Masterisation : quelle articulation master/concours de recrutement ? 

Dans cette intervention faite au CN technique du SNUIPP le 10 juin 2009, Jean-Louis Auduc fait le point sur le projet de décret sur la formation et sur ce qu'il faudrait faire pour une véritable professionnalisation de la formation.



Si je vais essentiellement aborder aujourd’hui les questions de l’articulation master/concours de recrutement, je veux dire d’entrée que ce problème n’est pas un problème technique, c’est une question pour laquelle les choix effectués conditionnent l’école de demain. Des enseignants formatés plutôt que formés, n’ayant pas connu de moments où développer une posture réflexive sur leur métier, ce sont des obstacles à la construction d’une école de la réussite pour tous.


C’est pourquoi, je suis convaincu que ce qui nous manque cruellement pour être en capacité aujourd’hui de réagir collectivement sur la question de la formation des maîtres de la maternelle au lycée, c’est de ne pas avoir élaboré collectivement un projet alternatif d’école qui serait une boussole pour réagir avec des propositions claires aux offensives libérales et rétrogrades que nous connaissons actuellement.   


La formation des maîtres, elle ne doit pas se concevoir exclusivement à partir du début du master, mais se construire tout au long du parcours post-baccalauréat de l’étudiant. Dans la perspective d’une politique de recrutement, il est essentiel de prendre en compte la diversité des publics se destinant au métier d’enseignant. C’est pourquoi il est important que les IUFM soient considérés comme des pôles ressources proposant dans le cadre de conventions des modules de préprofessionnalisation à l’intention des étudiants.


Un parcours de master en deux ans - tel qu’il existe actuellement – se caractérise par :

•    L’absence de sélection à l’entrée

•    Une première année (M1) assez « généraliste »

•    Une seconde année plus spécialisée (M2) (dans le cadre de parcours) avec souvent une sélection – quelquefois très forte à l’entrée.


Le parcours en M2 est donc essentiellement un parcours de validation des choix faits en fin de M1 avec une faible sélection à la sortie. L’orientation se jouant avant tout en fin de M1.


Or, lorsqu’on lit les projets de décrets pour la rentrée 2010 (concours 2011), on voit que :

- Il y a nécessité d’être inscrit en M2 ou titulaire du M2 pour s’inscrire au concours

- Pour être admis au concours, il faut être titulaire du M2. Un étudiant reçu au concours garde le bénéfice de son concours pendant un an.

- Le concours est ouvert à tout titulaire d’un M2.

Ce texte conduit à mettre en place le concours en M2.


Quels sont les risques d’un tel texte ?

N’est-ce pas un danger pour l’existence des concours de voir chaque année en fin de M2, 50 000  mastérisés  « Métier de professeur des écoles » pour 10000 recrutés par concours sans réorientation sérieuse possible, car il est difficile de mettre au cœur de l’année la préparation d’un concours et d’avoir des possibilités de réorientation.


Si, comme il se dit aussi, les épreuves d’admissibilité sont en début de M2 et les épreuves d’admission en fin de M2.


Le risque de prépas privées aux concours durant l’été est réel comme il est inévitable que soient mis en place des diplômes d’Université (DU) payants pour les redoublants.


Le ministère va à grands pas vers la « mastérisation ».

Pour le concours 2010, une circulaire du ministère de l’enseignement supérieur du 5 juin 2009 indique que :

-    Les reçus au concours seront titulaires du M1.

-    Pour les collés au concours, des commissions de validation seront installées dans les Universités ( avec nécessité d’une inscription pédagogique secondaire en plus de celle à l’IUFM);

 Ces commissions de validation travailleront « pour la validation partielle ou totale d’une première année de master ou l’équivalent en crédits ECTS » au cas par cas, selon des modalités définies par les Universités sur la base d’une évaluation de chaque parcours.

Rien n’est prévu pour les actuels candidats libres, uniquement titulaires de la licence.



Est-il possible de faire autrement dans le cadre de la masterisation ?

L’élévation du niveau de qualification des enseignants doit être un atout pour leur permettre de mieux faire réussir tous les élèves tout au long de leur scolarité.


Un master d’environ 450 heures par an « Métiers de l’enseignement. Professeurs des écoles » doit lier :

•    Formation disciplinaire ou pluridisciplinaire

•    Formation professionnelle

•    Parcours de recherche et rédaction de mémoires

•    Stages


En master 1, cette année doit permettre  d’approfondir la connaissance du métier de professeur des écoles dans toutes ses spécificités et de préparer les épreuves d’admissibilité du concours. Il est donc nécessaire de mettre en place :

-    Des stages de découverte de la réalité du travail de professeurs des écoles en élémentaire et en maternelle

-    La préparation des épreuves d’admissibilité et des certifications indispensables.


Ces épreuves d’admissibilité doivent avant tout s’appuyer sur les piliers « disciplinaires » du socle commun de connaissances et de compétences :

•    La maîtrise de la langue française

•    La pratique d’une langue vivante étrangère

•    Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique

•    La culture humaniste


On peut y ajouter l’obligation d’une certification concernant la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication (pilier 4 du socle commun)      .


La date de ces épreuves écrites d’admissibilité du concours de recrutement doit se situer à un moment qui permette d’en connaître les résultats  à la fin de cette année de M1 ; ainsi, l’année de M2 pourra donner à la professionnalisation en M2 toute la place nécessaire. Ne seront admis en M2 que les admissibles. Les étudiants ayant échoué aux épreuves d’admissibilité pourront redoubler ou se réorienter.


En master 2 : Cette année de master est ouverte aux reçus aux épreuves d’admissibilité du concours (autour de 150% des postes).

Elle est une année de formation professionnelle bâtie autour des éléments suivants :

-    Des stages en responsabilité obligatoires dans au moins deux niveaux d’enseignement (maternelle et élémentaire) suivis par un binôme de formateurs de la structure universitaire PIUFM/maître-formateur du terrain.

-    Un mémoire professionnel en relation avec le vécu des stages.


Les épreuves orales d’admission passées en  fin d’année pour être professionnalisantes doivent être fondées sur les compétences professionnelles travaillées durant les stages.



Quelques pistes de réflexions sur les contenus d’un tel master

  Les stages : Dans toute formation de Master, il y a des stages qui sont des périodes de formation sur le terrain en liaison avec la profession susceptible d’être exercée.

Ces stages de nature différente en M1( découverte, observation) et en M2 (responsabilité) doivent être préparés, accompagnés et suivis,évalués par des équipes réunissant des formateurs de l’IUFM et des formateurs du terrain.


Dans ces équipes, la présence et le rôle des maîtres formateurs est indispensable.


Formés, expérimentés, reconnus, les maîtres –formateurs peuvent permettre aux stagiaires de se construire une identité professionnelle qui s’appuie sur des savoirs, des savoir faire, des gestes professionnels Le maître-formateur peut permettre au futur enseignant d’être un acteur, un concepteur de projets d’école, de projets partenariaux et non un simple exécutant. Dans le cadre des dix compétences définies par le texte de décembre 2006 pour l’exercice du métier enseignant, les maîtres-formateurs exercent leur triple fonction formatrice d’accueil, d’accompagnement et de suivi   .   

Ils ont un rôle privilégié à jouer pour des compétences comme :

-    Concevoir et mettre en œuvre son enseignement

-    Organiser le travail de la classe

-    Prendre en compte la diversité des élèves

-    Evaluer les élèves

-    Travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école.


 La recherche : Un mémoire est réalisé pour la validation du M1. Il vise, par exemple, à permettre aux étudiants de prendre conscience des contextualisations de connaissance qu’impliquent les métiers de l’enseignement.

 Le mémoire réalisé pour le M2 est un travail de recherche, en liaison avec les stages, qui ouvre à la réflexion sur les pratiques et réalités du métier

La constitution par le biais d’un port folio d’un répertoire de matériaux professionnel au long du cursus peut faciliter le lien entre recherche et formation.


L’accès à des problématiques éducatives larges,  la possibilité de s’approprier les résultats de la recherche en éducation, doivent permettre aux étudiants de construire dans une démarche réflexive , l’alternance entre théorie et pratique, composantes universitaires, formateurs IUFM et terrains de stage, que requiert la professionnalisation des métiers de l’enseignement .


•    Construire sur les savoirs d’enseignement, des savoirs à enseigner : Toutes les disciplines nécessaires pour la polyvalence du maître, la préparation du concours et l’obtention du master sont présentes à la fois comme disciplines fondatrices des connaissances et compétences des étudiants et de disciplines à enseigner aux élèves. Il s’agit d’articuler maîtrise disciplinaire, exercice professionnel et approches pédagogiques.



Ce projet alternatif de master  et d’organisation du concours part d’une réalité reconnue par tous les acteurs du monde de l’éducation.

Il est impossible de mettre en œuvre durant l’année de M2 :

•    Une préparation solide aux épreuves d’admissibilité et d’admission

•    La rédaction d’un mémoire de recherche

•    Un stage en responsabilité de 4 semaines, préparé et donnant lieu après à des analyses de pratiques.


 A partir de ce constat, certains peuvent se dire qu’il faut laisser s’écrouler un tel dispositif et penser que le gouvernement sera obligé de placer le concours après l’année de M2.


Outre qu’un tel choix pose question par rapport à la possibilité pour des jeunes de milieux populaires de préparer le concours, il n’est pas sûr que la situation proposée par le ministère  débouche inévitablement sur ce constat, surtout si sa volonté est de fragiliser le concours, voire les masters, voire les deux…..


Il m’apparaît donc décisif de proposer pour les deux années post-licence des choix alternatifs sur le contenu débouchant sur un master et le maintien en fin de M1 d’un concours national de recrutement .


 Après la réussite au concours : Il faut une vraie année d’alternance, ce qui signifie que le service du stagiaire ne doit pas dépasser 50% en responsabilité

Cette première année post concours devra viser la construction d’une identité professionnelle à travers une véritable alternance permettant la prise en charge des élèves dans les différents cycles. Il faut permettre au futur enseignant de se construire une identité professionnelle qui s’appuie sur des connaissances, des capacités et des aptitudes professionnelles.

Celles-ci se construisent dans deux pôles :

•    A l’IUFM, pour approfondir la connaissance des programmes d’enseignement et développer une posture réflexive sur le métier

•    Dans des écoles pour prendre en compte les différentes composantes du métier.


Jean-Louis AUDUC

Directeur-adjoint IUFM de Créteil/Paris12

 


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Par fgiroud , le lundi 15 juin 2009.

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