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Enseigner - Apprendre avec Britt-Mari Barth 

« À l’origine de mon travail, il y avait le constat que les élèves ne s’engageaient pas vraiment dans leurs apprentissages, beaucoup s’ennuyaient ou s’inquiétaient… D’où, mon envie de mieux comprendre le processus enseigner-apprendre pour identifier les facteurs qui étayent ce processus. » Britt-Mari Barth dirige le Laboratoire de recherche pour le développement sociocognitif (LAREDESCO). Elle est l’auteure de trois ouvrages de référence : L'Apprentissage de l'abstraction, Le savoir en construction et Élève chercheur, enseignant médiateur, donner du sens aux savoirs (éditions Retz).

 

Vos travaux, depuis 25 ans, vous ont conduit à élaborer une pédagogique connue sous le nom de « l'apprentissage de concepts »…

 

Il s’agit pour l’enseignant d’entrer dans les apprentissages par un processus de conceptualisation  - plutôt que par le contenu -  et ainsi amener les élèves à construire le sens de ce contenu. Cela consiste à proposer des activités qui amènent les élèves à construire les concepts qui sont au cœur du contenu en question. Ces concepts  peuvent ensuite être transférés à d’autres situations. On évite ainsi les apprentissages par cœur et favorise la compréhension – et également le plaisir de comprendre.  L’élève se trouve dans une posture de chercheur et l’enseignant prend le rôle du médiateur entre les élèves et le savoir. C’est cette interaction, à partir d’une variété de situations ou de supports, qui induit l’apprentissage.

 

L’une de vos préconisations est  de  prendre en compte, dans sa globalité, l'individu qui apprend…

 

L’intelligence n’est pas que pur intellect. L’affectif et le cognitif ne sont pas séparables et cela ne peut plus s’ignorer.  L'enjeu pédagogique est de faire adhérer les élèves à un projet d’apprentissage commun où l’on rend explicites les attentes mutuelles. J’appelle cela un contrat d’intersubjectivité qui vise à créer la confiance nécessaire pour s’engager dans le processus enseigner-apprendre. Les élèves doivent comprendre qu’il y a une tâche concrète à laquelle ils sont invités à participer, en interaction avec les autres, et qui aboutit à une production. Par les structures d’interaction proposées, on garantit une place à chacun. Chacun doit se sentir comme un interlocuteur valable.

 

L’activité proposée doit avoir un début et une fin, anticiper un but compréhensible, qui offre quelque défi et un espace de dialogue et d’argumentation, avec une série de feedbacks tout le long, qui permet quelque maîtrise du succès de l’entreprise. On assure  les élèves d’un accompagnement, mais il s’agit de leur donner une place plus grande  pour qu’ils participent et contribuent pleinement à l’acte éducatif. Le défi pour l’enseignant est  de prendre en compte les trois  facettes de l’apprentissage, en même temps : le réflexif – comment  susciter la réflexion pour apprendre ;  l’interactif – comment créer l’interaction entre les personnes, mais aussi avec le savoir dans ses différentes formes – et l’affectif – comment  engager les personnes, susciter l’intention d’apprendre… – en vue de leur faire acquérir des connaissances dynamiques et flexibles,  prêtes à être mobilisées dans des compétences multiples, dans des contextes nouveaux.

 

Vous pensez que la  façon d’apprendre est  aussi importante que ce qu’on apprend ?

 

Dans la perspective d’apprendre ensemble, c'est tout le processus enseigner-apprendre qui se trouve transformé. C’est une autre vision qui le sous-tend, une autre théorie d’apprentissage qui le guide. C’est difficile pour les enseignants de changer leur vision des apprenants, leur relation avec eux, leur conception du savoir, l’idée qu’ils se font de l’autorité, de l’évaluation… surtout s’ils n’ont pas eu eux-mêmes, dans leur formation, l’occasion de vivre cette expérience. Un changement profond exige d’examiner la relation de cohérence qui existe entre la pratique pédagogique en classe et la formation des enseignants.  Il n'y aura pas de changement de paradigme dans les classes si ce même changement n'a pas déjà eu lieu dans nos formations. Le défi est sans doute la création d’une nouvelle culture d’apprentissage, offrant une réelle expérience vécue par les formés, leur permettant : de donner sens à ce que veut dire apprendre (en prenant notamment  en compte le lien affectif/cognitif) ; de faire évoluer leur conception du savoir, en prenant en compte notamment son aspect dialectique et évolutif ; de prendre conscience du rôle de la médiation, cognitive, affective et sociale, fondamental dans ce parcours.

 

L’ouverture du monde scolaire aux outils numériques  est-elle l’annonce d’une nouvelle ère pédagogique ?

 

Les outils numériques n’ont pas de valeur particulière en elles-mêmes – cela dépend de l’usage qu’on en fait. Mais si l’on s’en sert comme d’une valeur ajoutée, cette révolution numérique (car il s’agit bien de cela !) peut devenir un levier  de changement pour  transformer la pédagogie. Un tableau numérique, par exemple, peut permettre aux élèves de faire des exercices interactifs ou des corrections collectives de productions de textes. Chacun peut interagir, à la fois avec le contenu et avec les autres, par rapport à un but précis. L’enseignant peut suivre le raisonnement des élèves, et les aider à diriger leur attention sur certains points, modéliser des stratégies efficaces.

 

Il est facile de visualiser des liens, structurer, surligner… ce qui aide la mémorisation. Les outils numériques peuvent faciliter la possibilité de collaborer, d’intervenir sur la même production, de s’entraider, de se concerter… Cela favorise le sentiment de bien-être et  de sécurité. Mais il faudrait préciser les rôles pour que la collaboration soit réelle. Je pense qu’il faut être ouvert à ces nouvelles ressources, qu’il faut s’en servir – de toute façon, elles sont là ! Ainsi, mettre les nouveaux outils numériques au service des apprentissages peut participer  à l’évolution des pratiques pédagogiques : c’est encourager l’interactivité ; c’est redéfinir la place des élèves et les rendre conscients de leur rôle possible d’être acteurs. Ce serait une chance pour eux !

 

Lexique : Des concepts familiers pour vous,  sont parfois hermétiques pour d’autres … Donnez-nous  quelques définitions ?…

 

Conceptualisation ? La conceptualisation est un processus de pensée qui mène vers l’abstraction et la généralisation. Elle passe par l’observation, la comparaison (l’analyse), l’inférence (faire un jugement, choisir), la vérification de celle-ci. L’hypothèse et sa vérification permettent ensuite d’étendre la conclusion à tous les cas qui présentent les mêmes caractéristiques. Nous conceptualisons sans cesse pour donner une signification aux sensations. C’est un processus fondamental qui traverse toute pensée. Pour comprendre un domaine disciplinaire, les élèves ont besoin d’élaborer les concepts qui le fondent.

 

Intersubjectivité ? L’intersubjectivité concerne les attentes mutuelles qu’on peut avoir dans une situation de communication. En classe, il est important pour les élèves de comprendre ce qu’on attend d’eux – et ce qu’ils peuvent attendre de l’enseignant. Un « contrat d’intersubjectivité »  (qui peut prendre la forme d’une « consigne ») vise à créer la confiance nécessaire pour s’engager dans une situation d’apprentissage en explicitant les attentes mutuelles.

 

Médiation sociocognitive ? La médiation en classe est la fonction pédagogique qui se situe entre les élèves et le savoir pour faciliter l’accès au savoir. L’enseignant-médiateur cherche en quelque sorte à réconcilier les élèves avec le savoir, de leur faciliter le « passage » d’un état de connaissance à un autre, de faciliter le « changement conceptuel ». Cela se passe en étant attentif à leur façon d’apprendre, le cognitif, mais également à leur façon d’interagir avec le savoir et avec les autres, c’est le côté « socio ». Cette conception fait évoluer le rôle de l’enseignant : de la transmission on passe par la transaction pour viser la transformation. 

 

Métacognition ? La métacognition veut dire « revenir sur » (méta) sa propre pensée (la cognition), à la fois le mode de pensée et son contenu, pour en prendre conscience. Son but est d’élargir le champ de la conscience des apprenants et donc leur capacité à réutiliser ce qu’ils savent dans des contextes différents.

 

Outils intellectuels ? Un outil intellectuel, ou un « instrument psychologique », selon le terme de Vygotski  (1) ;  c’est     ce avec quoi l’on pense, ce qui structure et prolonge notre pensée et, in fine, la transforme. L’idée est de rendre notre pensée plus structurée, plus puissante. Voici quelques exemples d’outils intellectuels : les concepts disciplinaires qu'il faut connaître pour comprendre un domaine de savoir, des modes de pensée transversaux, comme la conceptualisation ou le mode narratif ; des outils matériels, comme un boulier, une calculatrice ou autres technologies nouvelles ; des supports divers, comme des schémas, des grille d’analyse, des représentations graphiques, des symboles algébriques, des notations musicales et d’autres systèmes symboliques, le plus important étant la langue. « Dans l’acte instrumental, l’homme se contrôle lui-même de l’extérieur, à l’aide des instruments psychologiques », nous enseigne Vygotski.

 

Propos recueillis par Gilbert Longhi

 

Notes :

1  Lev Vygotski (1896-1934) est un psychologue biélorusse qui a développé une représentation pro-marxiste (matérialiste dialectique) du psychisme. Il a notamment envisagé le développement intellectuel de l’individu  comme un effet des rapports sociétaux plutôt que comme une problématique subjective autonome. Sa réflexion est associée de nos jours à une approche constructiviste du développement cognitif de l'enfant.



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Par fjarraud , le samedi 28 juin 2014.

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