Le Cned menacé du syndrome France Telecom 

Par François Jarraud


Mardi 30 novembre le personnel du Centre national d'enseignement à distance (CNED) était en grève. Le conseil d'administration prévu ce même jour n'a pu se tenir faute de quorum. Le personnel est inquiet sur son avenir et celui du Centre. Entre suppressions de postes et management commercial, le Cned est traversé d'une crise grave, "modernisation" pour les uns, "marchandisation" pour les autres.


Fleuron du système éducatif, le Cned a formé des centaines de milliers d'élèves, d'étudiants et d'adultes. C'est le premier établissement public d'enseignement à distance d'Europe. Il compte encore plus de 200 000 "usagers", pour les syndicats, ou clients, pour la direction, encadrés par près de 2 400 salariés parmi lesquels de nombreux enseignants dont l'état de santé impose qu'ils ne soient plus en classe. Mais les effectifs des uns et des autres sont à la baisse. Et le climat de l'établissement se dégrade.


Pour Elizabeth Labaye, de la Fsu, "on veut liquider le Cned pour marchandiser la formation à distance". Elle dénonce la fermeture de formations pas ou peu rentables. Parallèlement les tarifs augmentent alors que le Centre s'adresse souvent à des publics socialement fragiles (demandeurs d'emploi, prisonniers, étudiants etc.). La restructuration de l'entreprise s'accompagne de l'importation de méthodes de management venue du privé. "Plus question d'usagers, de cours, de formations, de professeurs et de pédagogie, mais de clients, de produits, de chefs de produits, d'unités d'affaire, de lignes de marché". Elle s'accompagne de suppressions de postes et de menaces sur les sites, le Cned entendant en fermer certains pour revendre les locaux. L'annonce d'un recentrage du Cned sur les TIC faite par Luc Chatel lors de l'annonce du plan numérique, le 26 novembre, a mis le feu aux poudres. "Le lien avec les élèves, le prof qui appelle au téléphone pour suivre l'élève, c'est important", estime E Labaye.


Interrogé par le Café, le recteur Leroy, qui dirige le Cned, juge la transformation du Cned inéluctable et nécessaire. "La nouvelle organisation a créé 8 directions intersites. Elle entraîne un nouveau management. Je comprends que ça crée de la perplexité dans le personnel et qu'il faille du rodage", nous dit-il. "Le Cned reste le premier opérateur européen, mais la concurrence est vive. On a mis l'accent sur la visibilité du Cned et sur la commercialisation. Cela je l'assume complètement". Face à la concurrence le Cned restructure ses activités. "Les formations qui disparaissent ont peu d'inscrits. Mais sur certaines activités qu'on est seul à proposer, par exemple le capes de langue des signes française, on est là. Cela représente une charge mais c'est dans notre mission de service public".


Une évolution EPIC. Les problèmes du Cned viennent de la modernisation du service public. Depuis 2009, le Cned est obligé de distinguer les activités qui relèvent du service public, comme les formations destinées aux élèves de l'enseignement obligatoire et celles qui sont situées sur le champ concurrentiel. Pour celles-ci, 80% des formations, le Cned doit se plier aux règles de la bonne concurrence. Il doit calculer ses prix de revient et ne peut pas vendre à perte. Il devrait même faire jouer la concurrence. C'est cette pression qui oblige l'établissement à revoir ses frais et ses tarifs, à muer en une entreprise commerciale. Pour les syndicats cela va mener le Cned à adopter un statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC). Michel  Leroy parle lui "d'éventualité". "Il faudrait une loi pour que cela se fasse", nous confie-t-il. Les discussions sur le statut sont "largement ouvertes" précise-t-il.


Le management en accusation. "L'ambiance est délétère", nous confie E Labaye. "On ne sait  pas ce qui va nous arriver. Il y a des mises au placard. Le personnel qui est fragile souffre beaucoup de ce stress, du sentiment d'insécurité". D'autres membres du personnel rencontrés au Salon de l'éducation évoque le spectre de France Telecom. "On est régulièrement rabaissé. Lors de chaque réunion on nous décrit les mécanismes de reclassement. On nous pousse vers la sortie", nous confie un cadre. "On nous parle accompagnement personnalisé mais on ne voit rien. L'inquiétude est générale. Surtout on ne sait rien de notre avenir", confirme E Labaye. Les méthodes de nouveaux cadres venus d'autres entreprises publiques ou du privé sont mises en accusation. M Leroy se défend. "Je n'imagine pas une seconde qu'on exerce ces pressions", affirme-t-il. "Ce n'est pas ma conception. Si l'on doit réduire le nombre de salariés, et il le faut, cela se fera dans des conditions de transparence et qui préservent les intérêts des personnes. S'il y a des dérapages cela ne participe pas d'une stratégie du Cned".


Un redéploiement difficile. Sous la pression de l'évolution statutaire, le Cned doit à la fois redéployer ses activités, ses lieux de production et son encadrement. Il doit aussi changer de culture et faire partager les conceptions commerciales à du personnel attaché à la notion de service public. Une situation qui rappelle les mutations brutales qu'a connues France Telecom. Mais au Cned le budget 2011 montre le maintien des engagements de l'Etat. De quoi peut-être atteindre l'autre rive sans trop de casse, celle de 2012.



Lien :

Le site du personnel du Cned

http://personnelcned.blogspot.com/



Par fjarraud , le mercredi 01 décembre 2010.

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