Bruno Suchaut : A qui profite l’impossibilité des réformes ? 

Sombre pronostic : l'Ecole française semble incapable de se réformer. Bruno Suchaut, directeur de l'IREDU, renvoie les partenaires dos à dos. Finalement l'immobilisme profite-il à un des acteurs ?


A l’heure de la nouvelle année et des vœux qui l’accompagnent, que peut-on souhaiter pour 2009 à l’école et à ses acteurs ? Tout simplement que le système éducatif puisse enfin bénéficier d’une politique à la hauteur des enjeux actuels. Malheureusement, les évènements récents laissent penser que ce souhait naïf relève d’un vœu pieu.


On peut effectivement s’interroger sur la pertinence de la politique éducative conduite au cours de cette dernière période. Après un enchaînement sans précédent de réformes conduites à un rythme accéléré, prenant de cours la communauté éducative, le gouvernement a été contraint de reculer significativement sur plusieurs volets de ses réformes. Le fait d’intervenir sur plusieurs fronts (de la maternelle à l’université) et à des niveaux d’action différents (programmes, organisation du temps scolaire, aide aux élèves, etc.) a paradoxalement regroupé les enseignants, les syndicats et les élèves, autour d’un slogan classique centré sur la diminution des moyens.


 

La plupart des réformes engagées n’ont pas été justifiées, argumentées, ni même discutées…

Ce n’est pas par hasard si cette question des moyens fédère actuellement les revendications des acteurs dans différents domaines, car c’est en effet l’élément commun qui traverse l’ensemble des mesures proposées sans qu’une autre forme de cohérence soit clairement lisible. Si la question des ressources est évidemment centrale dans la gestion d’un secteur comme celui de l’Education nationale, elle ne doit pas se substituer à une réflexion approfondie sur les aspects d’amélioration de la qualité des services éducatifs. Or, la plupart des réformes engagées n’ont pas été justifiées, argumentées, ni même discutées sur des bases validées par des recherches ou des études scientifiquement reconnues qui produisent des connaissances, mêmes partielles, sur l’école et son fonctionnement.


La conséquence du centrage des débats et des revendications sur la dimension économique induit des effets pervers qui risquent finalement de nuire à l’amélioration du système, sans pour autant satisfaire chacun des protagonistes qui composent les rapports de force en présence sur la scène sociale et politique. Plusieurs exemples peuvent être mobilisés pour illustrer la situation actuelle, qui risque de conduire, une fois de plus à des blocages ou à des compromis qui, in fine, contribueront à ne pas agir avec pertinence pour l’amélioration de la qualité de l’école et de son efficience.

 


 

Une réaction qui évacue les vraies questions de fond sur l’évaluation des élèves…

La nécessaire réforme du lycée, faute de concertation à temps voulu, a focalisé les débats sur la question des moyens, comme si celle-ci était la seule en jeu. La réorganisation de l’offre scolaire, l’accompagnement des parcours des élèves, les modalités d’orientation, les volumes horaires et la répartition des disciplines sont autant de points qui méritent d’être débattus pour que notre enseignement secondaire s’adapte à ses nouvelles finalités.


Dans le premier degré, l’annonce de la suppression de postes de RASED a déclenché de fortes réactions chez les enseignants et a conduit le Ministre à revoir les prévisions à la baisse en divisant par deux le nombre de postes destinés à être supprimés. Cette décision récente, comme l’annonce initiale, ne témoigne pas d’une vision claire des moyens à mettre en œuvre pour l’aide aux élèves en difficulté, mais plutôt d’un pilotage à vue centré sur la gestion des postes d’enseignants. La vraie question est de savoir dans quel cadre apporter cette aide, quels élèves doivent en bénéficier et selon quelles conditions. Sur ce point, les recherches en éducation ouvrent des pistes intéressantes et montrent qu’il existe des modes de prise en charge efficaces à condition qu’ils soient véritablement intégrés au fonctionnement de l’école et mobilisent de fait, des moyens conséquents en termes d’encadrement. Même dans un contexte budgétaire contraint, ces solutions peuvent être envisagées à condition d’une réorganisation partielle du fonctionnement pédagogique des écoles.


La récente réaction concernant les évaluations nationales dans les classes de CM2, montrent le manque de confiance du milieu enseignant à l’égard des directives officielles. Quelles que soient la composition détaillée de ces évaluations, qui par nature ne peuvent être parfaites, les outils d’évaluation CE1 et CM2 actuels sont sans doute des instruments de meilleure qualité que les évaluations précédentes, elles devraient permettre d’obtenir, d’une année sur l’autre, des repères comparables sur les compétences des élèves. Là encore, l’ambiguïté du contexte dans lequel ces évaluations prennent place (modalités peu claires de diffusion des résultats, rémunération des enseignants pour la passation, la correction et la saisie des épreuves) a déclenché une réaction qui évacue les vraies questions de fond sur l’évaluation des élèves et de son utilité à la fois au niveau pédagogique et du pilotage local.


 

A vouloir réformer trop vite…

A vouloir réformer trop vite, sans suffisamment de concertation et sans véritable logique d’amélioration de la qualité du système, le Ministère risque de tomber dans le même piège qu’il s’évertue pourtant à combattre : celui de l’impossibilité de réformes qualitatives de fond du système éducatif français. Il n’est pas certain que la responsabilité de cette difficulté à réformer revienne aux acteurs politiques, mais peut-être une fois encore aux enseignants et plus généralement à l’école publique. A qui cela profitera-t-il ?


Bruno Suchaut


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Par fjarraud , le jeudi 15 janvier 2009.

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