"Il faut encore que le gouvernement démontre que cette nouvelle organisation puisse améliorer la situation à terme pour les élèves". Nathalie Mons 

Nathalie Mons, maître de conférences à Grenoble-II, chercheur associé à l’OSC-Sciences Po, spécialiste des comparaisons internationales des politiques éducatives [1], vient d’achever avec l’équipe d’Eurydice un rapport pour la Commission Européenne sur les responsabilités, l’autonomie et la formation continue des enseignants dans les pays européens. Ce rapport sera rendu public prochainement. Suite à l’annonce d’une réforme de la formation des enseignants, elle dresse le tableau des pratiques en la matière dans les pays européens.



Comment sont formés aujourd’hui les enseignants dans les pays européens ?


Dans la majorité des pays, ils sont formés dans l’enseignement supérieur, avec une formation qui peut être universitaire ou pas. Le modèle simultané est désormais prédominant. Cela signifie que majoritairement les enseignements académiques disciplinaires et la formation pédagogique professionnelle sont dispensés en même temps. Le modèle simultané, qui valorise davantage la formation professionnelle, tend à gagner du terrain depuis une vingtaine d’années. Mais la situation est quelque peu différente suivant le niveau d’enseignement. En France, nous avons un modèle de formation unifié, qui certainement se justifie, mais ce n’est pas le cas dans la majorité des pays. De façon générale, dans les autres pays européens, dans le primaire et le secondaire inférieur  -l’équivalent de notre collège -, c’est le modèle simultané qui domine largement. Ce sont des niveaux d’enseignement qui ont une culture professionnelle plus orientée vers la pédagogie. A ces niveaux, les formations durent en général entre trois et quatre ans. La formation professionnelle y est très présente (largement au-delà de 30% du temps total de formation). Dans le secondaire supérieur, historiquement plus orienté vers  la transmission de connaissances, les formations se font principalement à l’université pendant 5 ans et le modèle consécutif sans être dominant est très présent. La formation professionnelle y occupe aussi une place plus réduite, elle ne dépasse pas en général 30% de la formation.



Quelles sont alors les caractéristiques du modèle français ?

 

Pour résumer notre modèle de formation présente plusieurs caractéristiques. Tout d’abord, c’est un modèle consécutif, qui se distingue donc de ce qui se fait de plus en plus à l’étranger, dans le primaire et le secondaire inférieur et même dans le secondaire supérieur. Depuis les années 1970, la massification de l’enseignement dans le secondaire, la création des écoles uniques ont questionné les méthodes pédagogiques traditionnelles et obligé à un renouvellement de la professionnalisation des enseignants. Ceci s’est traduit par le développement du modèle simultané, qui est davantage porteur de formation professionnelle. On constate en effet une association forte entre ce modèle et une part importante du temps d’enseignement consacré à la formation professionnelle. Ceci nous conduit à la seconde caractéristique français : notre système, malgré la présence de l’enseignement dispensé par les IUFM est encore marqué par une très faible part d’enseignement consacrée à la formation professionnelle. Nous sommes vraiment dans le peloton de queue dans ce domaine. Enfin troisième caractéristique : avec 4/5 années de formation couplée entre université et IUFM, notre formation peut être considérée comme bien positionnée en termes de durée.



Que va apporter la réforme prévue actuellement ?


La réforme annoncée vise tout d’abord à allonger la durée de formation des futurs enseignants. Pour autant, il faut tenir compte du fait qu’une forte proportion des jeunes enseignants étaient déjà diplômés d’un diplôme supérieur à la licence et donc avec l’année supplémentaire d’IUFM avaient déjà poursuivi ces 5 années de formation, voire plus. Ainsi, d’après les Notes d’information de la DEPP, dans le secondaire, près de la moitié des femmes et un tiers des hommes ont déjà une maîtrise. Un enseignant sur 4, âgé de 34 à 43 ans, possède déjà un diplôme universitaire Bac + 5 et au-delà. Le niveau de diplôme est moins élevé dans le primaire : 16% des enseignants du primaire ont un diplôme au moins égal à la maîtrise. L’impact de l’allongement de la durée de la formation va donc être différencié suivant le niveau d’enseignement.


Mais plus que la durée de la formation, ce qui semble surtout évoluer avec cette réforme, c’est son contenu, son organisation, le modèle suivi ainsi que les acteurs qui seront en charge de la formation des enseignants.


Pour l’instant, ces différents points ne sont pas encore assez lisibles. On peut aller dans deux voies à partir de cette même réforme. S’oriente-t-on vers un modèle simultané, avec un vrai mixte entre un enseignement disciplinaire robuste et une formation professionnelle conséquente, ce qui légitimerait de lancer dans la vie active sans transition les futurs enseignants qui auraient reçu un amont une vraie formation professionnelle ?  Si c’est le cas, se posent alors deux questions : qui va assurer ces modules de formation pédagogique intégrés aux cursus disciplinaires et comment les futurs enseignants, sous statut étudiants, pourront-ils bénéficier d’une expérience professionnelle au sein des établissements scolaires ?



Quelle seconde orientation voyez-vous ?

 

A partir de cette même réforme, on peut également demeurer dans notre modèle classique consécutif, on allonge la formation académique non professionnelle et la formation professionnelle des enseignants prend la forme principalement de l’encadrement de leur tuteur durant la première année d’enseignement. Dans ce dernier cas, il s’agirait bien évidemment d’un recul important en termes de professionnalisation des enseignants. Les enseignants français sont déjà mal lotis en termes de formation professionnelle mais là la situation devrait vraiment critique.


Plus globalement je crois que l’enjeu sera demain dans le contenu des concours. C’est le contenu des épreuves – plutôt axé sur le disciplinaire ou incluant réellement des compétences pédagogiques – qui déterminera le contenu des enseignements de ces nouvelles formations. Si les concours exigent une formation pédagogique, les Master devront être ajustés dans ce sens-là. C’est donc sur ce point qu’il faudra être vigilant.



Pensez-vous que cette réforme puisse être efficace ?


Tout dépend du critère retenu. D’un point de vue de gestion des finances publiques, elle l’est puisque l’on ne rémunérera désormais que des enseignants actifs et non plus des enseignants en formation. Ces économies apparemment seront réinvesties au moins en partie dans une revalorisation des salaires des débutants.


D’un point de vue de marketing politique, cette réforme est aussi très efficace. Elle permet un effet d’annonce médiatique fort qui entraîne l’adhésion de l’opinion publique sur une thématique simple parce que quantitative : on va former plus longtemps les enseignants, donc implicitement on va mieux les former, ce qui montre que le gouvernement investit dans l’éducation. Ce sont des thèmes politiques porteurs. Du point de vue de la tactique politique, c’est également très efficace : l’annonce de cette réforme permet d’occuper l’espace médiatique à un moment où le gouvernement est chahuté sur la suppression des postes, elle entraîne de plus une désintégration du front des syndicats dont certains se sont positionnés contre par refus d’un démantèlement de la formation professionnelle tandis que d’autres entendaient principalement dans la réforme un message sur la revalorisation du statut enseignants.


Enfin, du point de vue de l’impact sur les apprentissages des élèves, qui doit tout de même être un des objectifs des politiques éducatives, le résultat ne me semble par contre pas acquis d’avance. La réforme risque de durcir les caractéristiques de l’organisation actuelle : à savoir une formation académique déjà longue et une formation professionnelle à portion congrue. Il faut encore que le gouvernement démontre que cette nouvelle organisation puisse améliorer la situation à terme pour les élèves. De tout de façon, ceci ne sera possible qu’en inculquant dans l’éducation nationale, au niveau de l’encadrement, une culture de formation continue qui complète cette formation initiale.



De quelle façon ?


Aujourd’hui dans la majorité des pays européens, la formation continue des enseignants est désormais une obligation. C’est-à-dire qu’en Angleterre, en Irlande, en Finlande, aux Pays-Bas.., les enseignants ne sont pas obligés de demander l’autorisation de partir en formation, c’est le contraire, ils sont obligés d’y aller. Et dans les autres pays, où la formation n’est pas encore obligatoire comme en Espagne, elle est désormais nécessaire pour pouvoir accéder à des promotions. Dans ce domaine, nous sommes en France plus qu’à la traîne. Nous parlons de formation tout au long de la vie, mais la profession qui est au cœur de la transmission des connaissances, qui est elle-même le vecteur de cet apprentissage tout au long de la vie, n’a pas facilement accès à la formation continue. C’est une situation ubuesque ! C’est potentiellement un levier très important de l’amélioration des performances des systèmes éducatifs. Quand on parle de formation, il faut penser globalement, c’est-à-dire en parallèle formation initiale et formation continue.


Nathalie Mons



Dernier ouvrage de Nathalie Mons :

Nathalie Mons, Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elles les bons choix ?, Paris, PUF, 2007, 202 pages.




[1] Elle est l’auteur notamment d’un ouvrage paru aux PUF l’hiver dernier : « Les Nouvelles politiques éducatives, la France fait-elle les bons choix ? »

Le dossier 2008 sur la formation
Par fgiroud , le mardi 03 juin 2008.

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