Entretiens d'Auxerre : "Nos enfants", vraiment ? 

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Du 8 au 10 novembre 2007, la sixième édition des entretiens d’Auxerre, organisés par le Cercle Condorcet et la Ligue de l’Enseignement de l’Yonne sous la direction scientifique de Michel Vieworka, directeur d’études à l’EHESS, a une nouvelle fois réussi à rassembler un plateau éclectique d’intervenants pour traiter d’une question de société. Cette année, « Nos enfants » était la thématique retenue, en prenant le pari de ne pas traiter directement le champ de l’école. Impossible de rendre compte du kaléidoscope, de François de Singly interrogeant justement ce « nos », à l’ex-défenseure des enfants Claire Brisset, de la psychiatre Viletta Stan auscultant la mémoire des enfants de Timisoara au très médiatique Bernard Defrance exposant son articulation entre le Savoir et la Loi. 


WievorkaDe cette richesse, nous extrayons trois conférences, qui illustrent le propos conclusif de Michel Wievorka : «Histoire, droit, sociologie, littérature… Pendant trois jours nous avons pu étayer concrètement l’idée que les pouvoirs publics ne doivent pas avoir peur de la jeunesse et de ses nouvelles pratiques sociales. Il ne faut pas être pessimiste ni pour l’éducation de nos enfants, ni sur leur capacité à changer le monde. Nous nous refusons aux stéréotypes et aux idées simples. Les jeunes ont besoin qu’on les aide à grandir, assumons nos responsabilités ».Le site du Cercle Condorcet d'Auxerre



Medias et représentations : les pubs nous permettent de lire l’idéologie de la société.

C’est d’un anthropologue plutôt spécialiste des rapports entre la mode et les femme qu’est venu une contribution remarquée. Bruno Remaury (Le Beau Sexe faible, Grasset/Le Monde, Paris, 2000) cherche en effet à décortiquer comment la mise en scène de l’enfant dans les média permet de décoder l’idéologie dominante. Pourtant, historiquement, ce recours à l’enfance est récent : avant le XVIIe, l’enfant est la figure la plus négative de l’état de l’homme. Mais progressivement, la société passe de l’humanitaire au commercial, et la communication fait passer de l’enfant-image à l’enfant prétexte.

L’enfant-héros : de l’endant réel à l’enfant médiateur.
Si on recherche dans les figures symboliques issues de la littérature, Oliver Twist est un personnage en devenir, soumis, qui cherche l’aide de l’adulte pour s’insérer dans le monde. Cosette ou Tom Sawyer sont d’autres figures archétypales d’enfant confronté au monde de l’adulte, cherchant l’appui de l’adulte médiateur. Avec Gavroche, on passe à un personnage « abouti », qui se déplie dans un monde imaginaire, qui renverse le rapport de domination. Alice ou Peter Pan, Le Petit Prince ou Harry Potter incarnent ces personnages qui servent de guides pour découvrir leur univers. Le monde adulte est présenté comme faux, sévère. Il sert de repoussoir. L’enfant est attirant, original, surprenant, et parle comme un adulte. Son univers est hors du temps, immuable, à la fois inattendu et parfaitement réglé. Et surtout, son lieu est difficile à quitter, même si on le souhaite, comme Dorothée chez le magicien d’Oz ou Harry Potter à Poudlard…

La publicité reprend désormais ces codes pour nous toucher : dans la publicité Fleury-Michon, les enfants parlent comme des adultes : « nous les femmes » ou « nous les hommes »… Lactel fait de même avec la « bouteille de lait » : l’enfant tient un rôle d’adulte, l’enfant renvoie son désir d’enfance à l’adulte…

La confusion des âges, c’est la logique fusionnelle : en retrouvant l’enfant qui dort en nous, on reste jeune… Mikado fait jouer le cadre dynamique à StarWars en pleine réunion, Evian fait chanter des tubes à des adultes aux voix d’enfants. Et le « vilain adulte » coincé dans l’ascenseur, c’est celui qui ne comprend pas les enfants.


La Paidia, l’autre figure de l’enfance.

On pourrait parler du « puer », coincé entre l’infans et l’adulescent. Pour Houhellebecq, l’adolescence est le seul véritable « âge  de la vie », le stade culminant de la vie. Cette figure de l’enfant négatif, destructeur, s’incarne dans la pub Nike où des adolescents (les footballeurs experts) défient l’ordre établi des gardes masqués anonymes, dans un lieu clos absurde, mécanique et réglé. Ces lieux véhiculent tous une vision très manichéenne du bien et du mal, symptôme d’une relation à l’enfance ambiguë. Mickel Jackson est l’incarnation parfaite de ce phénomène : à la fois enfant et image du mal dans ses clips, comme une médaille à deux faces.

On est dans un système entre régression et fusion, qui retourne sans arrêt le rôle et l’identité du jeune et de l’adulte, entre la transgression et l’ordre, entre règle et jeu… « suprends moi » « sois le professeur » « reste jeune » « suivez votre étoile » proclame la pub Mercedes…
Toute une idéologie contemporaine… Loin des rêves libertaires où il tenait lieu de garantie de réalisation de soi, le jeu infantile est il le meilleur moyen qu’ont trouvé les idéologues libéraux pour faire passer le citoyen au consommateur ? B. Remaury n’est pas loin de le penser.



Serge Tisseron, l’Enfant et les Médias, la violence des images…

tisseronS’il est une idée dont Serge Tisseron voudrait que son auditeur se départisse, c’est bien celle d’une catégorisation du monde trop manichéenne. Interrogé par la salle sur la difficulté pour les psys de tous genre de « tenir la digue » contre la tempête médiatique, il est catégorique : « de tous temps, les médecins et les lettrés n’ont jamais tous été du côté de la vertu, du progrès ou de la morale. S’il y a aujourd’hui une digue à tenir, c’est sur les citoyens qu’il faut s’appuyer ».

Point de généralités, donc, dans le discours du psy. Et à chaque question, une réponse qui tire vers le « ça dépend »… Pas forcément confortable, mais peut-être plus rassurant, à long terme…


« On peut difficilement parler du rapport au média des enfants sans faire des catégories, par exemple d’âge . Images violentes, violences des images, ne confondons pas. Si les dix premières minutes d’ « Il faut sauver le soldat Ryan » sont aujourd’hui jugées violentes par la plupart des personnes, au contraire certaines images font violence à certains, mais pas forcément à d’autres. Par exemple lorsqu’elles renforcent notre sentiment de frustration, ou qu’elles suscitent de la confusion sans qu’on sache exactement pourquoi. Les docu-fictions ou les télé-réalités, par leur mise en situation, leur montage, leurs bruitages, malmènent certains publics. Et pour savoir ce qui fait violence à un enfant, c’est très difficile."


Pourquoi cherche-t-on des images violentes ? « Il arrive que certains grands enfants aillent chercher des images violentes simplement parce qu’ils en avaient vu fortuitement dans leur petite enfance, cherchant ainsi à maîtriser leur peur. De même, lorsqu’on a l’impression d’être victime de violence sans pouvoir le dire, on va chercher un dérivatif dans la vision d’un film horrible. Enfin, ce peut être aussi le moyen de figurer des angoisses qui nous habitent. Comme les adultes, les enfants peuvent être tentés de rencontrer ces images violentes, et il n’y a pas forcément à redire. Le problème, c’est quand la rencontre n’est pas souhaitée…"

Chez les préados et ados, les enfants qui deviennent plus violents sont surtout ceux qui ont un monde intérieur marqué par la violence dans leur histoire personnelle (maltraitance, recompositions familiales difficiles…). Les images violentes les rassurent : si cette violence existe, alors ils ne sont pas des monstres, puisque le monde leur ressemble. Evidemment, le corollaire est que ces adolescents vont utiliser la violence pour régler leurs problèmes quotidiens…
D’autres enfants, de profil plus victimaire, sont renforcés dans leur inquiétude par les images violentes. Ils se sentent encore plus menacés d’être agressés.

Enfin, et paradoxalement, un troisième groupe d’enfants réagit au contraire par des conduites de solidarité, de redresseurs de tort ou de Zorro.
Du coup la violence des images subies peut être un déclencheur positif, pour peu qu’elle soit explicitée, parlée. On ne peut pas demander aux médias de nous montrer moins de violence : le monde en est plein. Par contre, il ne faut pas renoncer à en faire des supports d’échange et d’éducation.


Et les tout-petits ?
Chez les 2/5 ans, la réaction est très différente. Très vite, les enfants sont saturés devant le rythme trépidant du programme. L’enfant cherche à ne pas se noyer en s’identifiant à celui qui lui semble le plus proche : la victime, l’agresseur… Donc, le programme va avoir tendance à renforcer son identification précoce, à l’inverse du jeu « ordinaire » dans lequel l’enfant faisait se battre deux personnages, mais en s’identifiant tantôt à sa main droite, tantôt à sa main gauche, tantôt au héros, tantôt au méchant.... La télé renforce donc certains enkistements : dès la maternelle, l’enfant prend un rôle.

Il faut donc un « plan B » des maternelles : il faut organiser des jeux de rôles, autour des images que les enfants ont vu le matin avant de venir à l’école, et les faire changer de rôle, de façon à renforcer leur souplesse identificatoire. J’espère obtenir que cette recherche trouve des suites dans l’éducation nationale.
Parce que chez les bébés, on sait actuellement peu de choses. "J’ai lancé une pétition contre le développement précoce des chaines de télé pour bébés car il me semble urgent de ne pas se laisser développer quelque chose qui pourrait devenir très grave sans en avoir aucun contrôle."

La pétition de S. Tisseron contre les chaînes de télé pour bébés

Le blog de S. Tisseron




Le juge, les Maliens et le Président…
Assumant résolument un propos « engagé », Jean-Pierre Rosenczveig (Président du tribunal pour enfants de Bobigny - Président de DEI France) se demande en préambule s’il ne faudrait pas abaisser l’age de la majorité à 4 ans pour faire baisser résolument la délinquance juvenile. Il fait évidemment référence aux discours sécuritaires qui se développent dans le pays contre la « délinquance juvénile ».
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« Les jeunes de ce pays se révoltent peu, par rapport aux raisons qu’ils pourraient avoir de le faire… Le programme répressif du gouvernement lui-même ne prévoit que moins de 1000 places de prisons pour jeunes, ce qui est évidemment un pourcentage infîme de la jeunesse
». Mais Jean-Pierre Rosenczveig ne veut pas masquer la réalité : si une partie de la société vit difficilement, dans tous les sens du terme, ce ne peut être une justification aux agressions qui ne peuvent être qu’intolérables, ni rendre anodin le fait que la part de la délinquance des jeunes soit en augmentation. Une société ne peut tolérer qu’un regard de travers se traduise par un coup de couteau. « Si on ne peut pas « laisser faire » ces jeunes qui passent à l’acte parfois sur le chemin de l’école, on doit aussi mesurer qu’elle est plus visible que les exactions en col blanc des fonds cachés du MEDEF. Mais je ne vous tiendrai pas le discours sur les jeunes « victimes » du chômage ou de la société ». Le juge n’hésite donc pas à assumer que la « baffe » éducative ou judiciaire puisse se justifier, si elle est modérée et pondérée. Mais elle ne saurait suffire à restaurer l’ordre social, ni éviter que ceux qui ne posent pas encore problèmes les posent dans quelques années…


Il s’agit donc de développer des stratégies de prévention des difficultés sociales, « pas seulement de hausser la digue de la répression sans s’attaquer aux vagues ». Il revendique donc des politiques sociales dignes de ce nom pour chercher les moyens de protéger la société à long terme.


« Aujourd’hui, on met en cause le laxisme des juges, qui serait la cause de la récidive. On fonctionne aux idées reçues, alors même que les chiffres du ministère de la justice montrent que les peines sont utilisées pour environ un cas de jeune délinquant sur deux alors que la loi précise qu’elles ne doivent être qu’exceptionnelles. On remet beaucoup en cause le texte de 1945, qui a été pourtant modifié plusieurs dizaines de fois par la classe politique et les élus… N’est-ce pas le signe que la classe politique est en difficulté, coincée entre son discours public réactionnaire et ce qu’ils savent être la réalité : on ne peut punir les jeunes comme des majeurs, sauf à considérer qu’ils devraient aussi avoir le droit de vote… Il faut punir les jeunes, mais les punir comme des enfants ».


Une autorité qui rassure ?
Il faut donc une autorité ferme, mais qui rassure et donne des perspectives. Normalement, c’est exactement ce que font les parents. Pour JPR, les parents sont démissionnaires ; la plupart sont dépassés par les événements parce qu’ils n’arrivent déjà pas à régler leurs propres problèmes. « Un enfant sur deux nait sans père légal, avec des références parentales floues, une intrusion des beaux-parents ou des grands-parents, et des prétentions au pouvoir des travailleurs sociaux ou des enseignants.... La première difficulté du juge est de savoir qui a légitimité pour exercer l’autorité parentale.  Rien d’étonnant à ce que les enfants soient dans la toute-puissance, s’ils n’ont pas été assurés, protégés ».
Il faut donc aider les parents en situation difficile, et les réseaux d’aide à la parentalité sont à développer. Mais les parents isolés en sont loin.

Ne pas confondre les rôles
L’ordre pour l’ordre, à l’égard des parents ou à l’égard des jeunes, n’est pas la solution. Les démarches erratiques d’un maire ou d’un conseiller général marchent sur la tête, lorsqu’elles mettent en place des stages de « responsabilité parentale » d’une semaine…
« Comme nous n’avons pas de débat « objectif » (hors campagne électorale) serein sur la question, on en arrive à des attitudes d’anathème, de suspicion, de confusion : on ne sait plus qui fait quoi, quand le maire est à la fois législateur, policier et juge. Si ça explose, où sera sa fonction de médiateur que le maire pouvait jusqu’ici porter ? Comme on doute de tout, il faut trouver un chef : « Il faut enfin en finir avec Mai 68 ».

Les droits de l’Homme, à l’origine des difficultés ?
Au contraire, plus les personnes et les groupes seront convaincus qu’ils sont reconnus comme ce qu’ils sont, plus ils auront le sentiment d’être, plus ils respecteront l’orde établi et la collectivité à la quelle ils appartiennent. Et non l’inverse, « quand vous reconnaîtrez la société, elle vous reconnaitra des droits… »

Le juge finit par un exemple saisissant, n’hésitant pas à un rapprochement étonnant : « Je vois arriver des Maliens dans mon bureau, qui déplorent que la société française reconnaisse les droits de leurs enfants, et les empêchent ainsi d’assumer ce qu’ils pensent être leur autorité… Je leur reponds que c’est justement pour cette raison qu’ils sont en France : parce que c’est le pays des droits de l’homme, mais aussi des droits de la femme ou des enfants…». Eux aussi doivent apprendre à respecter la loi pour les valeurs qui la sous-tendent, pas uniquement par peur du gendarme. Non pas comme une collection d’ interdits, mais comme des règles du jeu qui ont un sens. « L’autorité n’est pas ce qui permet de dominer, mais de protéger les plus faibles. C’est ce que j’explique aux Maliens comme à Sarkozy. »
Le site de l’Association pour la promotion de la citoyenneté des enfants et des jeunes
Par ppicard3 , le dimanche 11 novembre 2007.

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