La communication de Patrick Joole 

Patrick Joole, professeur à l'IUFM de Versailles, propose : "Comprendre des histoires, histoires de comprendre. Qu'est-ce que raconter et lire des histoires à l'école maternelle ? »

 

Il fait un point sur les travaux récents portant à la fois sur ce qu'est un récit et sur la compréhension du jeune enfant pour permettre de répondre à la question posée en titre de son intervention. Il envisage ensuite des parcours didactiques prenant appui sur toutes sortes d'histoires, pas seulement celles présentes dans les albums littéraires. Apprendre et comprendre dès trois ans est en effet déterminant mais prend d'autres formes que dans le cycle 2 ou le cycle 3.

En petite section, on lit des histoires courtes, en moyenne section, elle sont plus étoffées et on bascule en grande section dans le récit, les enchaînements. Comprendre des histoires est à la fois une fin en soi et un moyen, une façon de parvenir à entrer dans les procédés littéraires employés par l'auteur.

 Il prend comme fil rouge un très bel album d'Elzbieta, paru en 1999 et réédité en 2008 aux éditions du Rouergue « Petite lune ».

L'histoire en est simple et se déroule sous forme d'une randonnée, structure répétitive courante dans les histoires ou les contes.

C’est l’heure d’aller se coucher. Mais Boubou n’est pas de cet avis ! Le petit lapin blanc fait la sourde oreille lorsque Nours l’appelle. Celui-ci ne pense qu’à aller se coucher, et il en va de même pour les moutons, les oiseaux, les kangourous… Boubou regarde  la lune. Mais lorsque le hibou se réveille et se met à hululer, Boubou prend peur et se dépêche de rentrer à la maison.

La cohérence de l'histoire est d'ordre topographique et non pas chronologique. Le déplacement de lieu en lieu est la structure de nombreux livres pour enfants.

Des recherches menées à Sherbrook (et à Montpellier également) ont montré les « habilités » des élèves. Vers 3 ans, ils savent reconnaître les personnages, dire ce qui se passe sur une image, pointer une action, décrire. Mais faire des liens entre les actions, reconnaître les liens de causalité est une capacité qui arrive plutôt vers 4 ans. C'est à partir de ces liens que plus tard, ils seront capables de faire des inférences dans des textes. Il est donc très important de travailler les liens de causalité plutôt que la chronologie. Quand on lit « Petite lune », le passage d'une page à l'autre est un rapport de causalité. C'est déterminant pour comprendre ce qui fait le déroulé de l'histoire et c'est fondamental pour la pratique à l'école maternelle. Il faut certes s'arrêter aux étapes mais voir aussi ce qu'il y a entre les deux images, se demander pourquoi l'histoire démarre, quelle cause a entraîné telle conséquence, elle-même cause d'une autre conséquence, relier les éléments de l'histoire avec ce point de vue.

Un autre acquis des recherches tout à fait récentes, c'est que le rapport de causalité est perceptible par de jeunes enfants par le personnage. Le lecteur va identifier les intentions du personnage, liés à ses émotions, dans lesquelles entre le lecteur. Les enfants vont associer rapidement le but à atteindre et les émotions liés à ce but. Comprendre les intentions du personnage est l'entrée pour travailler la causalité. Comme avec Barthes, « la mise en récit du monde » se fait en articulant le travail sur les personnages et l’enchaînement causal de l'histoire. Pour Joole, ce serait la priorité à travailler.

Il continue : « Revenons à notre histoire : Boubou n'a pas envie d'aller se coucher. C'est une explication implicite. Mais tout le monde a compris. Le hibou lui fait peur et Boubou se dépêche de renter. Le hibou est un animal nocturne, il se réveille quand les autres vont se coucher. Comment les élèves le perçoivent-ils les intentions de Boubou ? Dans l'image, les oreilles du lapin, de dressées, se couchent en arrière quand il rentre, pas besoin de mots, l'image parle d'elle-même. Le travail sur l'image est important aussi. Les intentions du personnage sont étroitement liées aux avancées de l'histoire. Il faut moins privilégier les activités de pointage des personnages que les rapports qu'ils entretiennent entre eux. »

 

 Joole cite un autre livre de chercheurs belges cette fois-ci, Terwane et Vanesse : « Le récit à l'école maternelle » aux éditions De Boeck, dans la collection Outils pour enseigner. Dans cet ouvrage, il est question de narration préalable, de raconter, mettre en scène, vivre des lectures partagées, reconstituer les histoires avec peluches, marottes ou marionnettes.

Mais ces histoires issues de l'univers quotidien de l'enfant sont-elles de la littérature ?

Il précise la définition d'un script. C'est un mot emprunté au Français langue étrangère (FLE) qui caractérise les histoires liées à la vie quotidienne, constituées de phrases verbales qui s’enchaînent, qui décrivent des actions minimales décrites par un verbe d'action, pour permettre à des personnes d'entrer dans une langue inconnue.

« Ces types de récits ne sont pas liés à l'imaginaire, on les a souvent rejetés mais il faut absolument en lire aux petits et les articuler immédiatement avec des histoires d'imagination. Il faut distinguer « Tchoupi va au lit » et l'album d'Elzbieta. On ne va pas du simple vers le complexe  (encore une fois, ce thème est repris par un intervenant), mais on utilise les 2 types de livres pour travailler la différence entre le script rattaché aux histoires du quotidien et le scénario, littéraire, lié à l'imaginaire. »

Avoir peur d'aller se coucher, c'est un scénario. On articule le script événementiel avec l'expérience vécue et avec le scénario sémantique. Comprendre consiste à identifier un scénario culturel dans la chaîne narrative et à l'associer à un script qui lui donnera sa signification.

Dans le département du Val d'Oise, un travail important a été mené avec 60 classes expérimentales et on trouve sur le site de la DSDEN 95 les scénarios didactiques mis en place. Joole s'étend un peu la-dessus, montre des photos, des tableaux, des déroulés de séances et de séquences...

 

 Les élèves vont articuler script et scénario par l'interprétation. Encore une fois, le livre « Ami-ami » de Rascal et Girel est utilisé par un chercheur. Un loup et un lapin cherchent tous les deux un ami, ils se rencontrent mais leurs intentions sont-elles identiques ? Le loup ment, il veut manger le lapin ? L’ambiguïté du personnage est entretenue par le texte et l'image jusqu'à la fin de l'histoire. Quand les 2 amis se serrent dans les bras l'un de l'autre, ce sont les larmes de joie du lapin ou bien les gouttes de salive du loup qui sont dessinées ?

Il faut donc comprendre et interpréter pour inférer et travailler tout cela dès le plus jeune âge car ces compétences ne vont pas de soi.

Joole fait référence aux travaux de Véronique Boiron et Amina Bensalah : « Construire une méthodologie interprétative des albums à l'école maternelle : analyse des modalités de compréhension dialoguée et d'élaboration conjointe d'interprétations »

Si on revient encore une fois à l'album « Petite lune », ici l'arrière plan culturel, c'est la lune. Elle fait partie de notre imaginaire, on n'est plus dans le script de base du quotidien mais dans les références culturelles. « Tous les jours, longtemps-longtemps après le matin, vient le soir. »  Boubou est trop occupé à observer la lune. Il en va ainsi tous les soirs. De son petit doigt, Boubou pointe la lune et la suit du regard dans le ciel. Mais tous les autres n’ont que faire de ce beau spectacle offert par la nature. Boubou est très déçu. Quand on sélectionne des albums pour enfants, il faut choisir les textes en faisant attention aux scripts ET aux scénarios.

 

En conclusion, et Joole est très ferme là-dessus : « Ce à quoi nous avons renoncé définitivement : on « n'exploite » pas un livre pour faire des maths, de l'art plastique et tout un tas d'autres activités. Quand on travaille l'aspect plastique, on ne confond pas avec la compréhension. Et quand on reconstitue une histoire avec des images séquentielles, on n'aide pas à la compréhension. »

 

A bon entendeur salut ! Et qui veut approfondir se procurera le dernier numéro du « Français aujourd'hui » qui donne les conclusions de ces recherches, que Patrick Joole a coordonnées avec Marie-France Bishop, chercheure à Lille 3.

 

Sur le site du Café

Par isabelle lardon , le lundi 04 février 2013.

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