtres et maîtresses pour l’élaboration du projet d’école 2018-2021 qu’enseignants et enseignantes se sont rendu compte de leur difficulté à accompagner les débordements émotionnels de leurs élèves, débordements qui placent ces derniers dans l’incapacité d’apprendre. Et le constat est sans appel. Lorsque des enfants crient, font des grosses colères sans pouvoir se maîtriser avec des tables et objets qui tombent, des enfants qui tapent les autres et les adultes, l’équipe éducative se sent complètement démunie face à ces enfants qui ont du mal à exprimer un ressenti, une émotion et à faire preuve d’empathie envers les autres. Comme tous les enseignants, chacun et chacune d’entre eux essayaient d’apporter une réponse au cas par cas, mais le besoin de réfléchir ensemble à une réponse structurée et commune s’est fait ressentir. « Nous n’avions pas de réflexion commune menée par l’équipe sur les réactions, les démarches, les mots employés. Bien entendu, lorsqu’un élève était en crise nous nous sommes toujours soutenus mais nous n’avions pas réfléchi à une réponse construite pédagogiquement ensemble » explique Hélène. « Il nous semblait aussi nécessaire de créer du lien avec le périscolaire pour élaborer des solutions communes » ajoute-t-elle.

Une réponse commune à un constat commun

C’est à la suite de ce constat, qu’enseignants et enseignantes décident de mettre en commun leurs pratiques et d’apporter une réponse commune, structurée et réfléchie en équipe, face aux débordements émotionnels des élèves. « Il s’agissait avant tout d’aider les enfants vivant des émotions pénibles à exprimer leurs sentiments » selon Hélène. « Nous sommes partis d’un outil commun : une boîte que nous avons appelée la « Boîte à émotions » qui a été installée dans chaque classe de l’école et dans le bureau de la directrice. Nous avons expliqué aux élèves que cette boîte leur permettrait d’avoir un temps de pause quand il se sentait en colère ou triste ou qu’ils avaient envie de s’isoler. Chaque classe a rempli cette boîte avec des objets qui leur feraient du bien, tels qu’un sablier, de la pâte à modeler, du papier à déchirer, des boules à neige, un casque anti-bruit, une peluche, une plume … ». Après la mise en place, l’équipe s’est accordée un temps d’observation de l’utilisation de la boîte de la classe par les élèves, a noté les difficultés rencontrées par adultes et enfants, fait l’inventaire de ce qui fonctionnait et de ce qui ne fonctionnait pas. A partir de ces constats, d’autres idées ont fleurie et le projet s’est enrichi. « Les boîtes ont été installées dans un espace dédié de la classe, comme la cabane à émotions, le lieu de la paix …, des rituels ont été mis en place comme la météo d’émotions du matin, le tour des gentillesses, les dessins de réparations ».

Et puis, mettre les mots sur les émotions n’est pas aisé dans cette tranche d’âge, surtout si langue maternelle n’est pas le français. L’équipe a donc décider d’accorder grande place à l’apprentissage du vocabulaire des émotions pour aider les enfants à pouvoir repérer l’émotion ressentie, la nommer puis trouver des réponses adaptées. Les enseignantes et enseignants ont travaillé notamment à partir d’albums, de cartes mentales, de jeux de mimes, de musiques et de danses. Pour les plus grands, des débats philo ont été mis en place et la technique du « message clair » a été apprise.

Après le langage, c’est au niveau du corps que l’équipe décide d’agir. « Nous avons éprouvé le besoin de mettre en place en parallèle des pratiques de bien être, les émotions passant le plus souvent par le corps. Des séances de yoga, de massages et de respiration ont été pratiquées dans toutes les classes » explique Hélène. Un projet complet aux multiples facettes.

Et les émotions des enseignants et enseignantes ?

Lors de l’un des conseils des maîtres et maîtresses, une question est apparue, et pas des moindres. « Nous nous sommes rapidement aperçus que si l’on prenait en compte les émotions des enfants, qui s’occupait de nos propres émotions d’adulte ? Personne. Nous avons alors en équipe mis en place des « seaux à mots gentils « dans la salle des maîtres où chacune peut remercier, complimenter, « donner une gentillesse » aux autres de manière anonyme. Nous nous sommes aperçues que ça nous faisait énormément de bien chaque semaine ou quand on allait moins bien de recevoir des petits mots qui nous remontaient le moral ! » raconte Hélène.

De la formation pour mieux accompagner les élèves

L’équipe a très vite ressenti le besoin d’être accompagnée et formée. « Nous avions besoin de construire des connaissances sur les compétences sociales et émotionnelles susceptibles d’être mobilisées et enrichies par la pratique professionnelle. Mais aussi, de renforcer nos compétences pour enseigner les compétences sociales et émotionnelles : observer, adapter le contexte, renforcer le positif, réguler, dialoguer avec les familles, prendre en compte ses propres émotions » explique Hélène. C’est ainsi que l’équipe a sollicité la CARDIE mais aussi l’IEN de circonscription qui ont répondu à l’appel, ce qui a permis d’enclencher une dynamique de réseau, incluant les écoles du REP Mozart auquel est rattaché l’école maternelle Barbanègre.

L’équipe souhaitant évaluer les points forts et les points faibles de ce projet, a été orientée vers Pascale Haag, enseignante-chercheuse au laboratoire Bonheur de l’université CY (Cergy Pontoise). « Nous voulions savoir si les outils que nous avions mis en place fonctionnaient et comment pouvait-on le mesurer ? »

Un premier bilan positif

Depuis le début du projet « Aide-moi à apprendre avec mes émotions », les enseignantes de l’école ont pris conscience que les émotions de leurs élèves ont un impact sur leur bien-être à l’école et sur leurs apprentissages. L’équipe pédagogique a développé des stratégies qui permettent la mise en place d’un climat de classe et d’école propice à accueillir ces émotions. « La prise en compte des émotions fait désormais partie des pratiques habituelles de classe à l’école, les temps de pause, la proposition de la boîte à émotions, les pratiques de bien-être sont incontournables. Les élèves retrouvent les outils d’une année à l’autre, d’une classe à l’autre. Ils investissent dès le début d’année la boîte à émotions et les cabanes à émotions. De même, le vocabulaire du champ lexical des émotions des élèves s’enrichit et leur permet de mieux exprimer ce qu’ils ressentent et de trouver parfois des solutions aux conflits entre pairs » conclut Hélène.

Un bien beau projet où chaque enfant apprend à nommer ses émotions, vivre avec et les dompter. « Aide-moi à apprendre avec mes émotions » est certes très important du point de vue de l’appréhension des apprentissages mais un tel projet permet aussi de meilleures conditions de vivre ensemble. Apprendre aux enfants, dès leur plus jeune âge, à prendre en considération ce qu’ils ressentent mais aussi ce que ressentent les autres, c’est faire un pas vers une société plus solidaire et empathique.

Lilia Ben Hamouda