Dossier : le concours George Sand 

 

 

Le lycée George Sand de La Châtre (académie Orléans-Tours) organise la 18e session de son concours, le « Prix George Sand de la Nouvelle ». Il s’adresse aux lycéens de Seconde, Première, Terminale générales et technologiques de la région Centre, ainsi qu’aux élèves des lycées George Sand de France et à tous les lycées professionnels de l’académie. Le succès de ce concours est notable, de même que la qualité des textes lauréats.

Il est l’un des rares concours d’écriture où aucun thème n’est imposé. Loin des feux médiatiques et d’une manoeuvre carriériste, le véritable leitmotiv de ce concours se formule en une expression simple : l’amour de l’écriture.

Qui a dit que nos lycéens délaissaient l’écriture ?

 

Concours George Sand

 

Qui mieux qu’Olivier Lecrivain, initiateur du projet, pourrait présenter ce concours?

 

A.B.Le concours souffle ses 18 bougies cette année. Quel est le secret de votre longévité ?

O.L.La longévité de ce prix m’étonne et me ravit. A chaque printemps,  je m’inquiète à l’idée que le combat pourrait un jour cesser faute de combattants… heureusement  quand arrive la «  deadline », mon casier déborde de textes envoyés au tout dernier moment  ( (environ une centaine de nouvelles par an )

Evidemment, c’est un chiffre qui peut paraître très modeste si on le compare à l’ensemble des élèves de lycées professionnels et généraux de l’Académie, auxquels le prix s’adresse. Le succès du prix  n’est donc pas dû  à un «  raz-de-marée populaire et juvénile » qui plébisciterait sa pérennité, mais à la volonté de tous ceux qui nous soutiennent ( pourrez vous me donner l’occasion d’en citer la liste quelque part ? ), et qui sont convaincus que l’écriture créative est une activité importante, et qu’il convient de célébrer et de féliciter les adolescents qui s’y consacrent.

Les lots sont très alléchants. Comment avez vous réussi à rendre ce concours si attractif pour les jeunes ?

Le concours G. Sand  a été créé à l’initiative de M. Roger Moisy, notre Poviseur en 1991 ; il a compris que pour attirer l’attention dans notre monde consumériste, il fallait que les récompenses accordées aux lauréats ( 1000 euros pour le premier prix ) créent un «  choc psychologique ». Mais ces récompenses, quelle que soit leur importance, restent symboliques puisque ce sont des livres, c’est à dire des objets dont la valeur intrinsèque et durable dépasse la valeur marchande. Nous avons en quelque sorte tout simplement ré-inventé la distribution des prix héritée de Jules Ferry.

On dit beaucoup que les jeunes n’ont plus la culture de l’écrit. Et pourtant, votre concours prouve le contraire. Qu’en est il selon vous ?

Même si la culture de l’écrit  est en régression chez nos élèves, il existe et existera toujours un «  noyau dur » d’amoureux de la lecture et de l’écriture.

Mais il y a également de très nombreux élèves qui  ne sont pas forcément à l’aise dans les exercices qui leur sont proposés en cours de français, où l’acte d’écrire est toujours soumis à une contrainte. Leurs notes médiocres peuvent les amener à penser que l’écriture n’est pas pour eux.

(…) Pourquoi vouloir leur donner le goût d'écrire ? En tant qu’enseignant et auteur, je suis convaincu que l’écriture est à la fois un moyen de donner sens à sa vie passée, un exorcisme des tensions et des douleurs que l’on subit, et un art de vivre qui apprend à regarder le monde d’un œil neuf.L'écriture, exorcisme, ersatz de psychothérapie ? L'idée est banale et pourtant vraie. Les histoires que nous écrivons ne sont que des palimpsestes où notre propre histoire se devine en filigrane. Chaque année, j’ai l’occasion de constater que la majorité des nouvelles que je reçois, parlent, habilement ou non, des peurs et des douleurs que ressentent leurs auteurs : les thèmes abordés sont le reflet des évènements mondiaux qui les  ont  inquiétés (terrorisme, sida, conflits armés etc…), mais plus souvent encore constituent une sorte d’état des lieux de leurs malaises personnels :au delà des thèmes attendus du chagrin amoureux ou des rapports difficiles avec les parents, beaucoup de nouvelles parlent du  déchirement du divorce, de la grossesse adolescente, de la  peur ou la fascination du suicide, du deuil, et depuis quelques années, de l’aveu difficile de l’homosexualité.

 

Comment exploiter ce concours dans l’enseignement du français ?

La participation à un concours a toujours été un moyen pour un enseignant de créer une dynamique dans une classe. Notre concours est particulier dans la mesure où les nouvelles des lauréats des années passées sont consultables sur le site de l’académie : ce qui permet aux candidats éventuels de « s’aiguiser l’appétit » en découvrant la variété des styles et des inspirations  de leurs prédécesseurs. Si les nouvelles les mieux écrites risquent de leur  paraître d’une qualité « décourageante », d’autres, parfois plus maladroites, peuvent leur donner confiance dans leurs capacités de faire aussi bien. Il est également un des rares concours où aucun thème n’est imposé. La seule contrainte que nous imposons est une contrainte de longueur (entre trois et douze pages ).  Il faudrait aussi dire aux candidats potentiels que certains lauréats ont été remarqués par le jury alors que la nouvelle qu’ils nous ont envoyée était la seule chose qu’ils aient jamais écrite, et qu’ils n’étaient pas considérés comme des élèves spécialement doués par leurs enseignants : un « bon élève » n’est pas forcément doué pour l’écriture.  Les talents mis en œuvre pour la dissertation et pour l’écriture créative ne sont pas du tout les mêmes.

 

Envisagez vous une publication plus officielle des textes lauréats dans les années à venir ?

Il serait évidemment très flatteur pour l’ego des lauréats, des organisateurs du prix et des jurés, de voir dans les librairies une grosse «  compile du best of des onze ans du prix G. S. » Mais je ne sais pas si cela est souhaitable, car toutes ces nouvelles, même si elles révèlent souvent de véritables qualités littéraires, restent des «  primeures », des fruits encore trop verts. Le prix G. Sand n’a pas pour but de faire passer à la postérité un écrit de jeunesse. La véritable récompense qu’il offre aux lauréats est l’encouragement à continuer.

De toute façon, paradoxalement, dans un monde où le virtuel prend une place sans cesse croissante, la pérennité de ces textes sera davantage assurée par leur présence sur le site de l’Académie, plutôt que par un livre réel dont les éditeurs pilonneront impitoyablement les invendus d’ici un an ou deux.

 

Si le concours rencontre un tel succès, c’est sans doute parce qu’il est porté par un enthousiasme et un vécu sincères. « En tant qu'auteur ayant essuyé dix ou vingt fois plus de refus que je n'ai publié d'ouvrages, je sais combien il est doux d'être refusé avec politesse, et avec l'assurance d'avoir été lu, plutôt que de recevoir l'habituelle lettre circulaire de refus non motivé. A la fin des années 90 j'ai essayé avec deux de mes co-jurés d'envoyer une lettre perso à chaque candidat, expliquant ce que nous avions aimé dans son texte. Je ne sais pas si cela leur a mis du baume sur le cour. nous avons arrêté, épuisés, au bout de deux ou trois ans, étonnés de voir que cela n'avait pas « boosté » la participation et incité les candidats à retenter leur chance l'année suivante »

.Faut-il s’attendre à un développement plus numérique du concours pour les prochaines années ? « Je me dis qu'il y aurait certainement moyen de poursuivre cette expérience sur la Toile, au moins pour quelques nouvelles (non, pas les cent ou cent cinquante annuelles, j'ai déjà donné). Peut être que le fait d'être visible et lisible de tous, ( des jurés comme des autres candidats ) inciterait d'avantage les refusés à récidiver ». 

 

Pour les prochaines années, le concours aimerait voir s’impliquer davantage les lycées professionnels dont la participation (ouverte depuis 2005) reste encore très modeste. Les multiples partenariats permettent de faire valoir des lots alléchants aux candidats. A ce propos, Oliver Lecrivain nous fait part d’une anecdote émouvante : « De façon touchante et révélatrice, un des lauréats de 2008 a consacré toute cette somme à l'achat de livres pour toute sa famille, livres de cuisine pour sa mère, livres jeunesse pour ses frères et soeurs, et quelques livres sur les animaux pour lui- même. ».

 

 

Extraits de textes lauréats

Une étoile en plus

Suttgart, le 10 juillet 2004

Je me souviens qu'à l'époque, tu avais tout d'un petit garçon comme les autres. Tu avais deux bras, deux jambes, un petit sourire en coin, deux grands yeux bleus et une chevelure blonde qui frisait. A sept ans je me rappelle que tu détestais les épinards et les endives mais que tu raffolais des petits bonbons roses et jaunes qui s ‘amoncelaient dans la vitrine du confiseur. D'ailleurs en revenant de l'école il n'était pas rare de te voir en chiper une petite poignée pendant que le marchand avait le dos tourné. (…)

Tu te souviens de Gabriel ? Celui qui trichait tout le temps aux billes Je l'ai revu hier …

Tu me disais toujours que tu serais cinéaste quand tu serais grand.C'était ton rêve et une fois par mois ton père t'emmenait au cinéma. Tu fixais tes petits yeux émerveillés sur l'écran et à la fin, ton regard avait du mal à se détacher de l'étendue blanche. Je me souviens que dans ta boite au trésor, cachée sous ton matelas, tu gardais précieusement tous tes tickets de cinéma poinçonnés. Chaque soir de tes petits doigts fébriles tu les comptais et recomptais. (…)

Puis les choses se sont précipitées.

On a commencé à peindre de grands signes blancs sur les vitrines des magasins et celle du confiseur était vide. Il avait déménagé en vitesse car il restait encore des meubles dans sa maison.

Ton père avait fermé la boutique pour peu de temps disait-il, mais je savais bien qu'il ne la rouvrirait jamais. Finalement l'école a été fermée puis des camions avec des soldats armés ont commencé à circuler partout dans la ville.

Le soir c'était le couvre- feu.

Durant cette longue période je ne t'ai pas revu.

Des familles disparaissaient sans laisser de traces. Des gens déménageaient à la hâte, on ne retrouvait chez eux que de vieux meubles abandonnés ou qu'ils n'avaient pas eu le temps d'emmener.

Tu vois, je n'ai rien oublié... (…)

 

Au-delà du fleuve bleu

Je referme l’enveloppe en tremblant et je la dépose sur mon lit. Les yeux me brûlent et mon pouls est vif. Dans la pièce adjacente, il s’arrête enfin de crier et se remet à boire. Je le hais tellement. Maman ne dit pourtant jamais rien. Elle n’a pas peur de lui mais elle sait que ses crises sont telles les ondées ; il est inutile de lutter. Elle dit d’ailleurs que les touristes sont les responsables de la fureur des cieux. C’est en effet en été, durant la période estivale, que les colères de mon beau-père et que les crues du fleuve sont les plus impressionnantes.

Nous habitons un petit village, surplombant le site des Trois Gorges, sur le fleuve Yang-Tseu-Kiang. Des touristes viennent du monde entier admirer cette région du centre de la Chine lors de croisières sur des yachts luxueux. Le fleuve Bleu, comme ils le surnomment, dévoile des paysages surprenants, romantiques, poétiques et parfois même mystérieux. La première des trois gorges, Qutang, où nous habitons, est la plus grandiose de toutes. Le village est assailli de touristes d’avril à septembre, avant d’être oublié du reste du monde. Il retrouve alors sa beauté naturelle. Maman et moi en profitons pour nous promener sur le chemin de la falaise. Nous parlons ainsi pendant des heures, déambulant parmi de jeunes bambous verdoyants. Nous contemplons le paysage enchanteur, tout en oubliant notre pauvreté et nos vies destinées à un futur morne et triste.

Mais aujourd’hui nous n’avons pas de temps pour la rêverie. Il faut que nous nous rendions au village pour acheter des parchemins et de l’encre. Maman exerce l’art de la calligraphie et je vends ses œuvres aux touristes. Ils sont émerveillés par la légèreté des traits et la souplesse avec laquelle elle manie le pinceau. J’aime voir leur visage admiratif. Je me sens alors fière d’être sa fille. Depuis quelques temps pourtant, ses dessins paraissent plus fragiles et tremblants. Enceinte de plusieurs mois, la chaleur et l’humidité du mois d’août la fatiguent énormément. (…)

 

Références

Règlement du concours sur le site de Lettres de l’académie d’Orléans-Tours: http://lettres.ac-orleans-tours.fr/php5/coin_eleve/concours-sand/concours.htm

 

 

Sur le site du Café
Par fsolliec , le samedi 19 juin 2010.

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