Dossier : Blogs et romans contemporains 

Dossier préparé par Jean-Michel Le Baut, Professeur de lettres, Lycée de l’Iroise – Brest.



Une expérience originale dans l’académie de Rennes

On connaît la dynamique du Prix Goncourt des Lycéens, qui a été créé en 1988 dans l'Académie de Rennes avec l'accord bienveillant de l'Académie Goncourt et qui a pris progressivement une dimension nationale. Dans toutes les classes participant chaque année à l’opération, l’expérience suscite beaucoup d’enthousiasme chez les élèves : lectures nombreuses, débats animés, rencontres passionnées… Au fil des années, il a d’ailleurs acquis le prestige d'un véritable prix littéraire. Cette réussite incontestable trouve son prolongement dans une nouvelle expérience qui a été menée cette année dans l’Académie de Rennes à partir de la question suivante : comment exploiter la dynamique du prix Goncourt des Lycéens avec les élèves qui ne participent pas directement à l’action ?

Ainsi plusieurs dizaines de professeurs de l’Académie ont décidé d’étudier cette année dans leurs classes de lycée d’enseignement général ou de lycée professionnel des romans qui, dans les toutes dernières années, ont été lauréats du prix Goncourt des lycéens : en l’occurrence des romans de Sylvie Germain, Leonora Miano et Philippe Claudel.

L’expérience est intéressante par ses choix qui innovent dans les contenus comme dans les démarches…



Enseigner la littérature contemporaine au lycée

On sait que les programmes scolaires demandent de faire connaître en priorité aux élèves les grandes œuvres reconnues de la littérature patrimoniale. On sait aussi que la littérature (comme beaucoup de savoirs scolaires ?) ne va plus de soi pour une grande majorité d’adolescents d’aujourd’hui. Leurs pratiques de lectures, leurs expériences de la culture en général, embrassent des domaines bien plus larges. Il paraît d’ailleurs vain d’exiger d’eux une posture d’admiration envers les « Grands Ecrivains » : le travail du professeur de lettres est moins de creuser une distance que de favoriser la proximité et  la société elle-même a cessé de sacraliser la littérature[1]. Dès lors, le roman contemporain est peut-être une chance à saisir. Par ses thèmes, ses choix d’écriture, son rapport au réel, il est susceptible d’entrer davantage en résonance avec les préoccupations et la sensibilité des jeunes lecteurs. La littérature cesse alors d’être un simple objet scolaire, c’est-à-dire abstraite et lointaine : elle s’incarne dans des auteurs vivants, qui ont parfois leur propre site, que les élèves peuvent rencontrer, à qui ils peuvent adresser des courriers et des questions, qui vont peut-être à leur tour lire et commenter leurs textes… La littérature présente est celle qui donne à la littérature de la présence. Ainsi peut-être, conformément aussi aux principes de la pédagogie du détour, les élèves se seront élevés au plaisir du livre et pourront passer de Dai Sijie à Balzac ou de Philippe Claudel à Gustave Flaubert ...



Travailler en réseaux

On sait que traditionnellement un professeur travaille pour ses élèves et que les élèves travaillent pour leur professeur. On sait aussi que se développe aujourd’hui une culture du réseau dont sont emblématiques des sites communautaires comme Facebook ou MySpace. Le projet développe ainsi la capacité des uns et des autres à échanger.

Chez les enseignants volontaires, des groupes se sont mis en place. Ils ont pu se retrouver lors de journées de formation. Ils ont aussi investi un espace numérique de travail, évidemment essentiel dans le cadre de l’étude d’œuvres sur lesquelles l’appareil critique est encore souvent pauvre : cette plateforme collaborative leur a permis de mutualiser des documents divers (études et réflexions sur les romans, outils didactiques, vidéos, diaporamas, liens internet…) pour enrichir leurs cours et leurs pratiques, pour travailler plus efficacement.

Chez les élèves aussi,  l’échange a été mobilisateur. Le projet part d’ailleurs du principe que les lycéens eux-mêmes peuvent devenir prescripteurs du livre lu et étudié en classe, en l’occurrence un roman ayant été récompensé du prix Goncourt des Lycéens par leurs camarades des générations précédentes : il fait le pari que les adolescents auront plus de motivation à travailler sur un roman choisi par leurs pairs. Dans la pratique, les expériences de collaboration sont encouragées : des travaux de groupes aboutissent à des réalisations collectives, un blog est créé qui permet aux différentes classes participant au projet dans l’Académie de découvrir, d’apprécier,  de commenter les productions des uns et des autres, qui favorise le désir de chacun d’écrire en sachant que l’on va être lu.



Favoriser l’écriture créative 

On sait que l’enseignement des lettres s’est quelque peu centré et figé sur la pratique du commentaire, quelle que soit la forme de celui-ci (de l’  « explication de textes » à la « lecture analytique » en passant par le « commentaire composé » ou la « dissertation » sur la littérature). Or de nouvelles approches sont possibles, moins codifiées et sclérosées peut-être, plus ouvertes sur la capacité du lecteur à s’approprier l’œuvre de façon libre et inventive. Il ne s’agit plus alors d’écrire sur, mais avec, dans, comme, tout contre…  Il s’agit de prendre à la lettre les théories modernes de la lecture qui font de tout lecteur l’auteur à sa façon du texte lu. Ainsi, autour du roman Magnus de Sylvie Germain, les élèves se sont-ils amusés à proposer des créations variées : autoportrait à travers un objet personnel, portraits croisés du héros par des personnages secondaires, récit de son enfance par lui oubliée, rencontres imaginaires avec l’auteur, le personnage ou les lecteurs ayant décerné le prix,  proposition de nouvelles « séquences » à ajouter ou de morceaux de musique à associer à un roman qui goûte l’intertextualité et les mises en abyme, etc. On pourra découvrir sur le blog ces productions intéressantes qui montrent combien de telles démarches permettent à chaque élève de développer ses compétences de lecture et d’écriture pour faire vivre un roman particulièrement littéraire, exigeant dans son écriture et fort dans ses enjeux.



Utiliser les Tice

On sait que le français est une matière qui voue un culte au livre. Le projet tente bien sûr de diffuser cette passion puisqu’il incite à fréquenter les librairies et leurs rayons de nouveautés, mais il instrumentalise aussi les nouvelles technologies pour faire comprendre et aimer la littérature. On retiendra par exemple que parmi les créations proposées autour de Magnus, certaines ont particulièrement retenu l’attention des élèves :

- une production visuelle : chacun devait inventer et réaliser une nouvelle couverture pour le roman (à partir de dessins ou de photos, qu’il pouvait retravailler à loisir avec un logiciel de traitement de l’image) et justifier ses choix.

- une production sonore : chacun devait lire plusieurs extraits de ce roman très musical en cherchant à chaque fois à ajuster sa voix au passage choisi et en s’enregistrant avec le logiciel Audacity.

Un montage vidéo de ces couvertures et de ces lectures a été enfin réalisé qu’on pourra découvrir sur le site Dailymotion : on y sera sans doute sensible à la manière dont les élèves ont utilisé les Tice pour développer leur créativité et véritablement habiter le roman de Sylvie Germain, ses thèmes (le nazisme, la mémoire, l’identité…) et son écriture (la construction en puzzle, le palimpseste…).



http://www.dailymotion.com/relevance/search/sylvie+germain/v[...]


Il est délicat de conclure le compte rendu d’une expérience encore naissante, mais particulièrement stimulante. Signalons peut-être combien dans de tels projets les élèves ne cessent d’étonner… « Contemporain », « réseaux », « créativité », « Tice », autant de mots-clefs qui semblent avoir  ainsi résonné dans l’esprit d’une élève de seconde du lycée de l’Iroise à Brest : elle a eu spontanément l’idée de créer un compte Facebook pour Magnus, ce personnage fascinant qui disparaît à la fin du roman de Sylvie Germain. Comme pour signifier combien le personnage est pour elle désormais vivant ? comme pour signifier combien la littérature peut être encore contemporaine ? comme pour inviter les enseignants à de nouvelles expériences ?




Sur le site du Café
Par fsolliec , le dimanche 17 mai 2009.

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