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Numérique : Tout un programme 

Le concept de programme et celui de programmation est à la base de tout système informatique. Ce mot est quasiment magique car c'est celui qui "façonne" l'usage que l'on va faire de la machine. Car le programme donne vie à la machine informatique. Et cette vie est tellement importante que petit à petit, le programme s'est souvent retrouvé gravé dans les composants eux-mêmes, faisant confondre la dimension matérielle et logicielle de l'appareil informatisé. Ceux qui ont vécu les premiers temps de l'informatique individuelle se souviennent de ce symbole du signe supérieur suivi d'un "underscore" clignotant qui ne laissait à son utilisateur pas d'autre choix que de "donner un ordre" à la machine, sous forme de "ligne de commande" ou de programme (la première n'étant rien d'autre qu'un appel à des programmes déjà installés dans la machine").


Le choix de cette thématique, cette semaine, est aussi lié au débat sur les "programmes scolaires" et leur réécriture. Plus que cette réécriture c'est la notion même de programme scolaire qui est en question ici. Si on ose un parallèle que certains jugeront audacieux, voire déplacé, il me semble que l'on peut rapprocher la notion de programme informatique de celle de programme scolaire sur plusieurs points. Outre le mot, la notion de programme, déclinée en programmation et progression parfois est à mettre en lien avec la notion de progrès. Mais dans programme, et surtout dans programmation, il y a l'idée d'une intention, d'un choix d'une sélection. Or que ce soit le concepteur de programme informatique ou celui de programme scolaire, l'intention qu’embarque leur production a un impact sur un futur usager.


En quoi un programme peut-il faire question ? D'abord parce qu'il présuppose un sujet auquel est destiné ce programme. Ensuite, il désigne un ensemble de contenus ou d'actions qui vont être imposées au sujet. Enfin, il s'appuie sur une logique (binaire pour l'informatique), plus difficile à cerner pour les programmes d'enseignement, qui impose un mode d'usage et en particulier la marge d'action laissée à l'utilisateur. L'intérêt du programme informatique est qu'il s'impose à l'usager, décide des choix dont il dispose et l'oriente dans le but qu'il lui est assigné. Il est intéressant d'analyser les usages en regard de la programmation. On connaît le phénomène d'affordance des objets et dispositifs techniques, qui traduit la force d'imposition d'un artefact par rapport à l'usager. On connaît aussi la tentation très forte pour l'usager de "s'échapper" du programme qui lui est imposé. Les concepteurs de jeux et les joueurs savent bien qu'en réalité on n'échappe pas comme cela au programme et au programmeur. Pourtant Michel de Certeau ou encore Jacques Perriault ont su nous montrer qu'il y avait souvent une possibilité de distorsion entre celui qui propose un objet, un dispositif et celui qui l'utilise. Mais dans le domaine de l'informatique les choses sont beaucoup plus enfermantes et souvent la porte de sortie c'est le bug, le problème, le plantage, le dysfonctionnement qui écarte aussi bien le concepteur que l'usager.


Nos amis des sciences du numérique sont à la recherche du programme parfait, qui n'aurait pas d'erreur, qui pourrait même s'auto corriger. Ceux de l'intelligence artificielle à intervalles réguliers viennent nous rappeler leur rêve "humain" pour les machines. On le voit l'imperfection humaine fondamentale n'échappe pas au problème de conception de programmes informatiques. Or c'est cette imperfection qui est intéressante sur le plan informatique et éducatif.


Eduquer au numérique peut-il se suffire d'un programme ? Ce jeu sur les mots est à renvoyer aux enseignants d'ISN et au fondement même de leur enseignement. Y a-t-il une croyance sacrosainte à faire passer en la valeur absolue de l'informatique. Ou au contraire faut-il révéler ses faiblesses ? Peut-être y a-t-il plus simplement à rappeler qu'un programme, informatique ou disciplinaire, reste une fabrication humaine et qu'elle en embarque les limites et les imperfections.


Ce qui est intéressant avec les programmes d'enseignement c'est qu'il y a des applicateurs de ces programmes que sont les éditeurs, que sont les inspecteurs (en charge de les faire appliquer) et les enseignants qui doivent les mettre en oeuvre. Or si les éditeurs de manuels scolaires ont bien compris qu'il ne fallait pas s'écarter des programmes, si les inspecteurs tentent de résister à leur propre envie de contourner ou traduire les programmes, les enseignants eux doivent faire avec. Mais avec dans un entre deux entre le "prescripteur" et le "client". Or c'est dans cet entre deux que réside la force de l'enseignant et sa qualité. Un enseignant n'est pas et ne sera jamais une machine qu'on programme. Non pas que certains n'en rêvent pas, mais parce que c'est contraire même à ce qui est le fondement de l'apprendre un acte incertains, essentiellement humain et surtout pas binaire. On peut faire des programmes et des progressions, la liberté reste davantage du côté de l'humain que de la machine.


Bruno Devauchelle


Les chroniques de B Devauchelle

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx



Les écrans..., de l'école, à l'école.

L'omniprésence des écrans dans le quotidien inquiète autant, voir davantage aujourd'hui qu'il y a trente cinq ans lors de la généralisation des écrans de télévision à domicile. Entre les opérations de sevrage numérique (10 jours sans écrans, les rapports de l'académie des sages ou encore les travaux (ô combien violents) de certains chercheurs, on ne compte pas le nombre de mises en alerte Or les écrans continuent de se multiplier chaque jour, à chaque instant, en tout lieu.


L'école n'échappe pas non plus à cette envie d'écrans, comme on peut le comprendre au travers des stratégies numériques en cours. Mais pour l'école, on objectera qu'il s'agit d'éduquer, donc pour la bonne cause. Tandis qu'en dehors on évoquera plus facilement les dérives, voire les addictions, terme trop souvent employé en dehors de tout cadre d'analyse de la réalité des pratiques, en particulier de celles des spécialistes de ces comportements faisant l'objet de traitements médicaux.


Nous ne sommes pas tous en addiction devant les écrans, mais nous sommes tous en train de nous confronter à la construction d'un environnement personnel d'écrans de toutes natures mais dont la tendance à la convergence est forte. C'est un des éléments clés des développements actuels, les écrans se multiplient, mais tous doivent de plus en plus souvent nous ramener à des activités identiques ou proches. L'exemple des phablettes après celui des smartphones illustre cette convergence des usages : quand je suis devant n'importe quel écran, je dois m'y retrouver, autrement dit je dois me retrouver... dans un univers familier et continu. Professionnel ou non, l'écran doit m'offrir un regard sur mon univers de vie. On retrouve derrière ces écrans la montée en puissance du questionnement vie privée/vie publique i.e. vie personnelle/vie professionnelle.


Et l'apprentissage ? Dans son article "Nouveaux écrans du savoir ou nouveaux écrans au savoir ? in Apprendre avec le multimédia. Où en est-on ?"  (1997 Paris : Retz) Geneviève Jacquinot aborde un autre aspect de la multiplication des écrans qui concerne directement l'enseignement/apprentissage : favorisent-ils ou freinent-ils l'apprentissage, par la médiation qu'ils opèrent entre le sujet et le savoir ? Bien évidemment, parler des écrans ce n'est pas ignorer ce qui est derrière, mais c'est utiliser la surface visible pour y associer ce qui se passe "au travers". Si convergence il y a entre les différents écrans, d'un utilisateur à l'autre, ce qui passe au travers des écrans est bien différent. Car si les écrans se multiplient, ils deviennent les surfaces de projection/exposition de chacun de nous. C'est ce qui est assez déroutant c'est lorsqu'on accède à l'écran de quelqu'un d'autre (en utilisant la machine personnelle de celui-ci). On découvre alors cette progressive personnalisation qu'effectue chaque usager. A force d'usage, l'ordinateur (qui finalement est derrière tous ces écrans, quelle qu'en soit la taille) qui semble neutre est polyvalent devient progressivement un intermédiaire entre la personne et sa "projection numérique".


Les écrans de l'école sont-ils porteur de la "projection numérique" de chaque élève ? Si l'écran est partagé, il est le plus polyvalent et le moins personnalisé possible autrement que par l'institution qui le gère (fonds d'écrans, applications installées, documents, filtres). Mais s'il est connecté à un serveur (proche ou distant) alors il peut y avoir une personnalisation partielle, mais sous contrôle. Car l'un des problèmes essentiels du monde scolaire est le "contrôle" de l'activité de l'élève. Avec ou sans écran, l'enseignant doit capter l'attention de l'élève dont il espère qu'il va apprendre. Les mentions, fréquentes sur les bulletins scolaires, qui parlent de manque d'attention sont souvent le reflet que des écrans qui se dressent devant l'élève qui apprend. Marcel Pagnol nous avait montré les écrans que constituent les fenêtres de la classe ainsi que l'imagination de l'enfant. Aujourd'hui les fenêtres sont dans les poches et constituent de nouvelles échappatoires du quotidien.


Les nombreuses interdictions de téléphone portable (cf. texte de loi sur les écoles et collège sur le sujet) inscrites dans les règlements intérieurs sont bien souvent contournées par les élèves. La multiplication des écrans permet de plus en plus facilement ces échappées. Du coup le contrôle de la classe ne peut plus s'évaluer sur la simple attention vers le professeur, mais plutôt vers l'activité donnée à faire à l'élève. Si le problème reste, globalement, circonscrit et maîtrisé à l'école et au collège, il l'est beaucoup moins au delà. Si les lycées et l'enseignement supérieur ou la vie professionnelle sont désormais au centre de ces évolutions, c'est, et pour tous les âges, la vie personnelle, l'espace privé qui est en train d'évoluer. Les sociologues ont bien montré combien les objets de la maison sont porteurs de sens, aussi bien dans leur définition que dans leur emplacement dans l'espace et dans la vie quotidienne. Les écrans à domicile, de plus en plus personnels, (chacun le sien) bouleversent progressivement deux principaux éléments de notre environnement individuel : l'espace personnel d'apprentissage/d'information, l'environnement communicationnel.


Les changements que l'on observe dans la vie personnelle ont inévitablement un retentissement sur la vie professionnelle du fait de la nouvelle continuité qu'apportent aussi bien la mobilité des écrans que leur connexion quasi permanente aux réseaux. Le monde scolaire, en multipliant les écrans (tablettes par exemple) invite, sans s'en apercevoir parfois, les élèves à développer cette continuité. Dès qu'il tente de la rompre, les élèves (et les adultes) sont amené à les réinstaurer en utilisant des moyens "non conventionnels" et surtout non autorisés, tant elle devient un mode de vie. Derrière les écrans se cachent bien des secrets qui appartiennent à chacun. Désormais nous emportons nos secrets d'écrans avec nous et dès qu'on ne nous sommes empêchés d'y accéder, nous recherchons au plus vite à les retrouver, connectés, de préférence. Ainsi les écrans numériques connectés nous deviennent tellement ordinaires que nous n'imaginons plus de nous en passer, même dans l'établissement scolaire ou universitaire.


Bruno Devauchelle



Les chroniques de B Devauchelle

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Par fjarraud , le mardi 15 octobre 2013.

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