Prof d'EPS en ZEP : "Tous les oiseaux rêvent de voler" de Cécile Rossard 

C'est un petit livre intelligent, tendre et attachant, à l'image des héros de l'ouvrage, les gosses du 93. Cécile Rossard nous donne à voir des moments à la fois ordinaires et particuliers où la relation se noue et où les postures glissent. Ce livre est aussi un bel hommage à la fonction fortement éducatrice de l'EPS.


Votre livre restitue des moments de vie au collège avec une belle exigence de poésie et de respect des élèves. D'où cela vous vient-il ? Pensez vous que votre discipline vous prépare mieux à cette posture de respect des élèves ?


L’exigence de respect que l’enseignant se donne, porte, et essaie de véhiculer est avant tout une posture humaine, construite sur des valeurs et renforcée au fil de multiples expériences. Chaque professeur, dans sa discipline, (telle qu’elle soit), et dans sa vie de tous les jours tente de porter et de transmettre ce regard - que l’on espère juste et bienveillant- sur ceux qui les entourent, et à fortriori les élèves. Cette relation de respect et de confiance mutuelle me semble être un préalable à tout volonté d’enseignement et d’apprentissage.


La formation des enseignants d’EPS en STAPS et IUFM, offre, en effet, tout particulièrement, des apports en psychologie de l’enfant, sciences de l’éducation, histoire, sociologie… et des expériences en stage très formatrices, propices à s’interroger sur sa posture et sa personne d’enseignant. (Apports et connaissances qui n’existent encore que de façon très rares dans les autres formations disciplinaires).


Concernant l’écriture «  poétique », j’avoue ne pas rechercher de style particulier. J’arrive chez moi et pose sur papier ces petits moments de la journée qui m’ont marquée. Les mots choisissent cette musique, et je les laisse faire. Elle me correspond sans doute, et permet probablement de pouvoir rendre compte d’évènements parfois difficiles avec une certaine distance.



Pensez vous que le prof d'EPS a des rapports différents avec les élèves que les autres profs ?


Les relations adultes-enfants prennent une dimension particulière et spécifique dans le milieu scolaire. Le contexte de l’école nourrit ces rapports humains de multiples enjeux (d’apprentissage, d’orientation, d’éducation…). Et dans un contexte qui peut être difficile, (le nombre, l’hétérogénéité…) il n’est pas toujours aisé d’établir des rapports privilégiés et constructifs avec les gamins. L’enseignant tente de se situer dans l’ensemble de ces contraintes pour poursuivre, comme il peut…, ses objectifs. Il est certain que le contexte d’intervention de l’enseignant d’EPS offre certaines spécificités, sur lesquelles l’enseignant peut, ou non s’appuyer.


Par exemple, la place physique de l’enseignant dans la classe est particulière en EPS, l’enseignant se retrouve fréquemment « au milieu » des élèves, « au même niveau », il a la possibilité de « jouer » avec eux, ce qui permet d’établir un autre rapport adulte-enfant dans la construction ou co-construction des savoirs. Se retrouver à quatre pattes, avec des élèves en équilibre sur votre dos pour démonter une figure d’acrosport implique nécessairement un rapport de confiance.


Le moment des trajets est aussi un moment privilégié pour établir d’autres formes d’échanges que ceux possibles devant une classe entière. Le quotidien des élèves (récit des « bobos », des modes de vies, des activités extrascolaires…), l’état de leurs relations au sein de la classe…, y est souvent exprimé plus librement. Je le montre dans le livre avec l’histoire de la gamine qui pendant tout le trajet me parle de ces projets de conduite accompagnée…


L’enjeu du rapport au corps et au groupe, permanent en EPS a nécessairement des répercussions. Il est difficile de « se cacher au fond de la classe ». Nous percevons parfois des attitudes de malaise, de retrait…qui peuvent susciter des discussions…


Certains élèves peuvent en outre, trouver en EPS une forme d’expression de leurs qualités qu’ils ne parviennent plus à trouver dans les autres disciplines (où ils ont intégré leur statut d’élève en échec), ce qui favorise les moments d’échanges constructifs pour les gamins qui peuvent parfois se sentir plus en confiance, car en réussite, et donc nouer une relation plus positive à l’adulte qui les aide.


Mais je reste persuadée que quelque soit la discipline enseignée, le professeur peut s’appuyer sur les spécificités de sa discipline, et jouer de ses contraintes, pour établir les rapports qui lui semblent porteurs.



Il y a des problématiques qui sont propres à l'EPS, je pense au genre, au handicap, à la sécurité, qui prennent en charge des dimensions particulières des élèves. Cette formation là vous a t elle aidé à imaginer ce livre ?


Les petits textes qui constituent le livre sont réellement des réactions, réflexions… posées directement après les cours, faisant échos à des situations émotionnellement fortes pour moi. Et il apparaît en effet que certaines problématiques apparaissent comme plus prégnantes. Les prises de risques expérimentées par les élèves trouvent, par exemple, en EPS, de multiples façons de s’exprimer, et me mettent moi, dans des situations de gestion de classe parfois très tendues. Les élèves se mettent parfois en danger, ou je peux, malgré moi, les y mettre…


Ils se mettent en danger physiquement (le texte « Energie et stratégie » montre comment les marrons peuvent devenir projectiles, comment les bagarres, les insultes… sont monnaies courantes…) Les élèves, ont, en EPS, à disposition, espace, instruments, et partenaires pour reproduire ces formes d’interactions violentes qu’ils connaissent et côtoient trop souvent... Ils peuvent aussi se trouver en « danger » dans la relation aux autres, ou vis-à-vis de l’estime d’eux-mêmes… Ils sont en EPS directement mis en confrontation à autrui et à eux-mêmes, devant assumer leur corps d’ado en pleine transformation. Ils se laissent alors bien souvent déborder par les émotions générées par les sentiments de frustrations, de honte… (Le texte « c’est bon wouaich, j’allais sauter ! » à la piscine est un exemple de cette mise en danger symbolique générée par la peur du regard d’autrui…). Je n’ai pas pour autant particulièrement cherché à mettre ces dimensions en avant, ou à m’y référer pour organiser le livre. Elles sont inhérentes à cette vie de collégien, et ressurgissent donc dans mes textes.



Il y a aussi des situations propres à l'EPS dans les rapports que vous évoquez dans votre livre. Des exemples ?


Les élèves ont, en EPS, de nouveaux espaces d’actions, et de paroles. Que faire lorsqu’ils se sont tous éparpillés sur les stades, qu’une moitié est en train de courir partout, et que l’autre est en train de s’envoyer du sable… Que faire lorsqu’en élève ne cesse de « faire de la mobylette », mimant ses folles chevauchées accompagnées de la bande son, dans un gymnase qui résonne… lorsqu’une fille se sent tellement mal à l’aise qu’elle ne veut pas entrer dans la piscine en maillot de bain… Le recours à l’humour, la remise en activité « physique », les défis, la parole, la valorisation… sont les outils que je tente d’utiliser… pour les raccrocher aux apprentissages, ou au moins au respect des autres et des règles. Intégrer la mobylette dans un enchaînement de gym, proposer un atelier bagarre pour les surprendre, afficher ses propres craintes pour permettre à l’élève de sortir de l’eau la tête haute… (« moi aussi, j’ai un peu peur, alors je préférerais que tu prennes la perche… ») Je n’ai trouvé aucune recette et me confronte sans cesse à de nouveaux murs. Mais je crois que chacun, peut, avec les atouts de sa discipline, de son espace, de sa relation au gamin, tenter de « sauver » la situation en proposant des portes de sortie nécessaires à chacun pour continuer d’avancer.



Les grands absents du livre ce sont les collègues enseignants. Comment expliquez vous cela ?


Dans ce livre, j’ai fait le choix de porter essentiellement mon regard sur les élèves, mes rapports avec eux, et ce que cela provoquait sur ma personne, sur ma construction de prof. Les situations évoquées se réfèrent alors quasi exclusivement aux moments de cours à proprement dit (excepté les relations aux parents). Je rédige également des textes évoquant des réflexions sur le système éducatif… (article sur les ZEP paru sur le site de Meirieu par exemple), mais c’est alors une autre forme de récit, qui n’avait pas sa place dans le livre.


Les moments d’échanges, de discussion, de réflexion, d’écoute… avec les collègues sont, pour moi, partie prenante de mon métier de prof. Ils structurent, alimentent, relancent, et coexistent avec mes moments de classe. Ils ne pouvaient donc pas se matérialiser ici en petit récits anecdotiques, venant ponctuer de temps à autres les récits de prof avec ses élèves. (La liste des anecdotes dans les salles des profs est longue… et si elle reste sous forme anecdotique, elle n’est que peut constructive et peut très vite s’avérer caricaturale…)


Les collègues (enseignants ou personnels de l’équipe éducative) sont finalement toujours présents. Ils le sont au plus proche du terrain, à chacun de mes cours, lorsque nous partageons les installations avec mes collègues d’EPS, que nous régulons ensemble le passage par les vestiaires, la relation aux gardiens de gymnase, le respect des lieux… Lorsque nous échangeons des idées, du matériel voire des élèves pendant le déroulement du cours… Ils le sont lors de tous les projets qui sont des moteurs essentiels dans mon travail : Les projets d’écriture poétique (que j’évoque dans un des textes du livre), les voyages au ski, les formations des délégués, le projet Hip Hop (qui a abouti, entre autre, à la réalisation du Graf présent sur la couverture du livre), les petites passerelles ponctuelles entre deux disciplines sur un éléments du programme, ou sur un intérêt particulier pour une difficulté d’élève (le texte « Ketty »), les projets théâtres, les Itinéraires De Découvertes, les relation aux parents (projets avec les profs principaux, projets de soirée avec les parents…). Les collègues sont donc présents lors de tous ces moments, mais aussi et surtout dans tous les autres, les plus informels, ceux qui m’aident à construire mes réflexions, à débroussailler les situations, les conflits, à mettre de la distance. Ce sont les discussions « soupapes » le soir, lors de mes premières années de colocations ; ce sont les cours préparés à deux ; ce sont les discussions, questionnements sur nos difficultés, sur notre vision du système éducatif, nos revendications, notre place de prof là dedans ; ce sont les soutien de l’administration face aux impasses ; ce sont toutes ces perches tendues, par des collègues, très vite devenus amis et qui m’ont finalement permis d’écrire ces texte et d’aboutir à ce livre. Des absents donc… les plus présents.



Depuis que le livre est sorti, cela a t il changé quelque chose dans vos rapports dans  votre nouvel établissement ?


Je n’évoque pas du tout mon activité d’écriture au sein de mon établissement. Quelques collègues avaient lu mon premier livre, et se sont intéressés à celui-ci. Ce sont bien souvent les collègues qui me sont les plus proches, et qui, de fait, n’ont pas eu besoin du livre pour me connaître en tant que prof. Je bosse en survêtement, mais j’aime aussi les mots, et ceux-ci me sont assez faciles d’accès, j’en profite donc en offrant un support de partage pour ceux qui le souhaitent, mais je leur laisse le soin de faire la démarche d’y accéder !


Cécile Rossard

 

Entretien François Jarraud


Cécile Rossard, Tous les oiseau rêvent de voler, éditions Diabase, 2008, 96 pages. Préface de Philippe Meirieu.



Sur le site du Café
Par fgiroud , le samedi 15 novembre 2008.

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