Bruno Devauchelle : Les fournitures scolaires à l'ère du numérique 

Bruno Devauchelle nous propose chaque semaine d'étudier, d'interroger un aspect de la vie de l'Ecole sous le regard du numérique. Ces chroniques veulent proposer à chacun des acteurs de l'éducation de réfléchir à la place à donner au numérique dans le système scolaire au travers de ces objets du quotidien de la classe et de l'Ecole.

 

La publication d'une circulaire à destination des parents au BO du jeudi 23 aout 2013 fait apparaître un volet spécifique aux fournitures scolaires dont le détail est spécifié en annexe à la circulaire. Pas de surprise dans cette liste, aucune référence aux technologies numériques d'information et de communication, mais uniquement les références papier crayon. Or au moment où le numérique fait de plus en plus question dans le quotidien de la vie des jeunes et de leurs familles, on constate que celui-ci est absent de la totalité de ce texte. Cette absence est étonnante au moment où (même si cela a été fait sous l'impulsion législature précédente) le socle commun, les bulletins scolaires, le cahier de texte sont en train de se numériser et les ENT en train de se déployer. Cahiers, agendas papiers, cahiers de textes et crayons ont donc encore de belles journées devant eux !

 

Or, à cette rentrée, dans la suite de précédentes, de plus en plus de jeunes seront dotés d'ordinateurs portables, de netbook ou de tablettes numériques à la rentrée à l'initiative soit des établissements eux-mêmes, soit des collectivités territoriales. Dès lors, peut-on imaginer, à terme, la disparition, au moins partielle, de cette liste de fournitures scolaire dont le coût et l'usage ne cessent d'être interrogés. D'aucuns ajouteront aussi le poids des cartables, question récurrente, et rarement résolue dans le contexte "papier" du monde scolaire. Le développement des usages sociaux du numérique ne semble en tout cas pas beaucoup modifier les rituels scolaires de la rentrée, livres, fournitures etc...

 

Une analyse économique un peu rapide peut amener à penser qu'il y a uniquement des industries, des emplois, des profits à préserver. On assisterait ainsi à la prolongation des débats sur la musique, le livre, à savoir l'évolution de la chaîne de production distribution de ces outils et contenus. Les défenseurs des droits d'auteurs auront tôt fait de reporter sur le livre numérique le prix du livre papier (ce que la loi du 17 mai 2011 précise partiellement) fabrication et distribution comprise. De même les marchands de fournitures scolaires auront vite compris le risque du numérique et pousseront les partisans des méthodes papiers crayons à aller sur le devant de la scène et attiseront les débats en milieu scolaire sur le travail "manuel" des élèves. Mais tout ceci nous éloigne de deux problèmes essentiels : celui de la culture et celui de l'apprentissage qui sont sous jacents à ces questions

 

La culture à l'ère du numérique marque le quotidien de chacun de nous. Les fournitures scolaires sont un des symboles les plus visibles de la culture du papier/crayon. Les parents soucieux de l'avenir de leurs enfants se demandent depuis de nombreuses années si l'informatique n'est pas un des moyens de leur garantir un emploi. Les comportements d'achats observés depuis longtemps montrent qu'il y a une corrélation, au moins symbolique, voire imaginaire, entre la situation sociale et l'ordinateur, et indirectement que la maîtrise de cette machine entre dans ce que les adultes pensent qu'il est nécessaire de connaître pour un jeune. Le développement des équipements numériques personnels et de plus en plus mobiles, les smartphones faisant partie désormais de la panoplie du lycéen, dérange chaque jour un peu plus l'organisation scolaire. Après avoir touché la salle de classe, ils touchent désormais les temps d'examens.... En se pliant au rituel des fournitures scolaires, marronnier bien connu des médias en fin aout, les familles, les associations, les établissements scolaires, les ministres, reproduisent, sans même parfois y penser davantage, l'acceptation du pouvoir de l'écrit manuscrit sur le monde scolaire. C'est un allant de soi, incontestable et incontesté et surtout pas remis en question.

 

De quoi a-t-on besoin pour apprendre ? Si l'on en juge par cette actualité : de papier, de crayons et de livres. Est-ce suffisant ? Non bien sur, il faut aussi des enseignants, et l'école est obligatoire ? Mais alors, à quoi servent les ordinateurs et ces objets numériques que tout le monde utilise tout le temps ? La conception dominante de l'apprentissage est d'abord celle d'une école, ses salles de classes, ses enseignants, ses tables, les crayons et les papiers. Mais là, il y a quand même eu une véritable révolution technologique. Jeune élève dans les années 1960, il m'est souvent arrivé, au grand plaisir de me délasser les jambes, d'avoir à remplir les encriers de la classe. Très vie le baron Bich avait créé un objet infernal qui allait révolutionner la classe et l'art d'écrire. Puis on a vu se succéder les différentes sortes de crayons automatiques et même les effaceurs de ces écritures manuscrites, évitant les sales ratures qui faisaient avoir de mauvaises notes. Oui les outils pour écrire ont fait leur révolution, mais pas numérique. La grande révolution des fournitures pour apprendre a été celle de la calculatrice électronique venue remplacer la règle à calcul qui elle-même avait déjà posé question. Certains ont déclaré et déclarent encore que, plus de 30 années après son arrivée progressive dans les classes, on ne saurait plus faire de calcul. N'est-ce pas là un des plus explicites exemples de l'irruption du numérique dans les fournitures ? Certes la calculatrice numérique n'est pas dans la liste du ministère mais elle embarrasse bien dans les établissements scolaires qui l'utilisent parce qu'ils n'ont pas assez d'ordinateur pour tous...

 

En cette période de rentrée des classes, on peut interroger cette question des fournitures scolaires à une époque où de plus en plus de lieux parlent de "zéro papier", à une époque où l'on arrive pas encore à remplacer les livres par leur version numérique (nombre de témoignages récents parlent de grandes difficultés de mise en oeuvre), à une époque ou chaque jeune accède à Internet à l'ordinateur et où il doit continuer de rendre la plus grande partie de ses travaux sur feuille de papier manuscrite. Le rituel des fournitures scolaires sera, dans les années à venir et pour chaque établissement un des bons indicateurs de la place donnée au numérique dans l'enseignement. Mais qui va payer les ordinateurs ? Entre 150 et 200 euros (minimum) semblent être consacrés à ces fournitures traditionnelles d'après les associations et le ministère. On pourrait imaginer que la machine numérique fasse partie de ces fournitures. Mais cette fois pas besoin de l'acheter chaque année, au collège il pourrait être gardé quatre années et sa charge financière aussi. Mais est-ce aux familles de payer ces machines (comme l'ont fait certains établissements privés sous contrats) ? Certains diront non ! Alors pourquoi faire payer les fournitures scolaires  aux familles ? Le débat est à reprendre, à la rentrée prochaine...

 

Bruno Devauchelle

 

En appui à cette chronique, cet article…

 

Par fjarraud , le vendredi 31 août 2012.

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