A la Une : Préparons une autre réforme de la formation des enseignants. Rencontre avec Claire Pontais 

Par Antoine Maurice



Comment associer dans un même master : formation à la recherche, préparation au concours et professionnalisation ?  Le SNEP (syndicat national des enseignants d’EPS) par l’intermédiaire de Claire Pontais, tente avec brio de sortir des clivages, pour dépasser la simple contestation et faire des propositions à court, moyen et long terme en faveur d’une véritable formation des enseignants.


Concernant la réforme que nous venons de connaître, vous parlez  de dégâts considérables. Quels sont ils ?


Ils sont de tous ordres. Tout d’abord pour les fonctionnaires stagiaires qui, privés de formation professionnelle après le concours, ont été face à toutes les difficultés du métier en même temps. Contrairement à ce que l’on entend, ce n’est pas seulement « un mauvais moment à passer » pour eux ! C‘est leur rapport au métier qui est en jeu, toute leur énergie a été consacrée à régler les problèmes d’urgence. Ils n’ont pas pu se concentrer sur ce qui constitue le cœur du métier « faire apprendre les élèves ». Tout ce qui concerne leur capacité à analyser la pratique professionnelle, la faire évoluer tout au long de leur carrière est passé à la trappe.


Du côté des étudiants, il y a une chute de 50% des candidats au concours, et des inscrits en IUFM. Cette crise du recrutement, déjà amorcée dans le second degré avant la réforme, s’aggrave, touche maintenant le premier degré et s’annonce durable. Seulement 11% des étudiants souhaitent devenir enseignants, soit une baisse de 11 points en 6 ans. Cela ne peut qu’empirer avec la chute du nombre de postes au concours (les étudiants hésitent à s’engager dans des études si longues pour un résultat aléatoire) et avec les masters enseignement ou préparant au concours qui sont surchargés, tiraillés entre préparation concours (disciplinaire)-préparation au métier (professionnel) et recherche (écriture d’un mémoire) et qui demandent un travail énorme. A cette surcharge, s’ajoute le fait que les étudiants sont obligés de travailler pour vivre et payer leurs études, notamment les frais de déplacements liés aux stages qui ne sont plus remboursés alors qu’ils l’étaient auparavant.

Enfin, alors que le ministère de l’Education nationale disait vouloir conserver le « potentiel » IUFM, les équipes pluricatégorielles de formateurs ont explosé. Les formateurs associés du second degré ont été renvoyés dans les établissements, les maîtres formateurs du premier degré ont eu bien du mal à intervenir dans les masters. Les formateurs sommés de s’adapter au risque de disparaitre ont fait ce qu’ils ont pu pour faire vivre des masters qu’ils savent infaisables tant que la décision de revenir sur cette fichue réforme ne sera pas prise !    


Malheureusement le gouvernement est incapable d’apporter des solutions pour reconstruire ce qu’il a mis deux ans à détruire. C’est pour cette raison que nous nous tournons vers l’avenir et formulons des alternatives pour le long terme.


Vous dites qu’il faut partir des exigences du métier pour former un enseignant.  N’est-ce pas une évidence ?


Cela parait une évidence mais personne ne le fait ! Tout le monde a mis en avant des considérations autres, notamment structurelles : diminuer les coûts de la formation, définir la place du concours, gérer les flux d’étudiants, sauver les masters recherche, etc… ! Certes, la formation des enseignants est une chose complexe, qui fait « système », et une réforme doit prendre en compte l’ensemble, mais le point de départ de la réflexion doit être l’enjeu de démocratisation et d’élévation du niveau de qualification dans un contexte de complexification des savoirs disponibles et d’augmentation des besoins de la société en matière d’éducation.


De quoi a besoin un enseignant pour se former ?


En premier lieu, un enseignant doit maîtriser les contenus qu’il doit enseigner. Mais si c’est une évidence et une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante. Nous constatons tous les jours qu’il ne suffit pas qu’un enseignant enseigne pour que ses élèves apprennent ! Un enseignant a besoin d’outils didactiques, de principes, de méthodes pour comprendre le fonctionnement des élèves et assurer la transmission des savoirs. Il a aussi besoin de savoirs et compétences sur l’environnement institutionnel et social  dans lesquels s’inscrivent les missions de l’enseignant. Et il a enfin besoin d’avoir un rapport à la recherche qui lui permette de suivre l’évolution des connaissances et de se former tout au long de sa carrière.


En conséquence, former un enseignant demande du temps. Il faut donc envisager un cursus progressivement professionnalisant, depuis la Licence jusqu’à la première année de titulaire, ainsi qu’une meilleure relation formation-recherche.

En premier lieu, il faut arrêter d’opposer formation disciplinaire et professionnelle et concevoir une « formation intégrée » : ce qui se passe à l’université (formation scientifiques, didactiques disciplinaires et didactique professionnelle) doit être en lien avec les stages qui eux-mêmes doivent être didactisés. Ce qui est vécu en stage est  ensuite analysé en centre de formation. Les contenus et méthodes de formations sont nourris par la recherche et sont adaptés en fonction de ce qui remonte « du terrain »… Le terrain est lui-même nourri par ce que produit le centre de formation.

L’absence de liens fonctionnels entre le centre de formation et le terrain est la cause principale du malaise dont font part de nombreux étudiants qui disent « ce que l’on nous apprend en cours ne nous sert à rien sur le terrain». Cette formation intégrée n’est ni « applicationniste » (considérer que l’étudiant « appliquerait » des « bonnes pratiques » sur le terrain est simpliste), ni « juxtaposée » (avec d’un côté le terrain, de l’autre l’université ; l’étudiant se débrouillant (ou pas) pour faire des liens dans sa tête…).

On voit bien que ce type de formation ne peut se résumer à un cursus universitaire « classique ». Il faut un temps spécifique de formation qui prenne en compte les exigences du métier. Cela plaiderait plutôt pour la mise en place, au sein de l’Université, d’écoles professionnelles menant au métier. Ce n’est pas le choix qui a été fait en France bien qu’il permettrait de régler nombre de problèmes. Il faut donc tenir compte de l’histoire. Notre histoire, c’est aussi un cursus qui doit intégrer un concours de recrutement dans la formation.


Au regard de ces besoins, quelles sont vos propositions ?


Nos propositions sortent du cadre habituel de pensée qui consiste à proposer des cursus et concours liés aux spécificités des différents degrés d’enseignement (premier, second degré, voie professionnelle). Nous partons du constat que, quelque soit le métier choisi, les étudiants ne se décident pas à devenir enseignant tous au même moment.

Concrètement, nous envisageons différentes voies d’accès au métier d’égale valeur  en fonction du projet de l’étudiant :

              Une voie pour les étudiants qui se destinent tôt au métier d’enseignant, avec des pré-recrutements au niveau Licence et un parcours professionnalisant de la licence au master.

              Une seconde voie pour ceux qui font un choix tardif après un master « disciplinaire ».

              Une troisième voie, qui s’adresse aux personnes qui ont déjà une expérience professionnelle et postulent par voie de VAE.

Les recrutements se faisant par concours (nous y tenons !), ceux-ci doivent être revus en fonction de la voie choisie. On peut tout à fait envisager des concours différents : très professionnalisants pour la voie 1, essentiellement sur base disciplinaire pour la voie 2 et 3. De même, les voies 2 et 3 bénéficient d’une formation professionnelle post-concours plus longue que la voie 1 (deux années à mi-temps). Les compétences  des enseignants sont similaires en fin de cursus. Au bout du compte, ces parcours différents doivent être conçus comme une richesse pour les équipes d’école et d’établissements. 

On pourrait aussi envisager des concours identiques pour les 3 voies, mais dans ce cas des formations au concours professionnalisantes doivent être proposées pour les voies 2 et 3.

Pour nous,  la première voie représente la voie principale. C’est un choix politique et économique (au deux sens du terme) : des enseignants bien formés et préparés aux missions qui sont les leurs seront des enseignants « rentables » et il n’est pas sûr qu’une analyse minutieuse (que le ministère n’a jamais faite) sur le coût réel de tout ça ne mette pas en évidence qu’il pourrait s’agir d’un investissement intéressant.


Dans vos propositions, vous évoquez les pré-recrutements, pouvez-vous nous en parler ?


Nous démontrons dans notre document, chiffres à l’appui, que les étudiants ne peuvent intégrer la pré-professionnalisation dans leur cursus que si on leur libère du temps, pris aujourd’hui pour 50% d’entre eux par des petits boulots qu’ils sont obligés de faire pour gagner leur vie !


Les pré-recrutements sont donc un point clé de nos propositions. On pourrait, comme certains le proposent, se « contenter » d’augmenter  les bourses ou allocations, mais ce ne sera pas suffisant. Les pré-recrutements permettent à la fois d’attirer des étudiants vers le métier, de juguler la crise du recrutement, de sécuriser les parcours étudiants et d’assurer la diversité sociale dans le milieu enseignant.

Pour l’étudiant, être pré-recruté le libère non seulement de contraintes financières, mais le rend disponible pour assumer une quantité de travail spécifique et exigeante. Le pré-recrutement l’engage à suivre la préprofessionnalisaton, passer le concours et travailler pour l’Etat pendant minimum cinq ans. Ces pré-recrutements ont déjà existé (les IPES du second degré se passaient à Bac+1)  et existent encore aujourd’hui pour les Ecoles Normales supérieures, les enseignants-ingénieurs du ministère de l’agriculture notamment.


Ces pré-recrutements peuvent se faire à tout niveau. Plus ils ont lieu tôt dans le cursus, plus ils permettent aux étudiants de milieu populaire de s’engager dans les études. Suivant le niveau où ils ont lieu, le contenu des épreuves doit être adapté (les épreuves d’entrée à l’ENS peuvent servir de base de travail). On peut aussi envisager que la réussite au  concours de pré-recrutement dispense d’un certain nombre d’épreuves du concours final (cette disposition a déjà existée).


Vous parlez également de propositions non retenues, quelles sont-elles ?


Nous analysons toutes les propositions qui sont faites par les différents acteurs en pointant leurs avantages et inconvénients. Celle qui a été la plus médiatisée est celle d’un concours en deux parties avec une admissibilité en M1 et une admission en M2. Les partisans de cette solution veulent régler ainsi le problème de gestion des flux des étudiants, mais sur le plan de la formation, c’est une mauvaise solution. Elle ne règle aucun problème sur le fond : elle continue de séparer les aspects disciplinaires (en M1, préparant aux écrits) des aspects professionnels (en M2) et empêche toute formation intégrée. Pour certaines disciplines comme l’EPS, les Arts et les disciplines technologiques, elle sélectionne de fait les enseignants uniquement sur des écrits qui ne constituent pas le coeur du métier ! Elle ne règle pas le problème de réorientation des étudiants qui ne pourront pas (ou ne voudront pas), notamment les PE polyvalents, se reconvertir dans un master monodisciplinaire.

La proposition d’une admissibilité en M1 reprend le schéma antérieur. Elle a l’avantage de ne faire entrer en M2 que les étudiants reçus au concours, mais ne règle pas non plus le problème des reconversions dans le cas d’un concours très professionnalisant, ni celui de la formation intégrée dans le cas d’un concours uniquement disciplinaire. De plus cette proposition correspond de fait à un retour en arrière qui contient en germe le décrochage entre premier et second degré.


Notre proposition nous semble donc être la mieux à même de prendre en compte les différents projets des étudiants. Elle permet la formation intégrée sans l’imposer aux filières qui ne seraient pas en capacité de la mettre en œuvre. Elle assure un haut niveau de formation universitaire et professionnelle pour tous et permet potentiellement des reconversions dans nombre de métiers. 


Vous abordez les questions autour de la recherche « en-sur-pour » l’éducation, qu’en est il ?


C’est un enjeu déterminant pour l’amélioration de l’efficacité du système éducatif. On a fait progresser la médecine et la formation des médecins par la recherche en médecine. On accepte ce principe dans tous les domaines, pourquoi pas en Education ?

Il faut aujourd’hui un véritable plan de rattrapage pour mieux éclairer les problématiques concernant l’enseignement  et l’éducation. Comment dépasser les constats sur l’échec scolaire si rien ne vient irriguer la

réflexion et l’aide aux choix stratégiques ?  La recherche devrait être dans ce secteur un rempart contre la seule idéologie qui pilote malheureusement les politiques en matière d’éducation.


La formation par la recherche aurait du être le deuxième enjeu de la «mastérisation ». il ne s’agit pas simplement de donner à plus ou moins grande dose des enseignements sur les produits de la recherche ou sur les méthodologies. Il s’agit véritablement de confronter tout enseignant aux exigences et à la rigueur de la production de connaissances à partir des problèmes professionnels rencontrés. C’est l’enjeu de l’écriture d’un mémoire.

Chaque enseignant, après le concours et en formation continue devrait pouvoir continuer s’il le souhaite s’investir dans de bonnes conditions dans des travaux de recherche.


Le dossier du SNEP

ftp://ftp2.snepfsu.net/snepfsu/peda/iufm/snep-fsu-doc_travail_FDE.pdf


Le site du SNEP avec l’article

http://www.snepfsu.net/peda/iufm.php



Sur le site du Café

Par antoinemaurice , le dimanche 29 mai 2011.

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