Sénat : Dernier rapport avant la réforme ? 

Par François Jarraud



 

Quelle rencontre entre la France et son école ? Tout au long de ses auditions, la Mission d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation du Sénat a réussi à faire parler de l'école les différentes composantes de la société française. Pour quel résultat ?

Se sont ainsi succédés devant les sénateurs Lagauche et Carle, président socialiste et rapporteur UMP de la Mission, les syndicats, les parents, les collectivités territoriales et les entreprises. Chacun a pu faire connaître ses attentes et ses difficultés avec l'école. Le Café vous a fait vivre ces moments. Qu'en ressort-il ?


Tout le monde a une opinion sur l'école. Patrons, parents, élus et profs savent ce qu'i faudrait faire pour l'améliorer. Et il faut tout de suite ajouter que c'est ce qui empêche d'avancer car il n'y a pas de consensus. Au contraire les visions de l'école s'opposent et derrière elle les visions de l'avenir pour la société française. Une partie du patronat par exemple est contre l'extension scolaire parce qu'il lui faut de la main d'oeuvre peu formée (mais assez quand même...). On retrouve son influence dans la circulaire de rentrée. Les enseignants et les collectivités territoriales voient les choses autrement. C'est la vision commune de l'avenir du pays qui est en panne.


Les tensions sont donc fortes entre les acteurs. Et plus le budget de l'éducation diminue , plus elles se renforcent. On a perçu nettement les tensions entre l'Etat et les collectivités locales, plus souvent utilisées qu'associées à l'éducation nationale. On pourrait évoquer celles entre le privé et le public. C'est là aussi la défaillance du rêve commun qui permet au Sénat et aux politiques  de trancher.


L'heure de la réforme est arrivée ? C'est quand même la conclusion de chaque acteur. Si les résultats de Pisa ne l'imposaient, les difficultés rencontrées, les sorties sans qualification imposent le changement. En même temps celui-ci est-il possible ? On voit bien que le Sénat va proposer d'avantage d'autonomie et la multiplication des dispositifs dérogatoires pour distendre le système éducation nationale.  Mais après des années de saignée du système éducatif qui se traduit par la montée des difficultés et des mécontentements, le système peut-il être transformé ? L'idée même de réforme est-elle encore audible ? Les enseignants sont-ils prêts à accepter des réformes qui ne sont plus justifiées par l'intérêt des élèves ou du système mais que par des objectifs budgétaires ? Peut-on changer quoique ce soit sans leur adhésion ? Les cadres qui assistent à la dégringolade de l'éducation nationale n'ont-ils pas atteints le point de rupture par rapport aux politiques qu'on les amène à mettre en place ? Sans relâchement budgétaire et sans affirmation politique d'un avenir pour tous les élèves et pour ce pays, l'Ecole reste fort de rester en panne.

Troisième audition : Si les patrons gouvernaient l'Ecole

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L’Etat mis en accusation par les acteurs de l’Ecole

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Quand les élus du peuple discutent privatisation

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Un pas vers la privatisation de l'Ecole ?


Organisé par la "Mission d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation" du Sénat, le colloque du 4 mai est le dernier événement avant la remise du rapport final de la Mission fin juin. On en retiendra surtout la fin : la révélation, par un organisme inconnu mais invité par la Mission, d'une étude qui affirme que le coût d'un élève est nettement plus onéreux dans le public que dans le privé du fait d'une gestion publique "laxiste". De là à conclure sur la nécessaire privatisation du système éducatif, il n'y a qu'un pas. La Mission le franchira-t-elle ?


Faut-il privatiser l'Ecole française ? Commençons le colloque par sa fin, retentissante. La dernière intervention du colloque a été celle d'Agnès Verdier-Molinié, présidente de l'IFRAP. Cette obscure association se présente comme un thinktank libéral. Mais il semble surtout actif en période électoral et ressemble davantage à un groupe politique. Les publications de l'Ifrap donnent la tonalité de la maison : "Les fonctionnaires contre l'Etat, le grand sabotage", "Cet Etat qui tue la France", "le dossier noir de l'ENA".. L'Ifrap est libérale au sens classique (ou américain), c'est-à-dire hostile à l'Etat. Agnès Verdier-Molinié a publié des statistiques qu'elle était incapable de définir précisément, qu'elle présentait comme sérieuses  mais exactes "à 1000-1500 euros près". Selon l'Ifrap, un élève du privé coûterait au primaire 3 443 € par an contre 5 469 dans le public. Dans le second degré on aurait 7201 et 9989 € (dépenses immobilières et parentales incluses). De plus de très forts écarts existeraient entre régions et départements. Ainsi le Limousin dépenserait 4 374 € pour les élèves du public et 585 pour ceux du privé. Un élève du public coûterait 1 478 € dansle Cher et 375 dans le Loir-et-Cher. Comment expliquer tout cela ? Selon l'Ifrap, la décentralisation est à revoir, "elle a conduit à des pertes d'économie d'échelle". Mais il y a aussi les fonctionnaires. "L'éducation est trop centralisée et a des normes de dépenses laxistes laissées à la discrétion des décideurs". Si l'éducation est trop centralisée et que les collectivités locales sont dépensières, alors on peut en déduire qu'on peut décentraliser jusqu'à l'établissement autonome. C'est sans doute ce modèle que défend l'Ifrap : la privatisation de l'éducation nationale. A noter que les "décideurs" de l'Etat sont bien laxistes : aucun des deux recteurs présents dans la salle n'a répliqué.


L'école privatisée en modèle. Or c'est justement le système éducatif le plus décentralisé et privatisé que la Mission avait choisi de montrer en invitant un inspecteur et un directeur de réseau d'écoles néerlandais. Aux Pays-Bas, la constitution donne le libre choix de l'école aux parents. L'Etat fixe ce qui doit être appris. C'est chaque école qui dit comment il faut apprendre et qui définit ses propres enseignements et règles. Ce "modèle" néerlandais a été présenté comme un exemple de réussite en oubliant à quel point il se structure sur une base ethnique de plus en plus accentuée.


Regrouper les écoles rurales. Une des dernières interventions proposait l'exemple des écoles de la communauté de communes d'Ailly-le-Haut-Clocher (80) qui est un exemple réussi de regroupement d'écoles. 13 écoles ont été fermées pour regrouper les enfants dans 3 lieux ayant chacun une dizaine de classes. Chaque école a Internet et des équipements sportifs. Mais sait-on combien de kilomètres doivent faire les enfants chaque jour ?


Restait la question des expérimentations. Au coeur des réflexions de la Mission, elles semblent pour elle être un outil pour faire évoluer l'éducation nationale.  Pour Claude Thélot elles sont un vrai outil de gouvernement. Mais encore faut-il que l'Etat en tire les conséquences, ce qui est rarement fait. Il revenait à Eric de Labarre, secrétaire général de l'enseignement catholique, de sortir la discussion des discours convenus en délimitant les conditions qui font d'une expérimentation quelque chose d'efficace. "Si la réforme appelle une formalisation, pour que l'expérimentation ait lieu la formalisation doit avoir lieu avant". Il dénonce les "expérimentations alibi qui servent à justifier les choix posés en amont". Une allusion, par exemple , au programme ECLAIR. L'expérimentation doit avoir l'appui des équipes éducatives "parce que le système éducatif n'est pas réformable par le haut". Un autre son original a été donné par Bénédicte Robert, chef du département recherche-développement, innovation et expérimentation du ministère. Son service cherche à repérer les innovations, à les accompagner et à communiquer sur elles. Il développe une "expérithèque" (sur Eduscol). Certains sénateurs ont réagi vivement quand B Robert a essayé de leur faire entendre l'intérêt des démarches "bottom - up", c'est à dire celles qui viennent du terrain.


Quels objectifs pour ce colloque ? Le colloque avait commencé par une présentation remarquable du président (socialiste) de la mission, S. Lagauche. Il a rappelé les 160 000 élèves sortant sans qualification et la montée des inégalités sociales dans l'Ecole française. Il a montré la nécessité de réagir. La mission présentera ses conclusions au Sénat le 14 juin et rendra public son rapport à la fin de ce mois. Est-il possible d'anticiper sur elles en s'appuyant sur les quatre journées d'auditions et de colloque ? La majorité présidentielle qui anime la Mission tend visiblement vers une autonomie accrue des établissements. Elle a en tous cas le 4 mai promu une nouvelle baisse des moyens de l'éducation nationale et rallumé, par l'intervention de l'Ifrap, les braises de la guerre scolaire.


François Jarraud



Quand les élus du peule discutent privatisation

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Si les patrons gouvernaient l'Ecole...

Si les patrons gouvernaient l'Ecole elle serait aussi multiple que les projets éducatifs des patrons. C'est la première leçon de la table ronde organisée par la Mission Carle au Sénat le 26 avril. La seconde c'est que ce qui divise le patronat  c'est précisément l'importance accordée à l'éducation.


Mardi 26 avril, la "Mission d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations en matière d'éducation" du Sénat entamait sa troisième table ronde avec, cette fois-ci, le monde de l'entreprise. Face aux sénateurs Serge Lagauche et Jean-Claude Carle, se tenaient Bernard Falck, directeur de l'éducation et de la formation du Medef, André Marcon, président de l'assemblée des chambres de commerce et d'industrie, Gilbert Rebeyrole, représentant les Chambres des métiers et de l'artisanat, Francis Pétel, représentant la CGPME et, apparemment décalé, Claude Thélot, conseiller d'Etat et auteur de plusieurs rapports sur l'Ecole.


L'Ecole doit-elle intégrer dans l'emploi ou doit-elle pousser chaque jeune vers le haut ? C'est cette question posée par la sénatrice B Gonthier-Morin qui divise les patronats. D'un coté les représentants des petites entreprises. "On veut des jeunes directement opérationnels" demande F Petel. "Et pour cela l'apprentissage est le plus approprié". Mais le niveau de formation nécessaire n'est pas le même pour tous les métiers. Par conséquent les représentants des petites et moyennes entreprises défendent l'idée d'une entrée rapide dans le monde du travail et même la pré-professionnalisation avec le DIMA.


Et le bac pro leur fait peur. "On veut éviter la valorisation de la poursuite d'études", estime G Rebeyrole. "Elle peut avoir des effets négatifs comme la sous qualification des diplômés". La réforme du bac pro crée "une marche trop importante" au détriment du CAP, estime A Marcon. "Ca relègue le CAP à un sous titre ce qu'il n'est pas". Les artisans et PME défendent le niveau CAP. Ils estiment que si l'échec scolaire est élevé c'est que déjà le niveau du CAP est trop élevé pour les jeunes. Ils rappellent qu'en Angleterre on délivre des diplômes de niveau inférieur au CAP.


Le MEDEF, représenté par B Falck n'est pas sur la même longueur d'onde. "Tous les pays les plus avancés sont ceux qui ont le plus misé sur l'éducation", rappelle-t-il. "Ils ont un haut niveau de recherche, d'exportation. Ca signifie que chaque jeune puisse être hissé au bon niveau". Quant au bac pro et à ses effets délétères, "on n'a pas de recul suffisant", estime B Falck. Le Medef soutient les réformes des lycées.


Ce qui réunit le monde de l'entreprise c'est sa volonté d'influer sur l'Ecole. Ils plaident pour le "rapprochement entre les enseignants et les entreprises". Pour cela il faut changer les représentations des enseignants et les amener dans le monde de l'entreprise. "On pourrait leur donner un bonus", propose l'un d'entre eux. Ils souhaitent intervenir dans l'orientation des élèves. "On demande des instances locales de concertation qui favorisent la co décision sur l'orientation et l'accueil des élèves dans les entreprises", déclare G Rebeyrolle. Et ils comptent beaucoup sur les expérimentations pour faire avancer leurs idées.


Leur principal souci c'est l'alternance. Tous la décrivent comme "la voie royale pour l'emploi". Mais les statuts sont à compléter et à revoir. Les entreprises demandent que le contrat d'apprentissage soit plus court. Les 3 années d'apprentissage sont un engagement trop exigeant en temps de crise. Ils demandent 2 ans voire moins. Et le maintien des différentes voies de l'alternance.


Il revenait à Claude Thélot de faire une synthèse. "Il faut absolument que se rapprochent plus intelligemment l'éducation et le monde professionnel. Les progrès sont réels mais insuffisants quant à la situation du monde et de la jeunesse". Pour lui ça implique un accorde sur trois principes : les employeurs publics doivent se sentir concernés; le partenariat doit concerner plusieurs domaines : la définition des cursus de formation, l'aide à la connaissance des entreprises, l'orientation. "Les conseillers d'orientation ne connaissent pas le monde professionnel". "Il faut développer l'alternance sous toues ses formes" et créer un contrat engageant les employeurs publics. Le partenariat doit être local.


L'écart avec les tables rondes avec les syndicats, les collectivités locales et les associations de parents montre qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre ces objectifs. Luc Chatel succédait, en réunion à huis clos, au patronat. La commission Lagauche - Carle  remettra son rapport le 4 mai.



Christian Chevalier : "Vers un système libéral"


" On passe de la conception où l'éducation est un droit garanti par l'Etat à une éducation qui est un bien de consommation répondant à la demande des parents". Christian Chevalier analyse avec nous le colloque du Sénat du 4 mai.


Lors du colloque de la Mission d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation du Sénat, la présidente  de l'Ifrap est intervenue pour présenter une étude qui montrerait une nette différence de coût entre un élève du privé et du public, ce dernier "coûtant" plus de 2 000 € de plus. Qu'en pensez-vous ?


Ce que je constate c'est que l'enseignement public est un service public qui est installé sur tout le territoire y compris en zone sensible. Que le public ne choisit pas ses élèves. C'est lui qui scolarise les 20% d'élèves en difficulté, 97% des élèves handicapés et des primo-arrivants. Tout cela a un coût. Ce que je trouve incroyable c'est que ces inconnus soient invités par la Mission et qu'ils aient le culot de porter cette parole mettant en cause l'efficacité du Public. Mais ce discours n'est pas nouveau.  Déjà Darcos vantait le modèle de l'enseignement privé où l'établissement est roi, ce qui est d'ailleurs le filigrane du débat de la Mission. Que l'on s'appuie sur le terrain c'est bien. Mais l'autonomie doit être encadrée parce que l'éducation est nationale. Il n'est aps souhaitable que le système éclate en une mosaïque d'établissements.


La mission ne va-t-elle pas proposer une forme de privatisation de l'Ecole ?  


Ce que j'ai ressenti, et d'ailleurs l'exemple hollandais est parfait pour cela, c'est quelque chose de très décentralisé. Non que les collectivités locales n'aient raison de demander à être associées au service public d'éducation. Mais la Hollande c'est la décentralisation extrême du système politique. Même les enseignants y sont salariés par les établissements.


Ce qui est important c'est que l'éducation reste nationale. Le modèle privé c'est celui de l'autorégulation du système par le jeu de l'offre et de la demande. On passe dela conception où l'éducation est un droit garanti par l'Etat à une éducation qui est un bien de consommation répondant à la demande des parents. Or on a bien vu lors de la désectorisation que ça ne se régulait pas. D'autre part la plupart des expérimentations évoquées sont des alibis élyséens.  Les ERS, les établissements d'excellence, par exemple. On met les  élèves excellents entre eux, les délinquants potentiels entre eux et on les sépare de leur environnement perçu comme dangereux. 


Je pense que de plus en plus on veut nous amener vers ce schéma où l'unité de base c'est l'établissement dans la logique d'un système où c'est el résultat qui compte et de moins en moins les contenus enseignés. Aujourd'hui on veut des choses mesurables.


Mais n'est ce pas une tendance universelle de mettre en place des indicateurs ?


Que le ministère ait besoin d'un outil de pilotage c'est indispensable. Mais actuellement l'outil prend de plus en plus de place.


Comment jugez vous globalement ce colloque ?


Il faut que l'Ecole bouge. Il faut trouver des améliorations pour les élèves en difficulté. Dans la compétition mondiale on voit bien que c'est du coté de la matière grise que va la plus value économique. Sur la question de l'autonomie il y a des risques. L'autonomie encadrée peut faire sens à condition que le chef d'établissement ne soit pas tout puissants. On voit que ceux qui maîtrisent la Mission tirent vers un système libéral.



Propos recueillis par François Jarraud



Sur le site du Café

Par fjarraud , le samedi 28 mai 2011.

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