A l'école des écrivains 

 

 

Par Adeline Buisson

 

L’opération « A l’école des écrivains. Des mots partagés » est reconduite en 2010-2011. Elle se déroule toujours en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations et la Maison des écrivains et de la littérature.

 

 

Le dispositif

Octobre 2010. Je reçois un mail du secrétariat de mon établissement, le collège Jean Rostand d’Orléans, m’informant de l’opération nationale « A l’école des écrivains. Des mots partagés ». Dans le cadre de cette dernière, les enseignants de Lettres des établissements classés Ambition Réussite sont conviés à accueillir dans leur classe un auteur, pour une rencontre et un travail d’écriture avec les élèves.  Le projet est séduisant, je signe…

 

Dans l’attente d’une réponse favorable, j’enquête sur le dispositif. La circulaire du MEN (cf. référence en bas d’article) met l’accent sur le rêve que j’entretiens secrètement depuis ma nomination dans cet établissement « difficile » : « elle mène vers le livre et lal ecture des élèves qui ne ressentent pas spontanément le goût de lire ni de découvrir les auteurs ». Quoi de plus tangible et réel que de rencontrer un auteur ? Comment mieux abattre les cloisons culturelles qu’en rencontrant, en chair et en os, le démiurge qui accoucha des êtres de papier ?

 

Le projet est lancé

La réponse ne se fait pas tarder. Le collège est retenu, et nous sommes deux enseignantes de Lettres à participer avec nos classes de Troisième. L’auteur nous est imposée, il s’agit de Dominique Barbéris.  Sondant l’abîme des livres que nous n’avons pas lus (et des auteurs qui nous sont inconnus, il faut le dire), nous décidons aussitôt de nous jeter corps et âme dans son œuvre.  Un message de la Caisse des Dépôts nous indique que le titre retenu est « Quelque chose à cacher » (éd. Gallimard), et que les frais d’achat des livres sont entièrement pris en charge. Une aubaine pour notre établissement qui se démène avec trop peu de moyens. Après réflexion, nous nous précipitons à la librairie pour passer commande des œuvres en collection reliée Gallimard. Si nos élèves ne doivent posséder qu’un unique roman dans leur bibliothèque, qu’il soit beau et relié !

Le synopsis est attirant : « N ., une petite ville au bord de la Loire. Le narrateur, peintre du dimanche, est le gardien du musée local. Un après-midi, il reconnaît en une femme élégante un de ses anciens flirts. Le soir même, elle est retrouvée morte, tuée à bout portant dans la maison familiale qu'elle était revenue vendre. ». Je me réjouis du genre policier, qui ne manquera pas d’intéresser les élèves.

C’était sans compter sur le style de l’auteur, proche du roman moderne, auquel nos élèves restent insensibles – et je pèse mes mots. Ni hémoglobine dégoulinante, ni trafic de drogue, encore moins intervention de la police scientifique pour résoudre en moins de 50 pages un crime crapuleux. Je m’inquiète…  Les élèves réussiront-ils à accrocher ?

 

Distribution des livres

C’est l’heure de la distribution des livres. Les élèves trépignent d’impatience, ils n’ont pas tous les jours l’occasion de se voir offrir un cadeau en classe.  Le livre est beau, « il fait sérieux » me disent-ils.

« Madame, ça parle de quoi ?

Je ne veux pas déflorer la surprise, c’est un roman policier. Mais attention : ne vous attendez pas à lire un Agathe Christie ! C’est un roman moderne, ce n’est pas une série télévisée... »

Leurs yeux se plissent, ils se méfient.

« N’ayez crainte, ce livre pourra vous intéresser. Une femme a été assassinée, le soir-même où elle a retrouvé un ancien petit ami. »

Solitude, quand tu nous tiens.

Je sais par avance que peu d’élèves de la classe mèneront la lecture jusqu’au bout. Qu’importe, me diront certains. Qu’ils lisent, déjà…. Certes… Mais je ne suis pas une adepte de la pédagogie du minimum, et je souhaiterais les accompagner dans leur lecture. J’aurais besoin de rendez-vous hebdomadaires de lecture, pour les accompagner chapitre après chapitre. Seulement le temps manque cruellement. Je dois reprendre les bases de la conjugaison du passé-composé, alors que j’avais prévu d’aborder celle du subjonctif imparfait.

Les semaines avancent. Je relance régulièrement les élèves sur la venue de l’auteur, et les questionne sur l’avancée de leur lecture. Quelques sourires discrets, au mieux, sinon des éclats de rire. Je décide de provoquer la discussion : pourquoi éprouvez-vous des difficultés à lire ce livre ? « On comprend rien, il ne se passe rien, on ne parle pas la même langue, c’est nul ». La conversation s’engage sur le fossé culturel et leur difficile de compréhension de l’écrit. Ils ont si peu de vocabulaire et maîtrisent si mal les codes de l’écrit. Comment pourraient-ils, seuls, goûter les doux parfums de la syntaxe ?

 

La pire réponse reste à venir, celle qui va me mettre dans une position difficile : « On parle pas la même langue qu’elle ; nous on vit dans le quartier, on parle pas français, et ce livre-là c’est pour les gens intelligents. C’est pas la peine qu’elle vienne [en parlant de l’auteur] ». Cette lecture a, pour certains élèves, provoqué une attitude d’auto-déni. Ils se sont sentis rabaissés face à la difficulté. Que faire ? Je devrais les porter à bout de bras, lire avec eux les chapitres en classe, mais je manque de temps. Ma priorité reste avant tout la préparation du DNB. Il me faut biaiser : « Je comprends que le livre vous paraisse difficile. Si j’en avais le temps, je vous le lirais en classe, en vous l’expliquant au fur et à mesure. Mais vous comprendrez que je privilégie votre Brevet qui arrive à grands pas ». Ils acquièscent. Nous sommes tous d’accord, c’est un bon début. Je leur propose un arrangement : que ceux qui le peuvent poursuivent la lecture jusqu’au bout, et viennent me voir après la classe pour plus d’explications. Le jour de la rencontre, les échanges avec l’auteur pourront porter sur un autre sujet.

 

Entre temps, je prends contact avec l’auteur par mail pour convenir de la date de sa venue. Nos échanges sont agréables et témoignent de l’engagement sincère de l’écrivain pour ce dispositif. Je me garde de brosser tout portrait préalable des élèves. A chacun de se faire sa propre opinion. Nous nous contentons d’esquisser les contours de l’atelier d’écriture. Les élèves participeront à un concours d’écriture national.

 

Préparer la venue de l’auteur

Je joue le jeu de la spontanéité et décide de ne consacrer qu’une heure aux préparatifs des questions à poser à l’auteur le jour J. Il importe surtout de faire prendre conscience aux élèves de la chance qu’ils auront de rencontrer un auteur en chair et en os, et de la pudeur à avoir lors d’une rencontre. Il faut savoir trouver le bon équilibre entre sa curiosité insatiable et la pudeur.

« Madame, on peut savoir combien ça gagne, un auteur ? Et elle a des enfants ? ». Nous engageons le débat sur la pertinence (l’impertinence ?) de certaines questions. Ce sont les élèves qui, finalement, orientent leurs interrogations vers le thème de la vocation littéraire, abordé lors de notre séquence sur l’autobiographie.

 

Le jour de la rencontre

Vendredi 14 janvier, Dominique Barbéris se rend à Orléans pour rencontrer ma classe et celle de ma collègue. Chaque classe passera deux heures en sa compagnie. L’inquiétude me gagne (tardivement, certes) : les élèves réussiront-ils à intéresser l’auteur, qui s’attend peut-être à voir son livre dépouiller page après page ? Comment va se nouer le dialogue entre deux univers culturels différents ?

 

L’expérience s’avère passionnante pour tous. Les questions fusent. D’abord gênées, un peu muselées, finalement spontanées et sincères. L’auteur a pris la mesure des jeunes qui se trouvent face à elle, et aborder son livre et son écriture de la manière la plus simple qui soit. Elle trouve les mots pour les toucher. Quelques élèves ont fait l’effort (pour me faire plaisir, elles me l’avoueront ensuite) de lire le livre, de prendre des notes pour échanger sur ce sujet avec Mme Barbéris. Nous en apprenons plus sur la vie littéraire, l’adaptation cinématographique, la vocation de cette écrivain.  Nous débordons largement du cadre horaire que nous nous étions fixé : 1h30 de questions, avec des sourires, des émotions, et 20 petites minutes d’atelier d’écriture. Les élèves, d’ailleurs, rechignent à prendre la plume. Qu’importe… L’aventure va continuer lors d’une prochaine rencontre de deux heures, consacrées cette fois à l’écriture.

 

 

Pour aller plus loin :

Circulaire du MEN :

http://www.education.gouv.fr/cid23417/mene0800986n.html

 

 

Sur le site du Café
Par fsolliec , le mercredi 26 janvier 2011.

Partenaires

Nos annonces