Pour Aurélie Badard, évoquer les vacances comme vecteur d’inégalités scolaires est assez « cynique » de la part du Président. Et si avant de repenser les temps scolaires, on donnait les moyens à l’École ? Recrutement et formation des professeurs, organisation scolaire, dates des épreuves du baccalauréat, procédures d’affectation… La professeure de Physique Chimie nous dresse la liste – non exhaustive – de ce qui devrait être la priorité de notre gouvernement pour faire réussir les élèves des familles les plus éloignées de la culture scolaire.
Une fois de plus, les propos tenus par notre président, Monsieur Emmanuel Macron, m’ont un peu étonnée car je ne pense pas que la réflexion autour du temps scolaire soit actuellement une priorité et, malheureusement, les évènements qui ont eu lieu ces derniers jours en attestent.
En effet, avant de repenser le temps scolaire et d’imaginer grapiller sur telles ou telles vacances, il faudrait d’abord se pencher sérieusement sur le fonctionnement des établissements quand les élèves sont censés être présents, attentifs et studieux.
Pour vivre le lycée tous les jours, je peux dire que l’inégalité existe d’abord sur le temps scolaire lui-même et ensuite, peut-être que celle-ci « revient quand on a des vacances de trois mois ». D’ailleurs, pour préciser les choses, ce sont les élèves et leurs familles qui font trop souvent le choix de rallonger les vacances en pensant que l’école serait à la carte car nous, le corps enseignant, sommes bel et bien là !!
A mon avis, l’aspect qualitatif devrait enfin l’emporter sur le quantitatif. Penchons-nous de nouveau sur quelques axes de progrès.
Le recrutement et la formation des professeurs
Pour que les élèves apprennent bien, il faut qu’ils aient en face d’eux des enseignants qualifiés, motivés, des équipes stables. Comment est-ce possible quand il y moins de candidats à l’oral du concours que de postes à pourvoir ? Comment est-ce possible quand la part de contractuels à l’Éducation Nationale augmente tous les ans ? Comment est-ce possible de rester exigeant sur le recrutement devant la désertion de notre profession ?
Avant d’enlever une semaine de vacances ici ou là, il serait bon de véritablement redonner de l’attractivité à notre métier pour que les nouvelles recrues aient toutes les qualités pour faire réussir leurs élèves : connaissances disciplinaires, qualités de pédagogue, qualités humaines dont la bienveillance et la fermeté dans un contexte où les jeunes ont besoin d’un cadre clair aux contours non mouvants.
Comme le rappelait notre ministre avant la rentrée scolaire 2022-2023 « L’enseignement est un métier d’expérience. Bien sûr que quatre jours ne suffisent pas ». L’objectif d’avoir un enseignant dans chaque classe sans être trop regardant sur le profil est un objectif au rabais et, même si des formations filées suivent le recrutement des contractuels, qu’en est-il des premières semaines de travail avec les élèves, ces séances où tout se joue où l’enseignant, chef d’orchestre de sa classe, donne le LA !
L’organisation interne des établissements
Pour gagner en qualité et pour une approche moins inégalitaire, je voudrais redire que l’autonomie des établissements, très en vogue ces dernières années, m’interroge toujours ?
Les choix quant aux effectifs, quant à l’organisation de la semaine sont tellement différents d’un établissement à un autre qu’assurément cela crée des inégalités quant aux conditions de travail et donc aux chances de réussite.
A titre d’exemple, quand dans un lycée lambda, il y a 24 élèves en classe de 2de alors que dans l’établissement voisin, de la même commune, il y en a 34 est-ce égalitaire ?
Les effectifs et la qualité des emplois du temps élèves (mais aussi de leurs enseignants) sont des données essentielles. Aujourd’hui, avec la réforme du lycée et la multiplicité des parcours, nos équipes de direction sont tellement contraintes que cela aboutit souvent à renoncer au qualitatif au profit du purement fonctionnel. La multiplication des barrettes de langues, de spécialités, d’options, les services partagés, les stagiaires qui ont des contraintes de formation, les impératifs de salles, mais aussi de ½ pension et de transport, c’est un peu la quadrature du cercle !
Il est urgent de revenir à moins de complexité pour que, dans une même classe, dès la 1ere, il n’y ait pas 10 emplois du temps élèves différents et une équipe pédagogique constituée d’une trentaine d’enseignants ! Comment effectuer un travail d’équipe de qualité pour accompagner au mieux tous les élèves quand la notion d’équipe pédagogique disparaît ?
L’organisation des examens
Au lycée, la date choisie pour les épreuves de spécialité pose un vrai souci.
Comme j’ai déjà pu le dire, je me suis longtemps interrogée sur l’intérêt de maintenir l’épreuve de spécialité en mars ? J’ai compris que la précocité de cette note s’expliquait par le souhait de gommer, au moins partiellement, les inégalités dans la notation d’un établissement à un autre en incluant cette donnée à Parcoursup mais à quel prix ?
Les élèves qui ont obtenu leurs notes début avril (pourquoi leur donner la note si tôt … un peu de suspense serait peut-être judicieux ?) se sont retrouvés assez souvent dans 2 cas de figure aboutissant au même résultat : soit ils avaient vraiment « assuré », soit ils avaient vraiment « planté » et donc, dans les 2 cas, au regard des coefficients, aucun intérêt pour eux de se mobiliser sur les deux mois restant avant l’épreuve de philosophie et du grand oral !
Nous étions bien là mais les élèves sont venus en pointillé et quand ils étaient là, ils ne l’étaient que physiquement. Il a été très difficile dans ces conditions de terminer le programme et de les aider dans la préparation du grand oral.
L’organisation des procédures d’orientation et d’affectation
Quand, au lycée, les conseils de classe commencent le 22 mai, il est ardu de faire travailler les élèves après cette date. Je n’arrive pas à comprendre qu’on n’arrive pas à décaler les conseils de classe du troisième trimestre à la mi-juin pour gagner 3 semaines de travail effectif.
Soyons très clair, après le conseil de classe, nous perdons un tiers de nos élèves. On peut s’en étonner, le déplorer mais c’est comme ça ! Nous n’arrivons pas à trouver un levier auprès des élèves (mais aussi de leurs parents qui la plupart du temps valident l’absence) pour qu’ils viennent quand les notes ne comptent plus.
Est-ce qu’une simplification des procédures pourrait être envisagée afin qu’elles s’étalent moins dans la durée et laisser ainsi plus de temps aux apprentissages ?
Pour conclure, je crois sincèrement que si nous avions la possibilité de travailler de manière efficace jusqu’au 7 juillet, ce serait déjà une bonne chose. Pour moi, le véritable « défi collectif » serait de faire un constat de réalité honnête et de s’appuyer sur ces observations factuelles pour changer de cap. Et comme « il n’y a pas de véritable action sans volonté », ayons la volonté d’un retour à plus de simplicité pour plus d’efficience avant de rogner sur les vacances scolaires.
Aurélie BADARD (Professeure de Physique Chimie)