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Concertation sur l'éducation prioritaire : "Tout ça pour ça ?" 

Voulues par le ministre, les réunions de concertation sur l'éducation prioritaire ont commencé. Elles doivent aider à la réforme de ce dispositif, un des principaux chantiers de l'année. Lundi 30 Septembre, près de 250 enseignants du Réseau de Réussite Scolaire (R.R.S) de Vénissieux (69) se sont réunis. Il s'agissait de récolter l'avis des différents partenaires du réseau afin de préparer les Assises qui auront lieu en Novembre. Un avis sur quoi ? Et pour quoi faire ? Les enseignants présents n'ont pas mâché leurs mots : qu'on leur rende déjà ce qu'on leur a enlevé dans les zones dites difficiles, qu'on leur donne vraiment les moyens de travailler en concertation et qu'on reconnaisse enfin la spécificité de leur travail...


C'est la grande salle d'E.P.S au rez-de-chaussée du collège Michelet qui reçoit à 14H00 les professeurs du secondaire et du primaire (4 écoles de secteur : Henri Wallon, Ecole du Centre, St Exupéry, Jean Moulin). Il s'agit d'entendre et de se faire entendre. Et la cause est entendue : prendre connaissance du diagnostic du ministère sur la politique de l'éducation prioritaire de ces dernières années. (1) Et il n'est pas bon. Qu'on se le dise !


Madame Vercueil, I.A-I.P.R référente pour le R.R.S Michelet  et Madame Vincent, I.E.N premier degré, présentent à l'assemblée un résumé des grands axes du rapport. Puisqu'on est dans le cadre de la Modernisation de l'Action publique, il ne faut pas se voiler la face : les enquêtes PISA de l'OCDE révèlent qu'en France, l'éducation prioritaire est un échec (Mayotte et la Guyane sont citées en exemples). Et tout cela coûte de l'argent. Le pilotage national a été discontinu et les niveaux académiques ont donc été très divers. Bilan : les élèves de 3ème en Education Prioritaire ont des résultats en français et en mathématiques bien inférieurs à ceux des établissements hors E.P. Et pourtant, en CM2 l'écart était moindre sur une même cohorte. Ce mea culpa de l'administration n'est tout de même pas complètement assumé. L'Ecole est sans doute inégalitaire, mais c'est désormais l'affaire de tous. D'où la réunion d'aujourd'hui.


La règle des trois : équité, lisibilité et transparence


Il n'y a donc pas que l'avis des profs qui intéresse les décideurs. C'est tout naturellement que d'autres partenaires ont été conviés : parents d'élèves du réseau, assistants sociaux, infirmiers, élus... Après une heure de constats, la parole leur est donnée. Il faut qu'ensemble  ils réfléchissent aux solutions pour rendre efficaces les moyens et leurs usages. Rendre lisibles, transparentes et plus justes les futures décisions ? Une façon d'économiser les deniers de l'Etat ? De faire reposer la responsabilité des prochains engagements pris sur ceux à qui on vient demander des idées ?


« Et qu'on arrête d'empiler des trucs qui ne marchent pas ! »


En plénière, plutôt des enseignants qui s'expriment sur leur malaise. Sont-ils d'accord avec le diagnostic  présenté ? Trois points maximum sont attendus. A contrario sont-ils en désaccord avec certains éléments du constat ? Trois idées possibles. Des suggestions, des remarques ? Même cadrage pour la réponse. La pensée est ficelée dès le départ. On ne pourra d'ailleurs discuter en ateliers que sur les 6 thématiques déjà prévues par le ministère. (2)


Mais qu'importe. La parole est « libre ». Alors un directeur d'école qui a participé à la relance des ZEP en 1997 se lance. Il pense que si l'Ecole ne produit pas l'inégalité (elle est déjà là) il ne voit pas comment elle peut aider à lutter contre. « En 97 on pensait qu'on y arriverait. Pourtant il y a eu moins de mixité sociale ». Le quartier de la Pyramide était appelé à sa création « le petit Neuilly ». Aujourd'hui s'y concentrent  toutes les difficultés sociales. Il constate une grande énergie perdue à batailler pendant des années dans le premier degré. La Refondation est finalement pour lui un moment important pour regarder ce que l'on fait. Il dit la chance d'avoir dans son école une équipe stable. Mais que partout doit être posée la construction des savoirs dans la durée. «  Et qu'on arrête d'empiler des  trucs qui ne marchent pas. » Applaudissements dans la salle.


« Qu'on nous rende déjà ce qu'on nous a pris ! »


Une enseignante du collège travaillant sur Vénissieux depuis plus de vingt ans, intervient pour parler de ce qui a pu se faire par le passé. «  Au début des zones sensibles il y avait un professeur supplémentaire en EPS par exemple, mais les moyens en heures s'amenuisent chaque année ». La co-intervention c'est pour elle la clef de la réussite.


Comment arriver à travailler à deux quand déjà il manque des enseignants devant les élèves ? Ce sont des parents qui le font remarquer. Il y a des classes surchargées dans le primaire et des remplacements qui ne sont pas assurés pour des absences pourtant prévues de longue date. Une jeune enseignante s'interroge sur la question des ressources humaines dans le diagnostic : s'agit-il d'un constat ou d'un projet ? Madame Vercueil explique que le rapport pose la question du financement mais aussi des mutations. Les personnels sont un levier pour la réussite. Soit. Mais le problème est que dans certaines écoles les plus anciens personnels justement sont les élèves. Monsieur Larguier, principal du collège Michelet avance le chiffre de 60% de départs chaque année parmi les professeurs dans certains établissements de l'éducation prioritaire. Avec un tel turn-over, comment faire pour accueillir les nouveaux collègues ?


D'autre part, la corrélation entre effectifs réduits et les niveaux d'apprentissages n'est pas prouvée. C'est le diagnostic qui le dit ( madame Vercueil cite les travaux de De Peretti (3)). Pourtant dans la restitution après les échanges thématiques en fin d'après-midi, les effectifs réduits à 23/24 élèves dans les classes font plutôt consensus.


Qu'on nous donne ce à quoi on a droit !


Une enseignante du primaire s'interroge : on nous parle de la sécurité et du bien être des professeurs et des élèves mais quid d'une véritable médecine du travail dans l'Education Nationale et de la présence d'un psychologue pour les adultes en éducation prioritaire ? Dans l'atelier sur les modalités d'accueil des nouveaux enseignants, la discussion s'est justement portée sur la reconnaissance d'un travail plus difficile et donc qui nécessiterait peut être un statut particulier. Donner du temps institutionnel aux équipes a aussi été avancé en synthèse.


Mais alors : quels bilans ?


A l'issue de cette concertation, les avis côté enseignants sont plutôt unanimes : intéressante mais trop longue. Et parfois la rencontre entre primaire et secondaire n'a pas été considérée comme constructive. « Dans l'atelier sur le cadre apaisé et serein la charge émotionnelle était trop forte (...) » raconte une jeune professeur du collège. «  Les visions et les parcours de formation sont parfois très différents. On n'aurait pas dû nous mélanger. » Et la question qui taraude c'est : et après ? Qu'est ce qui va être retenu de tout ce qui s'est dit ? Là, les enseignants sont perplexes... Pour beaucoup, les dés sont déjà jetés et les décisions « en haut » sont déjà prises... Et un professeur de conclure : « J'aurais préféré avoir cours cet après-midi. »


Une mère d'élève plutôt enthousiaste affirme autre chose : « J'ai trouvé ça très intéressant mais on a beaucoup parlé du travail des enseignants. » Pour elle, il n'y avait pas assez de parents présents. « On s'attendait à ce que les enseignants proposent d'autres idées que de vouloir des profs en plus. Trois heures de réunion, c'est trop juste !  Il aurait fallu deux heures en plus ! »


Le politique a aussi réagi avec Madame Burricand, conseillère générale pour le canton Sud de Vénissieux.  «Vous avez parlé de la dégradation sociale du pays et des quartiers. L'Ecole est très touchée mais toutes les institutions sont touchées : assistants sociaux, animateurs, personnels des urgences : tous ! La marmite bouille de plus en plus vite ! Les parents gardent un grand espoir dans l'Ecole qui est pour leurs enfants un lieu structuré. »


L'Ecole dernier rempart contre la pauvreté et la crise ? Mais si c'est la seule institution qui tient encore la route, la refondre alors qu'elle résiste encore n'est-ce pas un peu l'enterrer ?


Adeline Meyer


Notes

1: Evaluation de la politique de l'éducation prioritaire. Rapport de diagnostic, CIMAP, 17 juillet 2013


2: site Eduscol pour la préparation des Assises de l'éducation prioritaire


3: De Peretti, A. 1987, « Sur la taille des classes », in Pour une école plurielle, Essais en liberté, Larousse, Paris



Sur le site du Café


Par fjarraud , le mardi 15 octobre 2013.

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