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« Comment, derrière l’écran, peut-on non pas recréer la classe mais inventer un nouvel espace qui permette d’abolir la distance et de renforcer le lien entre l’enseignant et ses élèves ? » Professeure de lettres, longtemps dans un micro lycée et aujourd’hui TZR en Ariège, Florence Lecerf-Lhomme invite à « réfléchir sur le sens de cet enseignement ». Dans un petit livre elle partage des exemples de séquences assurant le passage de la classe au distanciel. Mais celui-ci peut-il vraiment remplacer la classe ? Florence Lecerf-Lhomme répond à nos questions.

La crise sanitaire impose l’enseignement hybride et une pratique tend à se répandre celle de l’enseignement simultané où le professeur fait cours aux élèves présents et aux autres à distance. Qu’en pensez vous ?

J’ai essayé de le faire. Du point de vue pédagogique et de l’organisation de la classe, je ne suis pas sure que cela bénéficie aux deux catégories d’élèves. Si c’est juste pour que les élèves entendent à distance le cours du professeur je ne suis pas sure que ça les aide beaucoup. Et gérer l’interaction entre présentiel et distanciel doit être compliqué.

Peut-on vraiment transposer ce qui se fait en classe dans une classe virtuelle ?

On peut se saisir des espaces virtuels pour garder des interactions qui peuvent ressembler au présentiel. On a des outils pour cela comme les padlets sur lesquels on peut interagir et auxquels on peut associer des enregistrements vidéo ou sonore pour renforcer l’interaction. On crée ainsi de nouvelles manières de fonctionner ensemble.

Un exemple ?

Dans le livre je partage plusieurs séances et par exemple une en seconde sur l’initiation au bac de français où les élèves travaillent ensemble sur un texte. On peut en distanciel créer de petits groupes et leur demander leur travail avant de faire une synthèse commune. Ou on peut aussi avoir des interactions et remplir ensemble un document collaboratif.On peut pour travailler l’oral demander aux élèves de s’enregistrer et de poster les enregistrements sur un padlet ce qui permet ensuite de les écouter ensemble pour améliorer et finaliser une fiche méthode. Cela ne demande pas une grande maitrise technique mais ça demande beaucoup d’attention.

Justement quelles difficultés supplémentaires le distanciel apporte à l’enseignant ?

IL y a déjà cet enjeu de l’attention. Le professeur doit tout gérer en même temps. Il faut gérer les présences, les manifestations liées aux problèmes techniques,les arrivées en retard etc. Cela nécessite un gros travail de préparation des séances, d’autant qu’il vaut mieux anticiper sur les problèmes techniques et préparer un plan B..

Et pour les élèves ?

La grande difficulté c’est quand le cours en distanciel est mené comme un cours magistral ou se résume à des fichiers pdf d’exercice. Cela fait décrocher les élèves. Les élèves ont besoin d’une interaction personnelle avec leurs camarades et l’enseignant. C’est ce que j’observe par exemple quand je vois les élèves reter en ligne après la fin du cours pour discuter.

Avec le distanciel il faut avancer dans son programme ou faire des révisions ?

Pour moi il faut avancer en veillant à ne pas perdre des élèves. Si on révise trop longtemps on risque de les faire décrocher. Cela peut arriver aussi si on avance. Tout dépend de la façon de faire. Et il y a le problème des absents qui va se poser. Pour avancer il faut donner aux élèves des objets d’étude qui les stimuler intellectuellement.

Justement le gros problème du distanciel c’est celui du lien. Vous dites qu’il faut le renforcer et que la classe virtuelle peut être un lieu d’écoute. Mais comment maintenir ce contact avec les élèves ?

C’est l’enjeu le plus fort. Pour cela il faut leur donner des taches à distance qui leur permettent de s’investir. En lettres par exemple des taches créatives d’écriture. Il faut que ce soit ludique et en même temps mettre en place des compétences d’écriture. Le retour en collectif avec la lecture collective permet d’admirer le travail des camarades.

L’enseignement à distance est un défi intellectuel pour le professeur ?

Oui car ça demande de réfléchir profondément . Mais il faut ajouter que ça reste un enseignement qui ne peut être que complémentaire. Le pérenniser serait très dommageable. Le contact direct des élèves avec le professeur est irremplaçable. En classe on entend l’élève qui dit « je n’y arrive pas » ou « je ne comprends pas ». On peut le rassurer. A distance c’est plus difficile. Il y a des élèves qui ont besoin que l’on soit à coté d’eux.

Propos recueillis par François Jarraud

Florence Lecerf-Lhomme : Enseigner à distance. Inventer un nouvel espace relationnel. Chronique sociale. ISBN 978-2-36717-755-7