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Dans le 93, Zebrock au bahut 

 

par Laurence Ryf

 

 

Dans le 93, comme dans bien d’autres départements, le conseil général fait le choix d’une politique culturelle forte et apporte depuis de longues années un soutien essentiel aux actions éducatives et culturelles en partenariat. On peut toutefois se demander en tant qu’enseignant comment intégrer ce type de démarche dans sa progression annuelle, comme on peut être effrayé par l’ampleur de la tâche dans les projets dont l’enjeu essentiel est de solliciter la réflexion et la créativité des élèves.

 

Cinéma, théâtre, musique, patrimoine, les opportunités sont variées pour les classes de s’inscrire dans un projet artistique et culturel. De vrais moyens sont mis à disposition des équipes pour leur permettre de proposer aux élèves des actions de qualité, accompagnées par des professionnels se montrant toujours désireux de partager avec les élèves et les enseignants leur goût pour l’art et la culture et résolument convaincus de la nécessité de favoriser « les entrées en culture » de tous les élèves, de tous les enfants.

Il serait donc dommage de se priver de tout ce que ce travail en partenariat est susceptible d’apporter, comme l’attestent de nombreuses expériences. Dans plusieurs régions et départements, des partenariats culturels s’organisent et font leurs preuves. A cet égard, saluons l’association Enfance, art et langages qui a réuni, à Lyon, le 30 janvier dernier, en présence de Philippe Meirieu, enseignants, chercheurs, artistes, partenaires culturels afin qu’ils partagent réflexions et expériences concernant les pratiques artistiques et culturelles, plus particulièrement à l’école maternelle et ce dans l’intention généreuse de produire « des réflexions et des outils qui pourraient très certainement être partagés »

 

C’est en présentant « Zebrock au bahut » qui fait partie des dispositifs phares de la Seine-Saint-Denis - plus de 60 classes y sont inscrites cette année - que nous aimerions quant à nous apporter notre contribution « locale » à cette réflexion et mettre en partage quelques idées de mise en œuvre pédagogique possible dans nos classes. C’est dans cette intention que j’ai rencontré Dounia Bouhajeb, assistante de production chargée des ressources éducatives et intervenante dans les classes, et Ingrid Ouvrard, assistante de production et coordinatrice des actions, que je remercie en passant pour la passionnante discussion à l’origine de cet article.

 

« Depuis 18 ans maintenant, Zebrock au Bahut propose aux collégiens et lycéens de la Seine Saint-Denis un parcours dans l’univers des musiques actuelles. Ce dispositif s’appuie sur l’engouement des jeunes pour la musique et la chanson et leur propose un voyage original dans cinquante ans de chanson francophone et de musiques actuelles qui leur permet de rencontrer des esthétiques très variées, des personnalités passionnantes et des pans de notre histoire contemporaine.

Zebrock au Bahut invite à mieux connaître et à comprendre la chanson, ce qu'elle dit, comment et pourquoi elle le dit ».

Ces dernières années, le dispositif s’est étendu aux classes de lycée et tend à s’élargir au niveau régional. Il mériterait, sans aucun doute, de conquérir tout le pays.

 

Concrètement, un CD de 20 titres de chanson française sur 50 ans d’âge, accompagné d’un livret contenant le texte des chansons et des outils pédagogiques est remis à chaque élève lors d’une conférence de 2 heures qui a lieu dans la classe. Ils ont ensuite environ deux mois pour commencer leurs travaux : écouter le cd, choisir les chansons ou les artistes sur lesquels ils devront produire in fine un webzine sur le site de Zebrock au bahut. Chaque classe doit présenter 1 éditorial, 4 chroniques de chansons choisies dans le livret, 2 parodies, 1 reportage, 1 sujet libre et peut prévoir des illustrations visuelles et sonores (photos, dessins, son, vidéo). Après quoi les intervenants reviennent pour une séance de travaux dirigés de 2 heures. Chaque groupe est alors accompagné dans l’écriture des textes, un animateur de la médiathèque de la ville pouvant se joindre à eux à cette occasion.

En fin de projet, chaque élève a un identifiant sur la plateforme Internet de Zebrock au bahut et peut entrer lui-même son travail sur le site tandis que le professeur a bien évidemment accès à tous les dossiers. Si tout le monde est récompensé lors d’un grand concert final qui réunit tous les participants, les meilleurs webzines sont plus particulièrement mis à l’honneur sur le site et archivés tandis que leurs auteurs reçoivent de plus gros cadeaux.

Dans l’intervalle, chaque classe est invitée à rencontrer des artistes, à dialoguer avec eux, le plus souvent à partir d’un interview, et à assister à un de leurs concerts dans une des salles de la ville.

Ce dispositif est proposé à tous les collégiens mais ce sont majoritairement les élèves de 4èmes et de 3èmes qui y participent ainsi que des classes de SEGPA, des UPI et des classes d’accueil. La musique est l’un des centres d’intérêt fort des élèves de ces âges et les thématiques abordées par les chansons retenues flirtent aussi avec les grandes préoccupations de l’adolescence. Découvrir de nouveaux chanteurs, de nouveaux styles musicaux, aller au concert, sont des propositions qui plaisent beaucoup aux élèves qui se sentent par là même enfin « considérés autrement que comme des gamins » et fiers souvent de rencontrer « des stars de la chansons » comme Alain Souchon, Charles Aznavour, Grand corps malade et bien d’autres artistes qui chaque année participent à l’opération.

Reste à savoir pour les enseignants, comment d’une part accompagner leurs élèves dans ce projet et d’autre part comment l’articuler avec les séquences définies par leur programme. L’association Chroma-Zebrock leur propose chaque année une réunion d’étape, notamment pour annoncer les rencontres artistiques mais les intervenants constatent que lors de ces rencontres l’emportent les temps de réflexions et d’échanges de pratiques : « Les profs avaient vraiment très envie de parler entre eux » précise Dounia, « on a pensé qu’il fallait prévoir plus de temps d’échanges de ce type à l’avenir » ajoute Ingrid. Mais à qui de le prévoir ? N’est-ce pas également dans nos collèges qu’il convient de nous réunir et de nous concerter pour tirer un plein bénéfice de l’action ?

Ce projet offre en effet une particulièrement belle occasion de mettre en cohérence les disciplines enseignées pour tâcher de proposer autre chose aux élèves qu’un empilement d’heures de cours « sans queue ni tête » dans une même journée et où chacun d’entre nous propose « son » aventure, exige d’eux qu’ils soient à leur maximum d’attention et de concentration sur ce que nous demandons, tout comme si l’heure d’avant n’existait pas ou devait vite ne laisser plus aucune trace dans les esprits, tandis que l’heure d’après ne devrait en aucun cas être attendue ou appréhendée. Autrement dit, ne demande-t-on pas aux élèves d’avoir une parfaite maîtrise d’eux même, de gérer le hic et nunc avant même d’en avoir entendu parler ? N’est-ce pas aussi attendre d’eux qu’ils sachent illico démêler la pelote pour ne perdre aucun fil et être des héros dans chacune des aventures disciplinaires qui leur sont proposées ? Perdu d’avance…

 

Il est à l’évidence plus pertinent de chercher à mettre en cohérence nos enseignements en choisissant d’avoir un objet d’étude commun. C’est en premier lieu montrer aux élèves que c’est en mobilisant des compétences acquises dans différents cours qu’ils seront à même d’aller vers une production d’excellence tant en termes de savoir que de savoir-faire. C’est bien sûr finaliser les apprentissages et surtout proposer un parcours, une aventure, une quête à un groupe en créant des passerelles pour relier les salles de classes comme les heures de la journée.

Toutes les disciplines peuvent participer au projet Zebrock  et viser une production nourrie des apports spécifiques à chaque enseignement. Pour réaliser un webzine de qualité sur la chanson française, on devine aisément l’intérêt du binôme Lettres/Musique mais on a vite besoin du Documentaliste, pour les recherches, de l’Histoire parce qu’une chanson c’est « toujours toute une époque ! » de la Techno pour la partie informatique, de graphistes pour les mises en page et illustrations, de l’EPS pour la danse, la dimension scénique, la gestion du corps et ce ne sont là que quelques exemples.

Sans compter des temps de co-animation, à commencer par une collaboration prof/doc à propos des recherches documentaires, principalement sur internet. On n’est pas trop de deux en effet pour aider les élèves à sélectionner de l’information et à savoir se l’approprier: apprendre à faire autre chose que du copier coller pour écrire SON propre texte à partir des ressources choisies, relever des compétences à travailler dans le cadre du B2I, et surtout apprendre aux élèves à ne pas se placer en « consommateur » de culture, à prendre de la distance sur l’information, à la retraiter en fonction d’une intention d’écriture, « un angle » dirait un journaliste.

 

Et c’est bien dans une posture de journalistes en herbe que sont placés les élèves lorsqu’il leur est demandé de rédiger une chronique et d’interviewer des musiciens. Une partie du projet pourrait à cet égard être valorisée lors de la semaine de la presse, et le partenariat s’enrichir encore des apports du Clémi. Directement en lien avec nos programmes de français, demander aux élèves de  rédiger une chronique est une occasion rêvée pour aborder avec eux l’étude des textes informatifs et argumentatifs et les techniques propres au journalisme.

Il s’agit en effet d’apprendre à dépasser le simple point de vue appréciatif « j’aime, j’aime pas » pour dégager d’abord une interprétation du texte (complétée bien entendu par l’approche musicale), de justifier son point de vue et de le présenter à d’autres dans l’intention d’emporter leur adhésion. Resituer et restituer une chanson dans son époque, voir ce qu’elle contient d’atemporel et ce qui porte les traces du contexte dans lequel elle est née. De là à aborder l’étude de la chanson engagée tout en faisant des parallèles avec celle de grands textes de littérature française, du XVIIIème à nos jours portant sur la critique sociale, le point de suite logique est facile à trouver. Une fois encore, nous sommes au cœur de notre programme.

Proposer aux élèves d’être reporter, c’est en outre créer une occasion dans laquelle ils pourront éprouver le besoin de travailler les compétences langagières liées à l’oral, dans d’authentiques situations de communication. Ressentir « du trac » fait prendre conscience des enjeux et peut donner envie d’apprendre à le surmonter en étant plus sûr de son discours et plus confiant dans son expression. En amont, il faut s’y préparer, réfléchir aux questions pertinentes à poser. Dans le temps de la rencontre, le but est d’être clair et à l’aise à l’oral tout en prenant en notes les réponses entendues, ce qui est loin d’être facile et nécessite encore d’autres compétences ou de l’astuce et une bonne organisation de l’équipe en reportage. Enfin, au retour en classe, reste à rédiger l’ensemble et c’est alors des outils de la langue écrite (orthographe, syntaxe, grammaire de texte) dont on aura besoin. La démarche générale consiste à rendre d’abord une compétence nécessaire avant de la travailler parce qu’ainsi on arrive à de meilleurs résultats. On sait tous qu’on acquiert plus vite ce dont on a besoin parce qu’on participe volontiers à cette acquisition au lieu de la subir, voire de s’en sentir « gavé » comme disent volontiers les élèves.

 

Les rencontres précèdent généralement les concerts : voilà l’occasion d’aborder les notions de spectacles, et de spectacles vivants, et c’est alors tout naturellement dans le cadre de séquences consacrées au théâtre que les activités peuvent trouver leur place.

Enfin, - et peut-être surtout - travailler sur les chansons françaises, c’est évidemment travailler la dimension poétique de la langue. L’étude des figures de style et de la versification est ici envisagée dans une approche créative, sensible, artistique parce que c’est aussi en jouant avec les mots qu’on les apprivoise et « parce que le monde appartient à ceux qui rêvent trop » (Grand Corps Malade) comme on dit en chanson. Je vous invite ici à relire l’article de Virginie Mege « Slam et poésie »

 

Faire participer ses élèves au dispositif Zebrock au bahut c’est pour l’enseignant, non pas « faire plus » mais « faire autrement » tout en étant aidé, à un niveau véritablement professionnel, aussi bien dans la logistique que dans les moyens humains. « Non évaluable, non mesurable, le facteur H et pourtant premier » dira Dounia.

Bien sûr il ne s’agit pas non plus de rendre « trop scolaire » le projet comme cet exposé, centré uniquement sur les activités liées au programme des classes de français, pourrait le laisser croire. Pour les enseignants comme pour les élèves, c’est aussi l’occasion de rompre avec une certaine « routine ». A cet égard, l’équipe de Zebrock ajoute qu’il est important que les professeurs ne participent pas au choix des chansons, soient comme leurs élèves dans une posture de découvertes et de recherches. La curiosité doit être par tous partagée pour que personne ne soit privé du plaisir de découvrir et que tous cheminent activement dans un parcours riche en surprises et donc en plaisir. C’est bien ce goût des pratiques culturelles qu’il est pour nous essentiel de communiquer à nos élèves en leur donnant les moyens de poursuivre seuls leurs parcours au sortir de l’école : « C’est pas de notre génération », dit au micro de Rosny-TV une élève de Stains qui vient d’interviewer les Têtes Raides. « On avait l’impression qu’il n’y allait pas y avoir de dialogue. A la base, on ne les connaissait pas du tout, donc on les a découvert et peut-être que ça va nous attirer vers un autre univers… ».

 

 

Enfance, art et langages : le programme (pdf)

http://www.enfance.lyon.fr/rencontres08.pdf

Conseil Général de Seine Saint-Denis ; Action culturelle éducative : Un réseau de partenaires

http://www.seine-saint-denis.fr/Un-reseau-de-partenaires.html

Zebrock au bahut :

http://www.zebrockaubahut.net/partenaires/

http://www.zebrockaubahut.net/index.shtm

http://www.zebrockaubahut.net/cdi/travaux/2006-2007/coupsdecoeur.asp

Chroma – Zebrock : Organismes / Réseaux professionnels, Formations / Cours / Stages / Master-class / Tremplins / Concours, Zebrock propose d’autres rendez-vous à ne pas manquer.

http://www.zebrock.net/zebase/annuaire/fiche.asp?id=3861

Mon coup de cœur : les Cafés musicaux Mixages 

« Venez raconter vos souvenirs musicaux, apportez vos collectors, vos tracts, vos affiches, les musiques que vous avez jouées et écoutées. Venez partager un moment convivial et musical avec des invités surprise. Venez aussi parler de vos musiques et de vos groupes d’aujourd’hui. Vos témoignages seront rassemblés dans une grande exposition et DVD » Des récoltes de souvenirs musicaux auprès des habitants auront lieu jusqu’en 2010, des Associations et des Bibliothèques Municipales servent de relais pour les récoltes. Un beau projet qui vise à rassembler les citoyens, « faire vivre les matériaux collectés à travers une série d’initiatives, construire, à partir des émotions musicales de chacun, une culture commune et une histoire collective, d’autres regards sur le territoire et ses richesses »

http://www.zebrock.net/encemoment/1247.shtm

Le Clémi, Centre de liaison de l’Enseignement et des médias de l’information, http://www.clemi.org/index.html

Slam et poésie par Virginie Mege

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettres/francais/Pages/2007/88_DossierSlam.aspx

Apprendre le français en jouant avec des chansons françaises

http://www.toujoursdesmots.com/tdm/index.php?barg=hi_vis

Du Temps des cerises aux Feuilles mortes, un site consacré à la chanson française de la fin du Second Empire aux années cinquante

http://www.chanson.udenap.org/50_chansons/50_chansons_00.htm

http://www.chanson.udenap.org/index.html

Le hall de la chanson

http://www.lehall.com/

Les langues de France en chansons

http://www.languesdefranceenchansons.com/site.php

 

Sur le site du Café
Par fsolliec , le samedi 15 mars 2008.

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