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Contribution sur le jeu 

 



par Françoise DIUZET et le « groupe jeu » de l'IDEM 44 :



Jeu et Travail : des représentations sociales

 

 

La situation de Jeu relève de la représentation que chacun construit de ce mot .

Les premières situations de « Jeu » de l’enfant relèvent de sa recherche naturelle d’exploration du monde qui l’entoure dans sa famille. Il s’empare d’objets qu’il manipule de toutes les façons possibles, sur la base de l’utilisation de ses cinq sens, pour voir ce que cela lui apporte. Si l’élément qu’il s’est approprié « réagit » d’une manière ou d’une autre ou lui apporte une sensation particulière , cela le conduira éventuellement à recommencer l’expérience, à la prolonger, à en inventer d’autres en fonction de la nature et de la qualité de la sensation qu’il aura éprouvé : plaisir de sentir que …, présence ou absence de nouveauté, perception physique agréable ou désagréable.

La situation va se complexifier quand l’entourage va intervenir à propos de ces expériences. Si l’intervention est positive, qu’elle relève de l’encouragement ou de la valorisation, l’enfant éprouvera la satisfaction d’être reconnu et cela alimentera le désir de recommencer. Si l’entourage prend la place d’un partenaire et se met à intervenir sous la forme d’une réponse ou d’un échange qui invite à prolonger l’expérience, l’enfant va se sentir à la fois reconnu , valorisé et transformé en partenaire. Il éprouvera ainsi la puissance de son interaction avec l’autre pour faire évoluer la situation. C’est souvent à ce moment là que le mot Jouer est évoqué pour la première fois, par le partenaire, qui est souvent un adulte de référence proche , maman ou papa.

La situation de Jeu sera alors construite dans la dimension d’un échange autour d’une manipulation qui évolue lors d’une interaction gratifiante avec un proche.

Plus tard , on dira à l’enfant : « Va jouer », quand on voudra lui demander de s’éloigner et de s’occuper ailleurs. Cette situation positionnera alors l’enfant dans la capacité à jouer seul ou ailleurs. S’il est seul il retrouvera la dimension de l’exploration du monde et de l’expérimentation sur les objets. S’il est en compagnie de frères et sœurs, il pourra se situer dans la possibilité d’une interaction.. Le « Va jouer dehors » lui donnera la possibilité de faire vivre le jeu par une dépense physique du corps ou de se relier à des éléments naturels ou à des jouets.

Ces possibilités conduisent une représentation différente de la situation de jeu, qui s’alimente de la réalité familiale et qui situe le Jeu dans la séparation : monde des enfants et monde des adultes.

Pour aider l’enfant à « jouer » l’entourage va lui offrir des « jouets ». Ces jouets relèvent bien sur d’un choix et d’une connotation sociale et culturelle qui distingue très tôt le sexe de l’enfant : poupée pour la fille, voiture pour le garçon. Les stéréotypes ont la vie dure. Le jeu avec la poupée relève d’une situation d’échange ou d’animation. La petite fille va parler à sa poupée et éventuellement la faire parler. Cette situation d’interaction va favoriser le développement du langage et la construction de petits scénarios. Le petit garçon qui joue avec sa voiture va développer une appropriation de l’espace parce qu’il va « conduire » les déplacements de sa voiture. Le langage portera essentiellement sur une qualité de bruitage émis pour imiter les bruits de la voiture. Ce petit garçon peut aussi recevoir assez tôt des jeux de constructions qui le porteront à chercher à relier les éléments du jeu pour essayer de « fabriquer » quelque chose. Cela lui donnera de nouveau un rapport au volume, à la mesure, qui favorisent la représentation de l’espace.

Les situations de jeu en famille construisent donc, dès le plus jeune âge, des représentations du Jeu et des compétences très différentiées.

Certaines familles offrent très tôt des jouets « éducatifs » . Il s’agit de puzzles, lotos, dominos etc, qui ont pour vocation de donner à l’enfant un rapport au savoir lié à l’utilisation du « jeu ». L’enfant est amené à essayer de comprendre le fonctionnement du jeu, qui fige les possibilités d’utilisation dans des contraintes qui se situent souvent dans la capacité de réaliser des associations.

Il s’ajoute maintenant une nouvelle dimension reliée à l’utilisation de nouveaux outils technologiques qui servent de support à de nouveaux « jeux »: la télévision, l’ordinateur, la console de « jeu ».Le « jeu » devient alors une situation qui ne passe plus par la manipulation d’un objet concret mais par la lecture d’images qui défilent et qui « racontent ».Une interaction peut se réaliser quand une manette donne à l’enfant le pouvoir d’intervenir dans le jeu en faisant « agir » un personnage. L’enfant n’est pas l’instigateur du jeu. Il s’inscrit dans une histoire qu’il lit comme il peut et si son intervention se limite à une pression sur un bouton, elle déclenche des événements virtuels dont il ne se sent pas vraiment responsable même s’il en est l’auteur.



Puis viennent s’ajouter à ces représentations familiales les représentations scolaires. A l’école maternelle d’abord, qui situe le jeu dans plusieurs dimensions. Le jeu libre , qui permet l’expression libre se situe d’abord et avant tout pendant la récréation. Ce temps permet à l’enfant de faire vivre son corps , d’explorer l’espace et éventuellement d’explorer les éléments naturels qui s’y trouvent. Certains équipements peuvent permettre des jeux particuliers : pelles et seaux pour jouer avec du sable, toboggan ou escalier et échelles pour se déplacer dans des situations de risque minimum. Vélos, cerceaux ou ballons peuvent aussi être proposés. Il y a donc une prise en compte d’un besoin de dépense physique. Ces équipements ont aussi parfois comme objectif d’occuper les enfants pour empêcher l’émergence de conflits….Les « jeux sportifs » sont alors reliés à la régulation du trop plein d’énergie et du vivre ensemble .

Dans la classe le jeu libre se situera souvent dans ce que l’on appelle : les coins jeux ; souvent un coin cuisine, chambre, parfois un coin marchande et pour les garçons un coin garage ou un coin jeux de construction. Des jouets référents se trouvent placés de façon à favoriser ce type de jeux. Cependant la liberté de jouer est parfois reliée à l’idée d’apprentissage et l’on voit apparaître des écrits ou des affichages qui sont placés de façon à susciter leur lecture pendant le temps du jeu. Cela introduit une dimension qui peut être ignorée par l’enfant ou qui devient obligatoire quand l’adulte s’appuie sur ces écrits pour organiser le rangement. Le temps dévolu à l’utilisation de ces coins jeux est très différent suivant les niveaux d’age et suivant l’autorisation accordée par la maîtresse qui possède la maîtrise du temps …

 

Les jouets éducatifs sont situés parfois dans la dimension du jeu libre parce qu’on permet à l’enfant d’y accéder de manière autonome à certains moments. A d’autres moments, ils sont reliés à des situations d’apprentissage en fonction des notions qui les traversent.



Le modelage de la pâte à modeler peut aussi apparaître comme une situation de jeu parce que des contraintes ne sont pas posées et que les enfants peuvent réaliser des productions de leur choix.

 

La notion de jeu est donc souvent reliée à l’école maternelle à l’idée de liberté,de choix et de situations qui ne se situent pas dans la consigne donnée par l’adulte.

La dernière situation de jeu à l’école maternelle est celle du jeu de société. Il y a des situations de jeux de société traditionnels et il y a aussi l’utilisation de jeux qui sont conçus pour favoriser l’appropriation de notions ou savoirs particuliers. Ces situations de jeux sont réalisés le plus souvent sous la direction de l’enseignante qui régule le jeu dans toutes ses dimensions : celles du « jouer ensemble » avec l’acquisition d’attitudes et de comportements spécifiques et celles de l’apprentissage à réaliser. Ces « jeux de société » sont choisis comme méthodes d’enseignement parce qu’ils sont supposés donner une motivation aux enfants. Il y a donc des « jeux mathématiques » ou des « jeux » de lecture qui sont réalisés sous la forme de mémory , de lotos, de dominos, de jeux de cartes etc…Le choix d’appeler cette situation : Jeu de société, par l’enseignante, relève donc de l’idée que ce mot est relié à une forme particulière , à des supports particuliers qui évoquent d’eux mêmes l’idée du jeu. Il n’y a pas prise en compte du fait que cette situation peut être vécue par l’enfant comme une situation de contrainte s’il n’adhère pas , à ce moment là, à l’idée de « jouer » avec ce matériel particulier et spécifique. Dans certaines classes des temps « Jeux de société » , sont inscrits à l’emploi du temps et les enfants choisissent eux mêmes les jeux et les conditions du jeu. L’enseignante devient alors le recours en cas de litige ou d’explication nécessaire et elle peut s’extraire de la situation pour aiguiser un regard d’évaluation sur les comportements , la nature et la qualité des échanges . La situation de ces temps « libres » mais situés dans les jeux de société se trouve alors reliée à l’idée de demande de recours et d’évaluation possible.

 

A l’école primaire les situations de jeux disparaissent. On retrouve la récréation dont le temps diminue en fonction de l’âge des enfants et essentiellement en cycle 2 ( CP-CE1) les jeux de société sous la forme de jeux libres ou de supports d’apprentissage. Des jeux de logique apparaissent aussi depuis quelques années : sudokku, logix, parce qu’ils sont supposés développer des capacités en mathématique. Des jeux de stratégie peuvent être utilisés en cycle 3 ( CE2, CM 1 et 2) : échecs, dames, jeu de go, parce que ces jeux possèdent aussi l’image d’une aide au développement de capacités en mathématique.

Les enseignants construisent donc souvent leur représentation du jeu en opposition avec celle du travail. Ils la relient à celle de la motivation et d’une apparente facilité. Ils ne se posent pas toujours la question du transfert des capacités ou notions développées dans le jeu à d’autres situations qui nécessitent les mêmes capacités. Ils ne relient pas forcément l’enjeu cognitif mis en cause avec la notion du contexte.



Célestin Freinet possédait une représentation très particulière du jeu. Il le reliait à la notion du travail comme étant un exutoire. Pour lui, on joue quand on n’a plus rien d’intéressant à faire. C’est à ce titre qu’il pense que l’enfant n’a pas vraiment besoin de jouer sauf pour dépenser son énergie et se confronter aux éléments naturels ou aux autres. Freinet relie le jeu de l’enfant au travail de l’adulte et il parle de travail-jeu. L’enfant travaille . Il imite les activités des Grands parce qu’il cherche à leur ressembler. C’est donc par le travail qu’il faut éduquer les enfants, mais par un vrai travail qui prend naissance dans la vie, dans la réalité, qui possède un sens et qui répond à un besoin essentiel de l’homme. L’homme a besoin d’être reconnu par les siens , de trouver une place par le travail et de développer toute sa puissance dans tous les domaines. Pour que cet homme et cet enfant soient en équilibre leurs activités doivent être intéressantes et permettre de développer aussi bien le corps que l’esprit. Si les enfants jouent à l’école à des jeux que Freinet appellent « des jeux de détente compensatrice » qui dégénèrent en conflits et se situent dans la violence , c’est parce qu’ils sont restés assis et qu’ils ont du subir des situations de contrainte dont ils ne perçoivent pas le sens . Les exercices scolaires ne sont pas reliés à la vie et ils ne suscitent donc pas la curiosité et l’esprit critique nécessaire pour donner naissance à l’intérêt des enfants.

Pour Freinet c’est le rapport à la vie qui fonde les savoirs et le rapport au travail qui fonde les apprentissages. Ce travail est gratifiant parce qu’il permet à l’enfant de trouver des réponses à ses questions sur le monde, d’exprimer ce qu’il ressent à d’autres et de participer en classe, avec d’autres, à la réalisation d’œuvres qui sont le support de ses recherches. Tout cela suppose donc expérimentation, questionnement, enquêtes, entraide et communication. La vie à l’extérieur de la classe apporte les éléments du calcul vivant, le journal scolaire offre toutes les possibilités d’expression écrite et d’art enfantin et il ouvre sur la communication avec les parents et d’autres classes ici et ailleurs. On n’a pas l’envie , ni le temps de jouer parce qu’on est trop occupé à travailler et que ce travail est vraiment passionnant.

Il est question ici d’une pédagogie qui s’appuie sur une éthique de la vie. Le travail permet à l’enfant et à l’homme d’Etre et de Devenir et cela de manière harmonieuse et équilibrée, en accord avec les autres et avec la nature. On dépasse donc la question de l’éducation pour la relier à celle du sens de la vie. On retrouve bien ce souci de l’éthique quand on regarde la gradation réalisée par Freinet pour parler des jeux . Le travail-jeu de l’enfant s’appuie sur la réalité de la vie et lui permet de se développer harmonieusement, de vivre « une saine fatigue » . Le jeu-travail qui s’effectue à partir de substituts ne permet déjà plus le même équilibre parce très souvent le corps y est moins sollicité et cela génère donc une tension physique. Quand aux autres jeux, soient ils développent une fatigue nerveuse trop importante, liée à un déséquilibre flagrant entre la sollicitation de l’esprit et celle du corps, soient ils développent des comportements humains néfastes comme les jeux d’argent dans lesquels le profit devient l’objectif à atteindre. La dernière catégorie concerne ce que Freinet appelle les jeux haschich qui plongent dans un monde imaginaire, virtuel , qui éloigne du rapport aux autres et de la réalité et qui ne permet plus à la personne de développer le sens de sa place et de sa responsabilité dans le monde. Cela alimente les comportements d’addiction et sépare la personne du sens de la vie. C’est donc avec ce regard sur les autres et l’insertion de chacun dans la vie que Freinet regarde la nature et la place du jeu à l’école. Tout ce qui s’appuie sur la substitution de la réalité éloigne d’un questionnement qui responsabilise l’enfant par rapport à sa vie. C’est sur cette priorité que se sont développés ses outils pédagogiques : une vraie correspondance , régulière et fréquente, avec d’autres enfants qui répondent . Un vrai journal réalisé sur une imprimerie, en équipe, diffusé à l’extérieur ; une vraie recherche documentaire , des enquêtes auprès des gens et un calcul vivant qui s’appuie sur la compréhension de ce qui nous entoure. Le jeu ne peut donc qu’exprimer le développement de l’enfant , s’appuyer sur son expression libre : celle de son corps qui cherche à acquérir puissance, adresse, précision ; celle de sa curiosité qui cherche à manipuler ce qu’il rencontre et à expérimenter pour voir ce que cela produit. Le jeu, quand il ne se situe pas dans l’expression libre , laisse peu de place à la comparaison , à la recherche de différences qui nourrissent la curiosité et le questionnement.



Nous avons cherché cette année, dans le groupe de travail qui réfléchissait sur le jeu, à cerner les rapports entre travail et jeu, à la lumière des positions de Freinet. Notre questionnement partait de l’intérêt que nous portions à ces situations de jeu qui favorisaient , nous semblait-il, l’intérêt des enfants .

La lecture des textes de Freinet que certaines n’avaient pas encore approché, a permis de travailler les représentations construites autour du concept de Jeu. Il y avait clairement l’idée de motivation et elle était reliée à celle de l’aspect ludique c’est à dire sans enjeu dangereux pour la construction de l’estime de soi.

L’autre dimension qui apparaissait se situait dans la dimension de « reliance  » du jeu de société. Jouer à un jeu de société c’est se relier à l’autre , l’accepter , le découvrir et lui offrir du temps et des échanges.

Ces deux dimensions relèvent de la dimension du respect de la personne et c’est , de mon point de vue, une dimension qui prend souvent le pas dans notre groupe sur la construction des savoirs parce qu’elle est considérée comme étant ce qui fonde la possibilité d’apprendre.

Ce fut, je crois, une surprise et parfois même une déception pour certaines de lire que Freinet s’était opposé à l’idée d’enseigner par le jeu .Cela remettait en cause des pratiques et des argumentations basées sur le souci de l’adhésion de l’enfant. Il a fallu comprendre et découvrir toute la portée du jeu-travail pour pouvoir ensuite évoquer des pratiques qui laissent la place à des situations de vie concrète pour fonder le rapport aux savoirs dans le domaine mathématique en particulier: cuisine, jardinage, couture, bricolage etc… Il n’est pas facile de défendre le rapport aux savoirs par rapport à ce type d’activité. Cela suppose une argumentation fondée sur la construction de concepts intégrateurs fondamentaux : le rapport aux nombres, à l’espace, au temps. Il faut donc posséder une conviction étayée par des lectures théoriques pour que les arguments portent auprès des collègues et de l’institution. Il faut aussi pouvoir expliquer aux parents que les enfants sont placés en situation d’apprentissage qui ont du sens et non de « jeu ». Le « jeu » se trouve souvent évoqué par les parents quand les enfants sont placés en situation de manipulation d’objets. La notion de travail y est alors opposée sous la forme d’une trace écrite qui témoignerait d’une acquisition. Les parents qui ne peuvent pas trouver leur ration habituelle de traces écrites , sous formes de fiches, s’inquiètent, et il faut du temps pour leur faire comprendre que fabriquer une maison en argile ou en carton , ce n’est pas jouer mais « construire » dans tous les sens du mot …Le rapport à l’écrit se réalise plus facilement parce que les situations de lecture et d’écriture sont évidentes. Que leur forme change inquiète moins et le journal scolaire est devenue une forme scolaire reconnue dans presque toutes les écoles.

Nous nous sommes interrogées également sur la difficulté d’accès, pour certains élèves, à des formes de jeux mathématiques qui valorisent le rapport à l’abstraction. Les jeux de société traditionnels étaient fondés sur des déplacements, des ordres de grandeurs, qui relaient le mouvement de la main et celui de l’esprit. Il y a donc possibilité pour l’enfant de relier ce qui se passe dans la tête et ce qui se passe dans le réel. Il y aussi possibilité d’illustrer par le mouvement de la pièce à bouger, des hypothèses différentes. Les possibilités de retour en arrière sont visualisées. Cela favorise la réversibilité de la pensée. C’est un développement de pensée qu’il faut installer chez certains enfants qui ne possèdent pas encore les appuis nécessaires, qui ne supposent pas d’hypothèses différentes et qui ne font évoluer leurs déductions qu’en fonction du présent. Ils ne peuvent évoquer un manque non visible et ils ne relient donc pas les causes et les effets .Les situations de réalisation dans le concret aident ces enfants à échanger autour de ces réalisations pour en retracer l’histoire. Cela les amène alors à pouvoir évoquer d’autres choix et donc d’autres possibles. Cela leur permet de développer un esprit critique et une pensée complexe qui ne raisonne pas en réalisant des associations binaires, les unes derrière les autres, dans l’ordre…, mais en cherchant à dénouer tous les fils qui forment le nœud du problème et à comprendre ce qui relie les tenants et les aboutissants .

Nous avons cherché à étudier toutes les formes de situations de « jeux » dans nos classes pour redéfinir leur pertinence et leur qualité. Certaines d’entre elles vont disparaître !…La place accordées à certaines situations ludiques s’est transformée en temps ouverts sur la vraie vie, en questionnements sur l’insertion dans le réel de nos élèves. Évoquer avec eux le futur, le leur, ses possibilités et ses difficultés, faire naître des envies de , quand on sera grand, sont des dimensions qui vont sans doute guider des choix pédagogiques différents. La nécessité de relier en équilibre le rapport au corps et à l’esprit va aussi situer des formes de travail qui donnent plus de place au mouvement, pas seulement aux déplacements nécessaires.

En ce qui me concerne il y a de plus une grande volonté de s’inscrire dans une réflexion importante sur l’évolution de notre monde et de notre planète. Cela va aussi guider des choix différents.



Il y a de mon point de vue, une vraie interrogation sur la notion du jeu , telle qu’elle est présentée dans les classes.

Le jeu libre peut conserver toute sa place quand il permet une vraie parole d’expression. Il fonde alors une estime de soi qui permet une parole libre et libérée. Cela autorise et construit l’esprit critique dans un rapport à l’autre ouvert et tolérant.

Outre le fait que le jeu éducatif ou pédagogique ne présente pas le caractère d’évidence et de nécessité qui lui est accordé, il me semble qu’il y a à se poser la question de savoir avant tout qui en est l’initiateur. Il est le plus souvent matière à donner forme à une sorte de ruse pédagogique alors qu’il peut sans doute être présenté comme un moyen d’accès aux apprentissages, proposé en tant que tel, librement choisi comme un accès à la mémorisation quand il est support d’association, ou à l’analyse quand il est basé sur des éléments ou contraintes plus formelles. Cela suppose un accompagnement de l’adulte qui doit pouvoir être perçu comme un recours ou une aide valorisante. Cela ne se construit pas seulement dans un temps de jeu . La confiance et le rapport à l’aide et à l’erreur sont des éléments constants de la relation pédagogique. Ils ne peuvent changer de nature ou de qualité dans un temps particulier, même si ce temps est appelé temps de jeu ….

 

Le jeu relève, me semble-t-il, d’une perception subjective de la situation. Pour qu’il y ait jeu il faut l’accord de deux partenaires qui souhaitent alors jouer ensemble. La dimension pédagogique permet rarement cette symétrie de la relation, sauf dans le cas de jeu de société qui soumet l’adulte en tant que partenaire aux mêmes règles du jeu que l’enfant. On ne peut donc pas décréter le jeu à la place de quelqu’un. On peut seulement le laisser jouer , avec d’autres éventuellement, ou jouer vraiment avec lui. Le jeu se situe comme une représentation individuelle, connotée de toutes les représentations portées par le milieu familial et scolaire. C’est en partie sur l’estime de soi que se forge le rapport au jeu car il prend place dans l’acceptation et dans la notion de facilité. L’enjeu à considérer, l’engagement dans le jeu, le rapport à l’autre ne met pas la personne en danger .Elle peut à tout moment fuir ce qui pourrait lui déplaire. La notion de facilité permet même à certains de penser que les mathématiques sont un Jeu. C’est bien sur cette notion de maîtrise des enjeux que les personnes concernées peuvent appuyer cette représentation du Jeu.

Il y aurait donc une nécessité pédagogique de questionner le rapport aux savoirs et au Jeu dans les situations proposées à l’école. Car l’école a bien pour mission de construire ce rapport aux savoirs….

Je rejoins totalement l’analyse de Freinet parce qu’elle relève bien de l’insertion dans la vie. C’est sans doute ce qui différencie le plus cette forme de pédagogie et qui lui offre la qualité du sens des situations pédagogiques qu’elle propose. C’est aussi ce qui permet souvent la régulation des rapports entre enfants et c’est bien pourquoi on voit fleurir des Conseils d’enfants qui cherchent à apaiser et réguler les relations et tensions dans les classes. C’est oublier qu’il ne s’agit pas d’une technique mais d’un outil qui se développe dans toutes les situations de la classe avec le souci d’une éthique de vie dans le rapport pédagogique.

Dans un monde qui propose maintenant un accès permanent à une image qui détrône le réel, qui relie le jeu à l’argent, le savoir à la mémoire et non au raisonnement ( Questions pour un champion !!…), qui note les prestations du candidat au jeu télévisé …, ou qui les élimine parce que trop faibles !!… il y a matière me semble-t-il à se questionner sur une éthique de vie qui insère par une compétition permanente les enfants dans un monde irréel , dénaturé. Il y a urgence à restaurer le rapport à la nature, le rapport à l’autre basé sur le respect de ce qu’il est, et sur la solidarité, et ce d’autant plus que notre planète, que nous avons pillée et désorganisée, nous menace des pires dangers voire d’extinction à court ou à long terme !

Nous aurions bien besoin de l’intelligence de nos enfants , de leur regard ouvert et curieux sur ce monde pour qu’ils soient en capacité d’inventer des solutions aux problèmes que nous avons causés par notre comportement de consommation effrénée et irresponsable !!!

  

 

 

Par lucieromanegillet , le jeudi 15 mai 2008.

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