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Comment les parents se sont-ils débrouillés avec les cours en ligne postés durant le confinement ? Comment ont-ils déjoué, ou non, les pièges de présentation de ces contenus ? Dans la Revue française de pédagogie (n°212), Romain Delès (Université de Bordeaux) suit 5 parents dans la découverte d’une séquence de français de 6ème. Alors que l’étau se resserre à nouveau autour de l’Ecole, il est très utile de mettre en évidence les obstacles que les parents doivent surmonter. Pour R Delès, la « fracture numérique » ne se réduit pas à l’absence de matériel.  » La fracture numérique reste avant tout une fracture pédagogique ».

« On n’y voit rien ! »

Tout part d’une séquence de français de 6ème mise en ligne sur un site connu par un enseignant sur une célèbre plateforme. La séquence en ligne comprend tous les documents d’apprentissage correspondant aux heures d’enseignement en présence. On est au printemps 2020 et les parents sont mis dans la situation « d’endosser le posture d’enseignant » et d’accompagner leur jeune collégien dans son cours de français. Des études montrent que durant le confinement 93% des parents ont suivi le travail scolaire de leurs enfants (contre 73% d’habitude) et qu’ils y ont consacré plus de temps et d’attention.

« On n’y voit rien », s’exclame un des 5 parents suivis par R. Delès. A la différence du manuel scolaire, la plateforme affiche les documents les uns à coté des autres, sans qu’il soit possible d’identifier les informations prioritaires.  » Franchement, j’ai mis un moment à comprendre comment ça marchait ce machin ! J’ai compté, il y a quatorze menus. C’est beaucoup, c’est dur de s’y retrouver », dit une maman. Et c’est accentue, relève R Durès, par une grande variété de documents. Il y a des textes mais aussi des images et même une vidéo. R Durès relève que celle ci a un statut différent selon les parents. Pour certains elle est u document à utiliser pour le travail, pour d’autres elle est là pour détendre l’élève…

 » Les parents me confient tous la difficulté qu’ils ont éprouvée à identifier les objectifs d’apprentissage », relève R Durès. Il leur faut du temps pour repérer les objectifs de travail. Et encore du temps pour trouver une ligne de travail. Que faire en premier ? Avec quel document ? Ce n’est pas évident comme dans le manuel.

Fracture pédagogique

Pour Romain Durès,  » Les inégalités de rapport au savoir déjà largement documentées semblent donc trouver une caisse de résonance dans l’enseignement à distance, dans l’usage des plateformes pédagogiques en ligne et, peut-être, dans l’usage du numérique plus généralement… Ce résultat nous invite alors à nous interroger sur la nature exacte de ce que l’on dénomme la « fracture numérique ». On pourrait avoir tendance à penser que l’origine des inégalités devant le numérique ou devant l’enseignement à distance est matérielle : en la matière, les différences d’équipement sont bien souvent pointées du doigt. Mais une inégalité moins visible, une inégalité d’ordre pédagogique, se cache derrière la fracture numérique. Même équipées, les familles, les parents et leurs enfants, n’accèdent pas aux mêmes apprentissages par la voie numérique. Le « on n’y comprend rien ! » des familles face aux plateformes pédagogiques en ligne traduit moins des difficultés d’accès ou même de lecture du support numérique que des entraves à l’appropriation du savoir scolaire. La fracture numérique reste avant tout une fracture pédagogique ».

Alors qu’Omicron arrive et que la possibilité d’une nouvelle fermeture ou du retour de demi jauges revient avec le variant, ce rappel des difficultés de la continuité pédagogique fait sens.

François Jarraud

Romain Durès, « On n’y comprend rien ! » Dispositifs pédagogiques en ligne et inégalités d’accompagnement parental pendant le confinement, Revue française de pédagogique n°212