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Seconde Carrière 

Par Rémi Boyer et Alexandra Mazzilli de l’association Aide aux Profs


Ce mois-ci :

-       « Souffrir d’enseigner » : une nouvelle rubrique du portail Aide aux Profs ;

-       Alain Refalo, ou l’arbre qui cache la forêt des victimes d’un système bien éloigné de ce que devrait être la GRH à l’Education nationale ;

-       La reconversion obligée des professeurs de STI, qui se sentent dévalorisés dans leur professionnalisation ;

-       Les permutations bloquées des professeurs des écoles commencent réellement à poser problème : encore un chantier de refondation à mener !

-       L’interview d’Amandine Capelle, agrégée de SVT, qui envisage de devenir Chef de Projet Marketing dans le secteur de la santé ;

-       L’interview de Valérie Humbert


« Souffrir d’enseigner », une nouvelle rubrique sur le portail d’Aide aux Profs, pourquoi ?

Enseigner, c'est parfois souffrir, psychologiquement, plus rarement physiquement.

Ces maux d'enseignants se traduisent dans ces mots qu'ils nous adressent depuis juillet 2006. Des milliers d'appels à l'aide, pour en finir avec cette « souffrance ordinaire », décrite par Françoise Lantheaume et Christophe Hélou en 2008 dans leur ouvrage « la souffrance des enseignants », et qui rend leur métier pénible à vivre au quotidien.


C'est souvent dans ces souffrances multiples, répétées, que prend racine le projet de reconversion. Les 5 300 témoignages qui nous sont parvenus pour l’instant montrent qu'à peine 30% souhaitent une mobilité hors de la classe pour enrichir leur parcours, se réaliser autrement.


Les autres, 70%, se répartissent entre plusieurs catégories:


- celles et ceux qui observent leurs collègues souffrir en salle des profs, à l'entrée en classe ou au sortir de la classe, et anticipent sur leur éventuelle future propre souffrance, pour partir avant l'heure, à temps, avant qu'il ne soit trop tard.


- celles et ceux qui rencontrent des épisodes de souffrance personnelle périodiques, et appréhendent que cette souffrance s'installe et leur rende la vie difficile au travail


- celles et ceux qui sont dans la souffrance en permanence mais tiennent le coup, en se demandant "jusqu'à quand ?"


- celles et ceux, enfin, que la souffrance a anéantis, soit du fait d'une maladie qui ne guérit pas, du fait de problèmes musculo-squelettiques qui se sont installés et rendent le travail pénible, ou encore du fait d'un profond mal être imbriquant des soucis personnels et des tracas professionnels.


Nous avons créé cette rubrique de témoignages anonymés pour mieux informer tous les étudiants, ou les salariés du privé, qui envisagent de devenir enseignants, afin qu'ils puissent découvrir les multiples facettes de la souffrance ordinaire du métier tel qu'il est aujourd'hui, et tel que ne le décrivent pas les campagnes de promotion de l'Education nationale.


Nous considérons en effet qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Car nous constatons que les étudiants dont le tempérament est à l'opposé ou à la marge des qualités et exigences du métier d'enseignant, qui requiert une grande solidité psychologique, se réorientent très difficilement vers autre chose une fois que ce métier les a brisés, en leur ôtant leur confiance, leur estime d'eux mêmes, et en affectant leur santé.


Par cette rubrique, Aide aux Profs entre dans une démarche de santé publique, et d'information salutaire, pour chaque aspirant au métier d'enseignant. Si vous avez peur que ces témoignages vous ôtent votre envie d'enseigner, alors, ne les lisez pas. Mais si vous êtes d'une nature fragile, si vous êtes timide, si votre humeur est plus souvent pessimiste qu'optimiste, et si vous vous sentez aisément vulnérable à ce qui vous entoure, ou à ce qui vous arrive, alors il devient important de les lire, pour éviter de vous tromper de métier.

http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=Ressources.ht[...]



La reconversion forcée des professeurs de STI2D, qui se sentent dévalorisés dans leur professionnalisation et en souffrent

Il y a des documents que l'éducation nationale ne veut pas voir circuler. C'est le cas de la "synthèse de témoignages d'enseignants de STI2D" réalisée par le CHSCTA de Nancy-Metz. Il met crument l'administration face à un très haut niveau de souffrance au travail d'enseignants qui se retrouvent brutalement déqualifiés et précarisés. Alors que les procédures de mutation vont être lancées, le stress est au plus haut. Le rectorat affirme faire ce qu'il peut dans les contraintes budgétaires actuelles. La rue de Grenelle se tait.

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/03/2103201[...]



Alain Refalo, ou l’arbre qui cache la forêt des victimes d’un système bien éloigné de ce que devrait être la GRH à l’Education nationale 

Aide aux Profs depuis sa conception est très sensibilisée aux souffrances rencontrées par les enseignants dans leurs pratiques professionnelles, mais aussi aux formes de conflits qui les opposent à leur administration, du fait de pratiques de GRH qui, comme Alain Refalo le dit si bien, se caractérisent par des "abus de l’autorité qui engendrent de la méfiance, parfois de la défiance et souvent de la désespérance chez beaucoup d’enseignants".


Cette désespérance des enseignants face à des inspecteurs, des chefs d'établissement, des attachés d'administration, des secrétaires généraux tous puissants dans leurs pratiques coercitives, sans contestation possible, nous la ressentons tous les jours, tous les mois, chaque année, dans ces milliers de témoignages d'enseignants qui nous parviennent de toutes les académies.


Nous disposons de milliers de témoignages d'enseignants de toutes les académies qui se plaignent de harcèlement de la part de leur inspecteur, de leur chef d'établissement, qui se plaignent de mises à l'écart, qui souffrent d'être mal traités par leur administration, qui n'entend pas leur souffrances, des enseignants qui, professionnels diplômés de Bac+3 à Bac+7, sont traités comme s'ils n'étaient que des manoeuvres sans diplômes. Aucune reconnaissance au travail. Peu de valorisation professionnelle. Peu d'encouragements. Un système qui préfère pointer leurs défaillances et déceler des insuffisances, que de s'essayer à l'encouragement et à la démarche positive. Le système de GRH actuel a coupé son moteur depuis bien longtemps et ne motive plus que les personnels d'encadrement qui le maintiennent en vie, comme un malade qu'il faudra bien, un jour, débrancher.


Nous pouvons affirmer, depuis ces sept années d'existence d'Aide aux Profs, qu'aucune académie de l'Education nationale n'a mis en place une politique de bien-être au travail, de motivation positive de ses "ressources humaines", car toutes ont été incitées voire confortées entre 2002 et 2012 dans le contrôle et la répression des personnels qui osent dire ce qu'ils pensent, et qui osent tenir tête à un système à bout de souffle, et qui préfère réprimer qu'entendre, et se remettre en question, un tant soit peu.


Ceux-là même qui ont vu naître la GRH en 1994 à l'Education nationale l'ont par la suite critiquée, en proposant des améliorations qui demeurent à l'état de énièmes préconisations dans des rapports, comités et commissions qui se succèdent depuis plus de 15 ans. Aucun de ces rapports n'a réellement été suivi d'effets probants sur le terrain. Des centaines de circulaires naissent, et les plus positives se noient dans l'océan de celles destinées à suspecter, contrôler, sanctionner, sans aucun état d'âme.


Beaucoup de hauts fonctionnaires sont conscients des limites actuelles de la GRH, et de l'impasse dans laquelle elle s'est engouffrée depuis quelques années, mais du fait de leur droit de réserve, réel et exigeant, peu osent s'aventurer seuls dans la transformation de ce qui demeure une machine à laminer les esprits les plus courageux, les plus innovants, même s'ils sont investis et inventifs dans leurs pratiques professionnelles.


Pourtant, les agents administratifs et les enseignants qu'elle gère peuvent se comprendre, se rapprocher, apprendre les uns des autres pour se donner une chance de fonctionner en harmonie, pour restaurer cette confiance qui manque cruellement actuellement, et qui explique que la souffrance des enseignants ne cesse de s'accentuer. La refondation à l’Education nationale aurait dû commencer par la métamorphose des pratiques de sa GRH.


C'est pour cette raison que la déclaration du 18 mars qu'Alain Refalo a publié sur le site résistance pédagogique, nous la relayons, car un système où tout le monde s'écrase sous le rouleau compresseur de la loi du plus fort sera voué, tôt ou tard, à disparaître. Un système qui n'accepte pas d'échanger, de faire un pas en avant ou un pas en arrière au lieu de rester campé sur ses positions, inflexible, ni d'accepter d'étudier les arguments avancés par l'une et l'autre partie, même si elles ne sont pas dans la même position de pouvoir, est un système où la méfiance ne peut que s'instaurer, se répandre.


Le Ministre Vincent Peillon déclarait il y a peu vouloir redonner confiance aux enseignants dans leur administration, dans la capacité de ces inspecteurs à comprendre les personnels. Nous constatons que tout est encore à faire, qu'il faudra encore des réunions avec 1400 inspecteurs pour exprimer, expliquer, argumenter, convaincre...car l'exemple d'Alain Refalo n'est que l'arbre qui cache la forêt de tous ces enseignants dont la parole et les droits, parfois, sont bafoués par une administration qui n'a cure de leur mal être, et préfère souvent les pousser vers la porte vers l'invalidité d'office (plus de 180 professeurs ont été dans ce cas en 2011) quand ils ne peuvent plus enseigner, plutôt que de passer du temps à leur trouver un poste administratif où ils seraient toujours opérationnels.


Alain Refalo a le mérite de nous interpeller, de tenter de nous sensibiliser, dans un dernier sursaut, après ce jugement du Tribunal Administratif du 14 mars 2013 qui ne le laisse pas sans voix, heureusement, en faisant appel à l'intelligence du Ministre Vincent Peillon à agir enfin pour que ce genre de situations ne se répète à l'avenir. La GRH doit devenir une forme de communication, d'échange, entre deux parties, de soutien actif, et non la loi d'un système qui écrase, qui méprise, qui humilie.

Sa déclaration :

http://resistancepedagogique.blog4ever.com/blog/lire-article-[...]


Les permutations bloquées des professeurs des écoles commencent réellement à poser problème : encore un chantier de refondation à mener !

Selon le Snuipp, les demandes de mutation des professeurs des écoles ont reçu encore moins de réponses positives que l'année dernière.  Le Snuipp donne des chiffres : 21% d'enseignants satisfaits en 2013 contre 25% en 2012, 39% des rapprochements de conjoints accordés contre 46%. Ces mauvais résultats s'expliquent par les suppressions de postes qui transforment certains départements en pièges.

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/03/14[...]



Amandine Capelle, Agrégée de SVT, 34 ans, engagée dans un projet d’évolution professionnelle pour devenir Chef de Projet Marketing dans le secteur de la santé.

Interview de Rémi Boyer, de l’association Aide aux Profs

Quel a été votre parcours professionnel jusqu’ici ?

Après une préparation au sein d’une Ecole Normale Supérieure, j’ai obtenu l’agrégation de Sciences de la Vie et de la Terre à 23 ans. J’ai d’abord été affectée comme TZR. Je voulais travailler en lycée, mais j’ai commencé sur deux postes, un collège et un lycée, comme TZR sur l’Académie de Versailles. Heureusement je n’avais qu’un quart d’heure de trajet entre les deux, ce qui est assez rare pour un TZR. Mes préparations de cours ont été lourdes, avec plusieurs niveaux à gérer, pendant 4 ans sur ce poste. Globalement, je n’ai pas souffert des conditions de travail, en-dehors de l’incertitude à l’approche de chaque rentrée pour savoir où le rectorat allait m’affecter. En tant que TZR, j’ai mené mon premier projet pédagogique : la réalisation d’une exposition de vulgarisation  sur les volcans, ayant obtenu le premier prix du concours « Faites de la science ». J’ai ensuite été affectée dans un lycée ZEP,  celui qui m’intéressait. Il y avait beaucoup de projets, c’est un lycée excellent et dynamique, avec des équipes soudées. J’y ai animé une option théâtre, et j’y suis resté 6 ans.  J’ai organisé plusieurs projets : entre autre un  projet mixant le théâtre et le développement durable, un autre pour sensibiliser les élèves au recyclage des déchets.

Ensuite, j’ai demandé une disponibilité car j’ai eu envie de faire autre chose. J’ai alors intégré un MBA en Marketing de l’Industrie de la Santé que je terminerai en septembre 2013, avant de chercher ensuite un emploi comme Chef de Projet Marketing. Actuellement, je suis chargée d’études dans un cabinet de conseil spécialisé en marketing des industries de la santé, et je réalise des études de marché pour l’industrie pharmaceutique. Mes interlocuteurs sont entre autres des médecins. Le métier d’enseignant consiste à s’approprier rapidement de l’information scientifique complexe, de la synthétiser afin de faire passer un message simple : cela m’aide beaucoup dans mon nouveau métier.

Les métiers du marketing et de la communication dans l’industrie de la santé m’intéressent, et c’est pas à pas que je construis mon projet d’évolution professionnelle.

Quelles compétences votre métier vous a-t-il permis de développer ?

L’esprit de synthèse. Je suis aussi très organisée, et je me suis toujours astreinte à pratiquer mon métier dans des horaires classiques, de 8h30 à 18h30, en intégrant mes préparations de cours et corrections de copies dans cet intervalle suffisamment large. Cela a été très important, car cela me permet aujourd’hui de m’adapter aisément en entreprise. Cela m’a toujours évité de travailler le week-end, et m’a permis de profiter de mes soirées, de faire la coupure nécessaire entre le travail et mes loisirs personnels.

Je fonctionne selon le principe du rétro-planning, en réalisant une planification annuelle de mon travail. Ce que j’ai acquis, c’est de piloter des projets, de fédérer des personnes, avec une capacité à mobiliser les énergies, et cette compétence là est aisément transférable.

Considérez-vous votre métier d’enseignante comme un handicap pour la suite ?

Non, plus maintenant.

Par exemple, entre septembre et décembre 2012 j’ai travaillé en CDD dans un laboratoire de cosmétique, pour faire des prévisions de vente pour une marque. Je me suis rendu compte qu’enseigner, c’est aussi manager des équipes de jeunes, car on gère dans nos pratiques professionnelles des groupes plus ou moins importants, et même avant d’avoir eu une formation en management, j’ai appris à manager. Avoir été enseignante ne constitue donc pas pour moi un handicap pour la suite de la carrière dans laquelle je souhaite m’investir, mais plutôt une force et une ouverture d’esprit.

Mais ce n’est pas toujours le point de vue de mes interlocuteurs, qui reste parfois à convaincre.

Vous n’avez pas songé devenir chef d’établissement ou inspecteur ?

Ce fut ma première réflexion. Mais pour devenir IA-IPR quand on est agrégé, il faut d’abord avoir atteint l’échelon 9 (entre 14 et 19 ans d’ancienneté, ndlr). Or, j’étais à l’échelon 7 après 11 ans d’ancienneté, et ce n’était donc pas envisageable. Pour moi, le changement, c’était maintenant, je ne pouvais pas attendre d’autre échéance.

A force de faire apprendre les autres, et de les voir passer vers la classe supérieure, on a envie d’évoluer à son tour, de grandir, de retourner à l’école aussi. Je commençais à tourner en rond dans mon métier, j’avais besoin d’oxygène.

Concevez-vous cette reconversion comme temporaire ou définitive ?

Je ne sais pas pour l’instant, j’ai envie de m’y engager, voilà tout. Je compte renouveler ma disponibilité, car ce que je fais est prenant, avec 4 jours de mission en entreprise par semaine, et 2 jours de formation.

J’ai souvenir d’élèves extraordinaires, et d’autres plus difficiles, et il a quand même fallu que je suive un processus de deuil de mon métier d’enseignante pour pouvoir le quitter avant de ne plus l’aimer, comme tant d’enseignants après 10, 15, 20 ans de métier. Je ne sais pas encore si je reviendrais, je vais d’abord voir comment se déroule cette nouvelle étape de ma vie.

Mais comment faites-vous pour vivre sans revenus durant cette disponibilité ?

J’ai revendu mon appartement il y a quelques années, ce qui m’a apporté un capital. J’ai décidé d’en investir une partie dans mon projet professionnel. Cela m’a financé ma formation, et j’en espère un retour sur investissement rapide. La mission en entreprise est rémunérée, mais c’est sûr que je suis nettement moins payée que lorsque j’étais en poste.

La demande de disponibilité a-t-elle devancé ou précédé votre admission en formation ?

Pour pouvoir réaliser ma formation, initialement il fallait que je passe des tests de culture générale et des tests d’anglais, au mois de juin. Or, la demande de disponibilité doit s’effectuer en février-mars pour la rentrée suivante. Grâce au directeur de la formation que j’avais retenue à l’Institut Supérieur de Commerce, j’ai pu réaliser les tests d’admission en anticipé en janvier, afin de pouvoir gérer ma demande de disponibilité ensuite. La conseillère mobilité qui me suivait a été très présente et réactive ; nous nous sommes rencontrées deux fois et avons échangés près de 15 fois par téléphone.

Que pensent les recruteurs du privé des enseignants ?

Une partie se moque d’eux, en raison de leur réputation d’absentéisme, ou des mots d’ordre de grève auxquels ils participent souvent, et ils ont le sentiment que les profs ne font que ça puisque c’est très médiatisé. Cette image pénalise donc tous les profs, et en particulier ceux qui souhaitent changer de métier.

D’autres ont un regard admiratif et disent « bravo ! », « très bien ! », « génial ! » pour nous encourager.

Quand j’ai fait mes recherches d’emploi, j’ai envoyé beaucoup de demandes et j’ai reçu peu de réponses.

Quels conseils pouvez-vous donner aux enseignants qui souhaitent quitter leur métier ?

Ce qui est très important, c’est de chercher à construire un parcours dans la durée, et surtout de ne pas se présenter comme un « prof qui en a marre », car là c’est l’échec assuré.

Il est très important de bien faire le point sur soi-même : qu’est-ce que j’aime ? Pourquoi changer ? Personnellement, j’ai pris 2 ans de réflexion et d’étude des diverses possibilités avant la mise en œuvre de mon projet.

Si on est dans un ras-le-bol, c’est que l’envie de changement est trop tardive, il ne faut vraiment pas attendre cette extrémité car elle peut freiner le projet.

Pour ma part, j’ai ressenti des signes avant-coureurs de cette envie de changement : quand j’ai eu mon premier enfant, je revenais épuisée chez moi le soir, après m’être tant donnée pour les enfants des autres, et je n’avais plus de patience pour le mien. Je voulais vivre autre chose avec mon fils. Quand les élèves finissaient par m’énerver en classe, cela me faisait beaucoup réfléchir : finalement la cause de cet énervement n’était peut-être pas nécessairement les élèves, mais peut-être simplement un début de saturation que je ressentais. Je n’y trouvais plus mon compte, j’oscillais alors entre des périodes de satisfaction et des périodes de ras-le-bol, sans déprime. C’était cyclique, mais cela ne me plaisait pas du tout.

Quel a été le regard de vos collègues quand ils ont su que vous partiez ?

En règle générale, les trentenaires de 5 à 6 ans d’expérience m’ont dit « oui, vas-y, génial, c’est super… », j’ai eu de leur part du soutien, de l’espoir de me voir réussir, des encouragements.

Une partie des profs qui avaient la quarantaine m’ont dit « de toute façon, laisse tomber, tu n’y arriveras pas ». D’autres m’ont dit « vas-y » mais avec un peu de scepticisme, comme si j’allais échouer. Heureusement, mes collègues quadra les plus proches m’ont soutenue dans mon projet.

D’autres encore m’ont dit « oh là là, tu es courageuse, moi je ne pourrais pas… »

Enfin, il y a aussi eu ceux qui m’ont dit « oh là là, avec la crise économique, t’es vraiment sûre de toi ? ».

J’ai également été encouragée dans mon projet par mon compagnon, qui m’a dit « tu n’as rien à perdre : au pire, cela t’aura fait une bouffée d’oxygène ». Il est essentiel de partir quand on est bien dans sa peau et dans sa vie personnelle, en ayant bien vécu et aimé son métier de prof. Si on ne se lance pas au moment où l’on en a envie, on sera rongé par les regrets, et c’est là que les petites déprimes peuvent se muer en grande dépression.

Il faut vraiment entrer dans une logique de progression, car un prof a maintenant Bac+5, et il est légitime pour lui d’aspirer à une évolution professionnelle au cours de sa carrière.

Conseilleriez-vous ce métier à un étudiant ?

Prof, c’est un super métier, humainement et professionnellement parlant. On y apprend des choses extraordinaires au contact de ses élèves. Ce qui manque, c’est la possibilité de pouvoir en partir et y revenir. Quand on part voir ailleurs, on revient avec un regard neuf, différent, on se sent moins dans un microcosme, on apprend à s’adapter autrement. Cela me semble fondamental pour attirer les jeunes vers le métier de prof que de leur permettre de réaliser tout au long de l’année la mobilité de leur choix.

On n’est plus dans l’engagement à vie dans ce métier pendant 40 ans, cela fait très peur aux jeunes d’aujourd’hui.

Je n’hésiterais pas à conseiller le métier à un étudiant, tout en lui suggérant de réfléchir à acquérir tout au long de ses années d’enseignement de nouvelles compétences, qu’il pourra réinvestir si le besoin de changement se faisait sentir après quelques années. On arrive tous à une saturation, la « base de feu sacré » se consume vite… Et il est sain d’aller voir ailleurs, quitte à revenir ensuite, éventuellement.

Que conseilleriez-vous à l’Education Nationale en matière de mobilité ?

De favoriser la liberté de mouvement, avec une mobilité possible tout au long de l’année, car un cadre A, comme l’est l’enseignant, a besoin d’évoluer, et pas seulement au 1er septembre de chaque année. Il faut en finir avec ce blocage institutionnel, qui oblige à demander très tôt dans l’année sa disponibilité. Le système de mobilité est en total décalage avec le système de recrutement dans le privé, et c’est une vraie barrière à toute progression professionnelle, à toute évolution.



Interview de Valérie Humbert, professeure des écoles reconvertie dans l'aide à la personne comme assistante familiale

Interview réalisée par Alexandra Mazzilli, de l’association Aide aux Profs

Valérie, 44 ans, actuellement assistante familiale pour le Conseil Général du Var, a été professeure des écoles pendant 18 ans. Sa reconversion achevée depuis peu malgré une formation continue sur deux ans qui se poursuit, elle nous confie le plaisir qu’elle rencontre actuellement en continuant de travailler avec des enfants mais de façon totalement différente. De nouveaux projets, un nouveau regard, de nouveau défi, de belles réussites en perspective !

Depuis la fin de vos études, quel a été votre parcours de carrière dans l’Education Nationale ?

J’ai suivi des études post-bac de SVT (Sciences et Vie de la Terre) et j’ai obtenu une licence de géologie. J’aimais la recherche et j’ai toujours gardé ce goût pour la recherche jusque dans mes classes en primaire. J’étais partie pour faire une maîtrise lorsque j'ai eu mon premier enfant. Et je n'ai pas obtenu mon diplôme ; cela s’est passé au moment où les IUFM ont été créés et ouverts aux étudiants après une licence. Le métier d’enseignant m’avait toujours attiré mais je voulais faire des études et je ne m’étais jamais posée la question de l’exercer auparavant. J’ai présenté le concours en candidat libre, je ne l’ai pas eu. Du coup, je l’ai préparé par le CNED l’année d’après, je l’ai réussi et j’ai fait ma deuxième année d’IUFM à Draguignan. J’ai eu un poste à la Seyne-sur-Mer – un regroupement de trois classes mais je n’ai pas regretté même si c’était assez difficile, car c’était formateur. L’année d’après, j’ai obtenu au mouvement un poste à titre définitif en ZEP à la Seyne-sur-Mer : j’y suis alors restée 16 ans. Ça m’a plu, j’y serais bien restée encore un peu, j’envisageais de rester enseignante encore une dizaine d’années, mais je savais qu’à un moment donné, il aurait fallu que je me reconvertisse pour faire autre chose.

Quel est le déclic qui vous a fait quitter les élèves ?

Ce qui a déclenché mon départ, c’est que ma fille a travaillé en foyer, m’a parlé de ses expériences et j’ai eu un véritable coup de cœur… Pour moi, ça a été comme une évidence, une révélation : rester avec les enfants, continuer de travailler avec eux en prenant le temps et en faisant les choses d’une autre manière. En effet, en classe, on court après le temps en permanence et c’est frustrant. Il y a trop de choses à faire. Les deux dernières années m'ont demandé beaucoup de travail : j'ai changé de méthode de lecture puis de niveau l'année suivante, c’était chaque année un réinvestissement important de ma part… J’avais le sentiment qu’on ne nous faisait pas assez confiance. On doit tout changer régulièrement dans nos pratiques car les programmes changent, les méthodes changentOn doit constamment se réadapter. Certaines demandes hiérarchiques sont infantilisantes, on remplit des fiches pour prouver qu’on fait bien notre travail ! Du coup, le temps que l'on y consacre empiète sur celui dont nos élèves pourraient profiter… Tout va trop vite et il est plus difficile de donner aux enfants le goût de l’effort, le goût de chercher, afin de trouver du plaisir dans l’effort et la réussite. Surtout que l'on nous demande de plus en plus d'évaluer les élèves. On a le sentiment de devoir être bon partout. Cependant lorsque l'on assiste aux animations pédagogiques, on a l’impression que l’on ne fait rien de bien et qu’on n’est jamais à la hauteur. Malgré tout, je suis partie à un moment où j’étais encore heureuse d’enseigner.

Comment s’est passée votre reconversion et en quoi consiste-t-elle exactement ? Avez-vous eu besoin de suivre une nouvelle formation pour accompagner votre reconversion  et comment s’est effectuée la prise en charge financière de cette formation ?

L’année dernière, j’ai fait une journée d’information à Draguignan sur le métier d’assistante familiale pour être sûre que c’est ce que je voulais faire. J’ai ensuite fait une demande d'agrément. En même temps que les démarches pour obtenir l’agrément (il y a beaucoup de rendez-vous), je continuais à faire classe, puis j’ai demandé ma disponibilité, je dois la renouveler tous les ans. Si je veux réintégrer mon poste un jour, il me suffit de refaire une demande. J’avais téléphoné avant et je m’étais bien renseignée. Je n’ai pas eu de difficultés à obtenir ma disponibilité (j’en ai demandé une pour le motif de convenance personnelle). Elle a été acceptée très facilement, mais si elle avait été refusée, j’aurais démissionné.

Aujourd’hui, j’accueille au sein de ma famille un petit garçon qui avait deux ans au moment de son placement, il y a quatre mois. Pour ce faire, j’ai dû d’abord obtenir mon agrément, la demande d’agrément se fait auprès du Président du Conseil Général du Var (service du placement familial). Le service nous contacte, suite à cela, on est convoqué à une première réunion d’informations, durant laquelle on nous remet un dossier à remplir, puis les démarches pour l’agrément commencent, elles durent environ quatre mois. Pour obtenir un agrément, il y a plusieurs conditions : avoir une chambre disponible, réussir l’enquête de moralité et les entretiens (avec une éducatrice, une assistante sociale, une psychologue, une puéricultrice,…). Ces entretiens concernent les motivations de la personne qui accueille mais aussi de la famille et de toutes les personnes qui vivent sous le même toit. Je réalisais ces entretiens le mercredi, et en plus de l’agrément, il faut suivre une première session de formation de 60 heures obligatoire pour pouvoir recevoir un enfant, formation réalisée par le Conseil Général du Var. J’ai fait le choix de garder mes élèves pendant les démarches pour l’agrément et de faire la formation de 60 heures à la rentrée suivante, en octobre, suite à ma disposition, j’ai donc eu une perte de salaire de septembre à décembre 2012 (j’ai accueilli cet enfant à partir de fin novembre mais le salaire n’est versé qu’un mois après). Notre contrat est ensuite signé avec le Conseil Général du Var. Ensuite, l’agrément est valable pendant cinq ans, et dans les deux premières années, il faut effectuer une seconde formation obligatoire de 240 heures à l’IFTS (Institut de Formation des Travailleurs Sociaux). Là encore, c’est le Conseil Général qui organise les sessions. C’est également le Conseil Général qui finance ces formations obligatoires.

Dans cette reconversion, il y a des avantages indéniables : même si c’est vrai que l’enfant accueilli peut nous solliciter 24 heures sur 24, ce métier est pour moi une véritable bulle d’air. Je n’ai plus du tout de pression. Au cours de ma journée, je m’organise comme je le souhaite. Aucune journée n’est pareille, chaque jour, je choisis mes activités avec cet enfant et nous en profitons tous les deux.

Quelles compétences acquises dans l’enseignement vous paraissent transférables dans l’exercice de ce nouveau métier ?

Avec l’expérience des enfants difficiles, rencontrés dans différentes classes, finalement on connait mieux le type d’enfants qu’on peut être amené à recevoir. Ce métier m’a permis de développer ma connaissance des enfants, de leur développement et de leurs réactions. Cela fait qu’on ne se bloque pas lorsqu’on doit accueillir un enfant. C’est très rassurant, d’autant plus que nous savons déjà trouver des solutions en classe. Mon mari était plus inquiet : comment vont être ces enfants, comment je vais les supporter ? se demandait-il. Sinon, l’enseignement m’a permis de développer mes capacités de concertation, de travail en équipe (nous avons des réunions avec les professionnels pour le suivi des enfants accueillis, elles s’apparentent vraiment aux équipes éducatives que nous faisons à l’école, avec l’observation et l’état des lieux des difficultés, la recherche commune de solutions, le suivi, le bilan et l’évaluation de ces solutions…). L’enseignement m’a également appris à me remettre en cause, à être souple : les gamins nous interpellent, nous déstabilisent… Enfin, le fait de venir du milieu scolaire me donne envie d’en savoir plus, je continue à me former et à m’auto-former pour le développement de l’enfant. Et cela me donne envie d’aller de l’avant avec cet enfant que j’accueille, je mets en place avec lui la même dynamique de projets qu’avec mes élèves.

Que vous a procuré le métier d’enseignant ? Avez-vous des regrets du métier d’enseignant ?

J'ai eu beaucoup de plaisir à mener divers projets pédagogiques qui étaient les moteurs de l'année scolaire, tels que les classes vertes, les sorties sur l’environnement et le patrimoine, les rencontres avec des auteurs en partenariat avec la bibliothèque, le jardinage. Eveiller les élèves de ZEP, les sortir de l’école, les rendre curieux, leur montrer qu’autour d'eux, il y a aussi de belles choses… Ceci dit, j’essaie de le faire quand même avec le petit que j'accueille, il est notamment très ouvert au niveau sensoriel. Je n’ai pas vraiment de regret surtout quand je vois l'évolution de l'école en général. Mais je continue à garder des liens avec l'école et je compte m'y investir quand l'enfant que je garde sera scolarisé.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans cette reconversion ?

Au début, ce sont surtout des difficultés financières que j’ai connues : ma disponibilité commençait en septembre, j’étais en formation, je n’ai pas eu de salaire en septembre et en octobre, peu en novembre car il y a un décalage d'un mois dans les paies (j’ai commencé à accueillir cet enfant fin novembre). Avant d'avoir un enfant à charge, le salaire est d'environs 400 euros par mois. Quand on accueille un enfant, on reçoit un salaire, la période difficile est la période de transition entre deux enfants, où il se passe quelques semaines pendant lesquelles on fait un bilan et redéfinit éventuellement nos projets d’accueil.  Si nous ne réussissons pas le DE (Diplôme d’État) à la fin des 240 heures de formation obligatoires, nous restons contractuelles, le renouvellement d’agrément se fait tous les cinq ans, ce renouvellement disparaît en cas de réussite au diplôme.

Sinon, j’ai un contrat d’accueil. C’est à nous de gérer l’enfant et ce sont souvent des enfants très en demande qu’on reçoit. On peut éventuellement le confier à nos proches (parents, conjoint) mais occasionnellement, car c'est mon choix, je ne souhaite pas l'imposer aux autres, déjà que son arrivée peut perturber le reste de la famille. Ça reste une démarche très personnelle. Certaines personnes de mon entourage étaient réticentes, ça ne s’est pas fait facilement ! Donc, c’est du 24 heures sur 24. On ne peut pas dire « je prends une demi-journée pour moi ». Il faut être disponible et à l’écoute en permanence. Qui plus est, il faut l’accompagner à ses rendez-vous et être donc très mobile. Par ailleurs, l’enfant que j’accueille fait de grosses colères en ce moment et peut avoir des réactions qui me décontenancent. Pourtant, je dois être patiente et accepter que cet enfant ait un tel comportement. Enfin, il faut gérer l'attachement affectif avec l'enfant car il est amené à quitter sa famille d’accueil au bout de quelques mois ou de quelques années pour être rendu à sa propre famille.

Connaissez-vous l’association Aide aux profs ? Aurait-elle été utile pour vous aider dans votre entreprise de reconversion professionnelle ? Que pensez-vous de son action ?

Je ne connaissais pas du tout. C’est très difficile quand on veut partir de trouver des renseignements. Je savais au moins que je voulais partir et pour faire quoi mais ce n’est pas simple de savoir comment. J’aurais bien aimé connaître l’association avant. C’est dommage, on ne reçoit rien dans les écoles, pas de communication de l’association, pas d’infos dans la salle des profs… Ça pourrait aider beaucoup de personnes !


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Par fjarraud , le samedi 30 mars 2013.

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