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La Rubrique Juridique : Liberté d’opinion et restrictions 

Pour cette dernière rubrique juridique de l'année scolaire 2016/2017, nous allons étudier les limites à la liberté d'opinion que sont les obligations de secret professionnel, de neutralité, de discrétion et de réserve.


Rappelons tout d'abord le principe de base qui est simple : « La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires » par l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Vous avez donc le droit d'être fonctionnaire, ou agent public, et d'avoir des opinions politique, syndicale, philosophique ou religieuse que vous pouvez librement exprimer.

Mais ce principe, sur lequel je ne m'étendrai pas, connaît des limites légales et réglementaires pour les fonctionnaires, et les agents publics, puisque l'article 26 de la loi précitée dispose :


« Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal.

Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d'accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent. »


Par ailleurs, à ces limites légales vient s'ajouter celle de l'obligation de réserve, d'origine jurisprudentielle.



1°) L'obligation de secret professionnel

Évacuons rapidement le premier paragraphe de cet article 26 précité en précisant que la notion de secret professionnel est bien évidemment variable selon l'emploi occupé par l'agent public et que, de par ses fonctions, l'enseignant est peu concerné par cette obligation.

En effet, en ce qui concerne ce dernier, cette obligation de secret professionnel se résume la plupart du temps à l'obligation de ne pas divulguer les informations personnelles relatives à la santé, au comportement, à la situation familiale d'un élève, etc., dont il a connaissance.

Néanmoins ce secret professionnel peut être levé pour assurer la protection des personnes (maltraitances, etc.), la préservation de la santé publique (maladies contagieuses, etc.), la préservation de l'ordre public (dénonciation de crimes ou de délits sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale) et le bon déroulement des procédures de justice.

Rappelons, enfin, que la révélation de secrets professionnels en dehors des cas autorisés est punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000,00 € d'amende.

Par conséquent, assurez-vous, avant de vous défaire de cette obligation, que vous rentrez dans le cadre d'une de ces exemptions.


2°) L'obligation de discrétion

Elle est posée par le second alinéa de l'article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précité et impose à un agent public de ne pas divulguer les informations relatives au fonctionnement de son service.

Elle s'applique à l'égard des administrés mais, également, entre agents publics, à l'égard de collègues qui, du fait de leurs fonctions, n'ont pas à connaître certaines informations.

Cette obligation peut être levée par décision expresse de l'autorité hiérarchique ce que vous vous ferez confirmer par écrit si vous devez vous trouver dans cette situation.

Contrairement à ce que certains semblent ne pas avoir compris ou, plus vraisemblablement, ne veulent pas comprendre, les délégués syndicaux ne sont pas dispensés de cette obligation…

Enfin, pour être tout à fait complet sur ce point, je vous rappelle que, l'adresse professionnelle engageant la collectivité, elle ne doit véhiculer aucune information lui portant préjudice, ni apparaître sur un espace d'expression politique ou confessionnel.


3°) L'obligation de réserve

« Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait »

Cette formule prêtée à Michel Debré résume bien ce qu'a été la conception de l'obligation de réserve imposée aux fonctionnaires pendant des années.

Conception d'autant plus aisée qu'il n'existe pas de définition législative ou règlementaire de la notion d'obligation de réserve, celle-ci étant une construction uniquement jurisprudentielle dont la définition varie en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s'est exprimé, modalités et formes de cette expression).


Alors, qu'est-ce que l'obligation de réserve ?

C'est l'obligation faite à tout agent public de s'exprimer, dans les réunions publiques, par écrit ou par oral, avec réserve et mesure et sans se prévaloir ouvertement de sa qualité.

C'est, également, l'obligation imposée aux agents publics de ne pas exprimer leurs opinions, convictions ou orientations de quelque nature qu'elles soient dans le cadre de leurs fonctions.

C'est, enfin, l'obligation de ne pas critiquer publiquement le fonctionnement de l'administration ou du service, le but étant d'éviter les comportements susceptibles de porter atteinte à la considération du service public par les usagers.

L'obligation de réserve ne concerne donc pas le contenu des opinions dont la liberté est reconnue par la loi aux agents publics, mais le mode d'expression de ces opinions.

Quant à l'obligation de neutralité, corollaire de l'obligation de réserve, elle vise à éviter toute discrimination ou comportement discriminatoire vis-à-vis des usagers du service publique.


4°) Sanction du non-respect de ces obligations

En cas de manquement à ces obligations, une sanction disciplinaire administrative peut vous être infligée en complément des éventuelles condamnations civiles ou pénales prononcées.

Un professeur d'EPS a d'ailleurs fait l'objet de la sanction disciplinaire du second groupe du déplacement d'office pour des faits évoqués dans les attendus de l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux (CAA de BORDEAUX, 24 janvier 2017, N° 15BX00544, Inédit au recueil Lebon) :


« (...)

4. Aux termes des dispositions de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : "Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale.". Et aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : "Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ;- le blâme. Deuxième groupe : (...) ; - le déplacement d'office".

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer la sanction contestée, l'administration s'est fondée sur "les positionnements professionnels de l'intéressé qui ont porté atteinte à l'image du service public de l'éducation nationale" et sur la circonstance que "la conduite de M. B... traduit des manquements répétés à l'obligation de réserve des fonctionnaires". M. B... soutient qu'il a simplement usé de son devoir de signalement dans l'intérêt unique des enfants avec comme légitime souci de protéger l'intégrité des élèves face à des faits d'une exceptionnelle gravité concernant l'un de ses collègues enseignant qui manifestait envers les élèves un comportement fait de " brimades, humiliations et violences physiques ".

6. M. B... conteste le rapport du directeur académique du 18 février 2013, le compte rendu d'enquête administrative du 25 février 2013 et le rapport disciplinaire du 5 avril 2013 présentés à la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire le 26 avril 2013 pour leur objectivité critiquable et pour faire état de témoignages divers et spontanés dont il n'a pu prendre connaissance lors de la consultation de son dossier. Toutefois, il résulte de l'instruction que M.B..., selon ses propres dires à titre de simple citoyen, revendique avoir participé à la réunion plénière du collectif des parents, à l'occasion de laquelle a été sérieusement mise en cause la communauté éducative. De même, le requérant reconnaît avoir été abordé par un journaliste de France 3 Aquitaine avec lequel il s'est entretenu, le 14 février 2013, devant l'établissement et ce, dans un climat de tension extrême. Il résulte encore de l'instruction qu'une opposition durable existait entre M. B... et l'un de ses collègues enseignant d'éducation physique et sportive sur un plan professionnel qui s'est, à la suite des événements, étendue à une grande partie des membres de la communauté scolaire, avec comme résultante un clivage important. Le requérant ne produit aucun élément permettant de douter de l'impartialité des auteurs des rapports et comptes rendus relatant les faits qui lui sont reprochés.

7. M.B..., par sa simple présence à la réunion constitutive d'un collectif de parents opposé à la direction de l'établissement, a cautionné les accusations qui ont jeté le discrédit sur ses collègues, sur l'équipe de direction et sur l'établissement, et qui ont généré des troubles conduisant au blocus de l'établissement de Biscarosse. Par ailleurs, il est avéré que le requérant, en acceptant de répondre à une interview par voie de presse sans y avoir été autorisé par sa hiérarchie, faisant état publiquement du différend professionnel qui l'opposait à la direction de l'établissement scolaire, a manqué au devoir de réserve qui s'impose à tout agent public.

8. Si M. B... se prévaut du soutien d'une partie des parents d'élèves, ce soutien, qui fait suite à l'appui qu'il a apporté à leur mouvement de protestation, n'est pas de nature à mettre en doute la réalité des faits reprochés ni, dans les circonstances de l'espèce, à en atténuer la gravité. M. B... soutient que ses agissements étaient justifiés par des faits graves imputables à certains de ses collègues vis-à-vis d'élèves. Toutefois, à supposer que ces faits aient été exacts, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... n'aurait eu aucun autre moyen que ceux qu'il a employés pour signaler les agissements qu'il dénonçait, de façon à ce que la protection des élèves soit assurée.

9. Les manquements reprochés au requérant, ainsi que leur caractère répété dans un climat conflictuel engageant des élèves de l'établissement, en particulier, les propos tenus ayant fait l'objet d'une large diffusion à l'extérieur du service, compte tenu des fonctions d'enseignant exercées par l'intéressé et de ses responsabilités auprès des élèves, ont été de nature à porter atteinte à l'image du service public de l'éducation nationale et présentent un caractère de gravité suffisant pour justifier une sanction disciplinaire. En prononçant à raison de ces faits la sanction de deuxième groupe de déplacement d'office, le recteur de l'académie de Bordeaux n'a pas pris de décision disproportionnée.

10. Le recteur, en sanctionnant un manquement à l'obligation de réserve, n'a pas porté atteinte à la liberté d'opinion de M.B..., garantie notamment par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

(…) »


Première remarque : si les textes fondant la sanction disciplinaire sont cités par la Cour (points 4.), vous remarquerez qu'aucun texte n'est évoqué à l'appui de la notion de droit de réserve (et pour cause…), notion fondant pourtant la sanction disciplinaire.

Deuxième remarque : quel que soit le bien fondé des motifs qui ont poussé cet enseignant à manquer à son obligation de réserve, il ne pouvait et ne devait y déroger.

Troisième remarque : dans de telles circonstances, et à supposer qu'elles soient avérées, ce sur quoi je ne peux me prononcer, cet enseignant aurait eu intérêt à se prévaloir des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale pour dénoncer les faits.

Quatrième remarque : Ce professeur d'EPS s'en tire quand même bien puisqu'il a fait annuler sa sanction disciplinaire par le tribunal administratif de Pau pour… vice de forme et de procédure.


5°) Quelques conseils pour conclure

- Restez toujours modéré et courtois lorsque vous vous exprimez en public, surtout si celui-ci a connaissance de votre qualité de fonctionnaire ou d'agent public.

- Évitez d'exprimer vos opinions, convictions ou orientations personnelles durant le temps de service sauf si vous le faites entre collègues et de manière pondérée.

- Évitez de vous prévaloir de votre qualité d'enseignant pour donner plus de force à vos propos. Le résultat est loin d'être acquis et vous risquez une sanction disciplinaire…

- Vous pouvez manifester pour contester une réforme ou une décision collective mais vous ne pouvez le faire que dans le cadre d'une manifestation préalablement autorisée et/ou d'un appel à la grève dûment déposé.

- Vous pouvez parfaitement répondre à des interviews et vous faire prendre en photo mais à la condition de soigner la forme et le fond.

- N'engagez que vous ou le collectif qui vous a mandaté lorsque vous vous exprimez ; vous n'êtes pas l'attaché de presse de l'administration ou de vos collègues pris collectivement.


Bonnes vacances à toutes et tous.


Laurent Piau



Laurent Piau, juriste, est l'auteur de l'ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF

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Par fjarraud , le vendredi 07 juillet 2017.

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