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24/10/21 – La Fnaseph (fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap) qui est à l’origine de la reconnaissance officielle des premiers emplois d’aide humaine (AVS, devenus AESH) a adressé le 23 septembre 2021 une note au ministre de l’Éducation nationale. Elle demande une réforme en profondeur de l’aide humaine et de l’emploi d’AESH. Elle vise la sortie d’un système insatisfaisant qui génère une inflation des recrutements d’AESH sans que jamais les besoins ne soient complètement couverts. La Fnaseph propose un nouveau cadrage pour l’attribution de l’aide humaine des élèves handicapés avec une transformation de l’aide mutualisée. Elle propose deux nouveaux métiers : AESH individuel et agent d’accessibilité.

Un constat qui inquiète tout le monde

On l’a vu cette année comme chaque année depuis la mise en application de la loi handicap du 11 février 2005, la rentrée scolaire est systématiquement marquée par la question de l’aide humaine aux élèves en situation de handicap : les emplois ne suffisent jamais pour accompagner les élèves à qui la CDAPH (commission des droits et de l’autonomie de la Maison départementale des personnes handicapées) a notifié une décision d’aide humaine à l’école. Pourtant, chaque année depuis 2006, les gouvernements successifs ont augmenté sans discontinuité le nombre d’emplois pour y faire face. Entre 2006 et 2020, l’effectif de élèves en situation de handicap dans les établissements scolaires a été multiplié par 3, alors que l’effectif des élèves devant être accompagnés a été multiplié par 9. En 2006, les CDAPH avaient notifié une aide humaine pour 22 % des élèves en situation de handicap. En 2015, elles l’avaient fait pour 45 % de ces élèves. En 2020, le taux de notification était monté à 58 %. Plus rien ne semble arrêter la machine à notifier l’aide humaine, sinon la perspective d’affecter automatiquement un AESH à chaque élève en situation de handicap sans autre considération de « besoin » que celle de l’étiquette « handicap ». Avec un effectif d’environ 125 000 agents pour la rentrée 2021, les AESH constituent maintenant la troisième catégorie professionnelle de l’Éducation nationale derrière les professeurs des écoles et les professeurs certifiés, mais très loin devant les professeurs de lycée professionnel et les professeurs agrégés. Pour 2022, le projet de loi de finances prévoit encore une hausse de 4 000 ETP, soit environ 6 500 postes supplémentaires. Une autre caractéristique doit être prise en considération : du fait des missions qu’ils assurent auprès des élèves, les AESH sont très majoritairement employés sur des contrats à temps partiel à hauteur de 62 % (soit 24 heures par semaine) rémunérés environ 750 € mensuels net. Enfin – et ce n’est sans doute pas le moindre dans ce tableau –, aucune étude scientifique d’ampleur n’a mis en évidence l’effet « capacitant » de l’aide humaine pour les élèves accompagnés alors que la finalité théorique de l’aide humaine est la conquête de l’autonomie par l’élève. Quelques recherches en France et ailleurs ont même plutôt montré l’effet inverse : dans ces travaux rigoureux, il apparaît qu’à profils équivalents les élèves accompagnés progressent moins dans leurs apprentissages scolaires que les élèves non accompagnés, notamment pour l’aide individuelle.

Une réaction « historique » de la Fnaseph

Face à ce constat, la FNASEPH a décidé de réagir : « Historiquement impliqués dans le déploiement de l’aide humaine à l’école, nous sommes inquiets des remontées de terrain que nous recevons actuellement, semblant indiquer que le sujet des AESH est en train de « déraper ». Ce dérapage constaté concerne notamment l’augmentation démesurée des notifications, l’analyse hétérogène et non objectivée des besoins des jeunes, le non-respect des missions initialement prévues des PIALs […] Il nous semble donc urgent de pouvoir engager une réflexion entre tous les acteurs pour rechercher la mise en œuvre de nouvelles mesures ».

La note proposée au ministère constitue donc une contribution remarquable par sa finalité autant que par les propositions de réforme qu’elle présente.

En préalable, la Fnaseph s’appuie sur une recommandation présentée en 2018 par le CNCPH (conseil national consultatif des personnes handicapées) sur l’extension du champ d’action des AVS mutualisés. Elle a mobilisé ensuite un groupe d’experts pour étayer son analyse de la situation et les propositions qu’elle présente. Le constat de départ est clair : ni la loi ni la réglementation en vigueur ne définissent suffisamment l’aide mutualisée par rapport à l’aide individuelle. Le seul critère juridique de distinction entre les deux types d’aide décidées par la CDAPH est « l’attention soutenue et continue », ce qui ne peut donner lieu qu’à un large éventail d’interprétations des CDAPH et cela dans un contexte très variable selon les territoires de « pression des équipes pédagogiques (qui demandent des moyens humains supplémentaires) et des familles (en raison de l’opposabilité de la quotité horaire) ».

Compensation et accessibilité au cœur de la problématique

La Fnaseph articule ensuite son analyse sur les deux volets de la prise en considération de la réponse inclusive aux situations de handicap : la compensation et l’accessibilité. La compensation des conséquences du handicap est un droit individuel de la personne, quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, alors que l’accessibilité pour tous est un droit collectif lié à l’environnement de vie.

À partir de cette dichotomie fondamentale, la Fnaseph propose un nouveau cadrage pour l’attribution de l’aide humaine des élèves handicapés.

L’aide humaine individuelle « soutenue et continue » doit être décidée par la CDAPH comme une compensation de la situation de handicap dans l’environnement scolaire et dans les environnements péri et extra scolaires. Elle doit avoir pour objet de répondre « à des besoins de mise en sécurité » et « elle conditionne l’autonomie de la personne par son appui direct à la réalisation d’une tâche, par les adaptations qu’elle rend possibles, ses relances, ses rappels, ses réajustements, sa bienveillance ».

L’aide humaine mutualisée doit être transformée en « appui à l’environnement scolaire » pour que cet environnement soit pleinement accessible, cela sans relever d’une notification d’aide humaine par la CDAPH. L’agent chargé de cette nouvelle forme d’aide mutualisée serait alors un « agent d’accessibilité ». Un ratio forfaitaire d’ETP/nombre d’élèves à besoins éducatifs particuliers fixera alors une dotation d’agents d’accessibilité par établissement scolaire ou par PIAL. Un référentiel d’activité précisera l’articulation de l’action de ces agents avec celles des autres acteurs. Enfin, le besoin d’appui pédagogique et d’adaptation de l’environnement scolaire sera décidé et notifié par la CDAPH. Les actuels AESH-collectifs des Ulis seront considérés comme des agents d’accessibilité.

AESH individuels et agents d’accessibilité devraient être employés sur un temps complet non annualisé prenant en compte temps d’action « en classe » et temps d’action hors classe « pour les autres activités ».

Deux nouveaux métiers : AESH individuel et agent d’accessibilité

Une nouvelle « filière métier » découlerait de cette réforme. D’une part, AESH individuels et agents d’accessibilité seraient intégrés dans la catégorie « Assistants éducatifs » du répertoire des métiers de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur avec une mise à jour de celui-ci. D’autre part, une progression de carrière dans l’emploi d’assistant éducatif serait identifiée pour chaque catégorie avec des évolutions possibles. La formation d’adaptation à l’emploi et continue serait revue dans une perspective systémique avec des formations partagées et croisées pour développer les interconnaissances et les interactions professionnelles sur un volume s’élevant à 200 heures. Les conditions de recrutement actuellement définies par un décret de 2018 seraient revues en conséquence de cette réforme.

Des transitions

La note évoque enfin plusieurs scénarios de transition entre la situation actuelle et la situation après réforme, soit avec un modèle de « métier polyvalent à 2 fonctions », soit avec un modèle « appuyé sur 2 métiers distincts ». Elle identifie des conditions de réussite :

– Passage des AESH mutualisés à temps complet pour devenir « agents d’accessibilité » ;

– Organisation d’un dispositif de second emploi pour les AESH individuels avec les municipalités et l’appui des CAF ;

– Valorisation salariale des AESH individuels certifiés ;

– Renforcement de la capacité managériale des pilotes et coordinateurs des PIAL avec des primes, décharges supplémentaires ou emplois dédiés.

Un appel à une large concertation

En conclusion, la Fnaseph propose une méthodologie de mise en œuvre de sa proposition fondée sur la concertation des acteurs et la constitution d’un groupe de projet installé par le CNSEI (conseil national de suivi de l’école inclusive) avec l’appui du CNCPH. Elle propose une phase d’expérimentation dans plusieurs départements avec l’appui des CDSEI. Surtout, elle évoque les conséquences budgétaires significatives de ce nouveau modèle qu’il conviendra de chiffrer lors de la phase de concertation. Pour elle, « les coûts de la transition (repositionnement des acteurs, formation, …) devraient permettre de sortir du “toujours plus” d’AESH pour viser “du mieux”, tout en améliorant le service rendu aux élèves par une meilleure coordination des missions au niveau local ».

Si la Fnaseph, association fondatrice dans l’histoire de l’aide humaine des élèves handicapés en France, intervient aujourd’hui avec cette proposition, c’est que la situation devient très difficile pour tout le monde. Seize ans après la loi du 11 février 2005, personne n’est satisfait de la tournure qu’a prise cette question : ni les parents, ni les enseignants, ni les autorités académiques, ni les AESH. Comme il est écrit dans la note, si « on ne change rien : l’inflation continue, avec des engagements intenables à chaque rentrée scolaire ». Ni les AESH ni les élèves ne bénéficieront de ce statu quo délétère qui voit se développer chaque année un nouveau « lumpenprolétariat » d’État sans que l’on sache si les élèves concernés y trouvent vraiment leur compte et sans que l’école devienne véritablement inclusive pour tous les élèves sans distinction.

Au-delà du rôle des AESH dans l’accessibilité pédagogique

La note présentée par la Fnaseph a le grand mérite de sonner l’alarme et d’appeler tout le monde à mieux réfléchir à ce qu’il se déroule sous nos yeux. Compte tenu de son objet social, la Fnaseph aborde évidemment la question par l’entrée de l’aide humaine. Mais la question mérite aussi d’être posée en amont : au moment de la production de la notification.

En théorie, selon la loi, pour prendre ses décisions, la CDAPH se prononce sur le fondement d’un dossier d’évaluation des besoins de la personne par l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation placée auprès d’elle. Quand il s’agit d’un élève, cette équipe se fonde en partie sur le Geva-Sco (guide d’évaluation des besoins en milieu scolaire) renseigné par la famille et l’équipe pédagogique pour la première demande, puis par l’équipe de suivi de la scolarité (ESS comprenant la famille, les enseignants et les professionnels de santé et médico-sociaux) pour les renouvellements. Dans la réalité, les équipes pluridisciplinaires sont débordées par le nombre de dossiers à traiter et ne peuvent y consacrer que quelques minutes (une étude de 2018 montrait une moyenne de 15 minutes, dont 3 à 4 sur les questions purement pédagogiques). Bien souvent le Geva-Sco est « validé » tel quel, sans véritable analyse. Les moyens nécessaires à un travail sérieux d’évaluation des besoins sont au cœur de tout le système. Leur insuffisance conditionne toute la suite en aval.

De la même manière, l’analyse présentée dans la note de Fnaseph élude le rôle des ERSEH, les enseignants référents chargés du suivi des dossiers des élèves handicapés. Or leur rôle est fondamental dans le suivi et l’évolution des besoins éducatifs particuliers des élèves. Mais eux-mêmes sont submergés de dossiers à suivre. Le plus souvent, ils ont plus d’élèves à suivre qu’il n’y a de jours ouvrés dans l’année scolaire pour réunir les équipes de suivi de la scolarisation dont ils ont la charge. Là aussi, le défaut de la cuirasse a des effets considérables sur le suivi du parcours scolaire de l’élève et son évolution. Or leur expertise est fondamentale pour rationaliser les moyens en fonction de besoins avérés et évolutifs par nature.

Dans la note, les agents d’accessibilité sont appelés à répondre aux besoins d’accessibilité des « élèves à besoins éducatifs particuliers ». C’est en effet, un besoin notable, mais qui ne s’arrête pas à la seule catégorie des élèves handicapés bénéficiant d’un PPS établi par la CDAPH. Bien d’autres élèves à besoins éducatifs particuliers, en dehors du champ du handicap, pourraient légitimement bénéficier de cette aide humaine à l’accessibilité. Si l’école inclusive ne peut se réduire aux seuls élèves handicapés ayant une notification d’aide humaine, elle ne peut non plus se réduire au seul champ des élèves avec PPS. Sinon, ce n’est qu’une niche catégorielle qui ne peut que tourner le dos à une accessibilité qui se veut universelle.

Et la pédagogie « inclusive » ?

Enfin, la question de l’accessibilité pédagogique transcende largement l’entrée par l’aide humaine et les AESH, car elle est d’abord un sujet propre à la nature didactique de l’enseignement offert par le service public de l’éducation. De quelque manière qu’on le prenne, un AESH ou un « agent d’accessibilité » ne peut être chargé d’enseigner. S’il peut apporter une aide à l’enseignant, que ce soit dans la compensation pour l’élève ou dans l’accessibilité pour l’enseignant, ce n’est légitimement pas lui qui élabore le scénario didactique d’une pédagogie « inclusive ». Or l’accessibilité pédagogique passe d’abord et fondamentalement par l’entrée du scénario didactique. Malgré des progrès récents, l’appropriation par les formateurs des professeurs de ce qu’on appelle la « conception universelle de l’apprentissage » ou encore « pédagogie universelle » reste un angle mort de l’école inclusive en France. Qu’on le veuille ou non, tout passe par là. Il faudra bien s’y résoudre un jour ou l’autre pour construire une politique publique efficace afin que l’école française devienne pleinement inclusive. Tout le monde enseignant est concerné.

Dominique Momiron

La note de la Fnaseph