A la rencontre des enseignants innovants : Nicole Bouin  

« Je suis heureuse d’enseigner dans un lycée professionnel industriel ». Nicole Bouin est enseignante de français et d’histoire géographie en lycée professionnel et depuis cinq ans au lycée privé sous contrat La Mache de Lyon spécialisé dans le secteur industriel après 34 ans dans le secteur tertiaire. Nicole aime son métier. Pour les élèves en lycée professionnel « l’enseignement général, ça ne va pas de soi ». Retrouver la confiance dans la scolarité, renouer avec l’estime de soi, elle invente et construit des méthodes qu’elle partage. Rencontre avec une enseignante dont la passion ne s’est pas émoussée au fil des années.

 

Nicole Bouin enseigne auprès de deux classes au lycée La Mache : une seconde générale passerelle pour une première technologique et une première Bac Pro électronique. Les contextes sont différents. La première compte trois groupes de 14 élèves dont la plupart souhaite faire une poursuite d’études après le bac. La seconde accueille 25 élèves peu confiants en eux-mêmes et envers les adultes. Vingt d’entre eux sont dans la bonne volonté, apprennent un métier qui leur plait. Les autres sont dissipés, perçoivent l’enseignant comme un ennemi. Et cela suffit à instaurer un climat peu propice au travail. Pour Nicole Bouin « il faut trouver l’équilibre précaire entre l’exigence et l’écoute ». Cette recherche de l’équilibre lui plait particulièrement comme un appel à l’inventivité, à l’adaptation, à l’innovation.

 

Pour « aller sur le terrain des élèves » et les amener vers le sien, Nicole Bouin privilégie les supports audiovisuels. Elle a instauré un rituel en début de chaque cours : la minute de concentration. En fonction du thème du cours, elle projette une vidéo de 30 secondes à cinq minutes puisée dans sa collection. Extrait de film, de dessin animé, de documentaire,  publicité étrangère, elle capte l’attention des élèves qui regardent ensemble tous dans le même sens. Le rituel est adopté par ses classes et lorsque faute de temps il ne peut se dérouler, « les élèves râlent » nous dit elle. L’idée lui est venue à la suite d’une conférence où Philippe Meirieu prônait l’instauration de rituels adaptés à notre époque signifiant que les élèves étaient dans la classe, un véritable seuil entre l’extérieur et l’école. Aujourd’hui, sa collection comprend plus de sept cents minutes de concentration collectées sur le net ou dénichées par des amis et même des élèves.

 

Amener les élèves sur son terrain c’est aussi parier sur un intérêt réveillé par des techniques simples. Constatant que ses élèves de première bac pro électronique refusaient en grande majorité la lecture, elle a décidé de leur lire un roman, «La Lettre d'Argentine » d'Ellen Willer. La lecture orale recueille le silence, le pari est gagné. Elle sera sans doute terminée avant les congés de Noël. Elle Les élèves correspondent avec l’auteure par mail, une rencontre est en projet. Ses méthodes, Nicole Bouin les puise dans ses études de psychologie cognitive, dans les échanges avec ses collègues, les projets développés avec eux et l’ouverture. Cette année, elle est partie en visite d’études en Finlande avec sept autres enseignants de son établissement. Elle a été séduite par le système mis en place pour éveiller l’appétit d’apprendre pendant la première année de scolarité avant de passer en deuxième année aux apprentissages de la lecture, de l’écriture, du calcul. Dans son lycée, des séquences de méthodologie sont mises en place en début d’année scolaire. Mais cela ne suffit pas nous dit elle, « les élèves n’ont pas confiance en eux ni en nous, ils s’auto dévalorisent ». Pour renouer avec le goût d’apprendre et l’estime de soi, il faudrait du temps et surtout prendre ce temps plus tôt dans la scolarité.

 

Prendre du temps aussi pour éviter le décrochage : Nicole Bouin participe au dispositif « Potentiel jeunes » mis en place par le Conseil Régional de Rhône Alpes en lien avec la plateforme de décrocheurs animée par l’Education Nationale. Dans un lieu hors d’un établissement scolaire, des jeunes « décrochés » depuis six mois au moins bénéficient d’un accompagnement pour retrouver le chemin du lycée ou d’un centre de formation par apprentissage. L’accompagnement est individuel mais aussi par le groupe en développant une forme d’entraide. Il est sur mesure, en fonction des besoins et du profil du jeune. vise l’autonomie et la confiance renouée avec soi, avec l’adulte pour des adolescents souvent confrontés à un contexte social, familial difficile. Il peut comprendre un banc d’essai scolaire pendant lequel le jeune va passer une semaine dans un lycée professionnel volontaire préparant à un métier qui le motive. Au bout de la semaine, un point est fait avec les enseignants pour valider ou non l’intégration dans le lycée. Pour Nicole Bouin, l’initiative est une goutte d’eau dans la mer qui vaut la peine d’être tentée. L’an passé, elle a contribué à la réinsertion de 12 jeunes, cette année 14 sont déjà sur le chemin d’une formation.

 

 Dans son lycée, elle fait partie de l’équipe de tuteurs chargés d’accompagner les élèves en difficulté. Les élèves sont volontaires et choisissent un tuteur qui n’est pas leur enseignant. Homme ou femme, discipline enseignée, âge, le choix se porte librement selon les critères proposés dans la fiche mise à disposition. L’établissement scolarise mille élèves, difficile donc de connaitre le visage de tous les enseignants. Le tutorat se déroule sur quelques semaines ou sur l’année. Le travail est basé sur l’échange, la discussion autour du problème rencontré ou du choix d’une nouvelle orientation. Pour ceux pour qui la parole est difficile, un enseignant formé en art-thérapie assure le tutorat. D’autres interlocuteurs peuvent venir en appui, un orthophoniste par exemple. Une cellule de prévention du décrochage intervient en cas de signe alarmant : retards fréquents, absentéisme, affirmation du souhait d’arrêter le lycée. Un autre dispositif permet de mieux accueillir les élèves à besoins particuliers : dys, principalement dyslexie, difficultés psychiques ou physiques.

 

Et cela coule de source, Nicole Bouin y participe activement. 120 élèves sont concernés dans le lycée. Confrontés à un véritable handicap, il s’agit ici de leur permettre de trouver une stratégie de contournement pour apprendre. Beaucoup d’entre eux ont été repérés en primaire ou au collège. Des réponses existaient au sein de l’établissement, le dispositif a permis de les structurer, de les relier pour mieux accompagner. D’un côté les attentes des parents sont fortes ou au contraire le déni n’est pas loin : admettre le handicap dans la durée n’est pas aisé. De l’autre : les enseignants sont démunis, ils  estiment parfois que la prise en compte du handicap n’entre pas dans leurs compétences. Le dispositif les amène à réfléchir aux différences cognitives, à animer les cours autrement. L’organisation de modules spécifiques perdrait tout son sens si les besoins spécifiques n’étaient pas pris en compte dans les cours ordinaires.

 

L’échange avec Nicole Bouin emprunte des voies multiples pour intégrer les élèves, tous les élèves, les impliquer dans une scolarité qui ne serait plus subie mais pleinement vécue. A quoi est due cette profusion d’initiatives dans un même établissement. Pour elle, le rôle du directeur des études, un ancien prof de philosophie est essentiel. Il impulse les projets, leur donne du liant. C’est lui qui a organisé le voyage en Finlande, un voyage vécu en équipe et qui donne naissance à un autre projet : la mise en place à la rentrée d’une classe expérimentale en seconde bac pro. La « classe finlandaise » transposera ce qui peut l’être du modèle finlandais et traitera en profondeur des thèmes sans se plier à la tyrannie des programmes qui obligent à courir après le temps.

 

Pour Nicole, travailler dans un lycée professionnel industriel favorise l’émergence d’initiatives. Les élèves apprennent en vrai un vrai métier. Ils mettent en application dans les ateliers la théorie. Leurs travaux sont vendus, les obligeant à une certaine rigueur mais les plaçant aussi dans une situation réelle où leur travail est pris au sérieux. Les enseignants techniques s’impliquent dans des projets de classe ambitieux. Alors oui Nicole Bouin est heureuse d’enseigner l’histoire-géographie et le français dans un lycée professionnel, un contexte où « il faut s’intéresser plus aux élèves qu’à sa matière » pour au final laisser le temps aux élèves d’aimer sa matière.

           

Monique Royer

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 28 novembre 2012.

Commentaires

  • ellebasi, le 28/11/2012 à 13:43
    bravo à cette enseignante (et à tous ceux qui, dans l'ombre, croient encore à leur capacité de faire changer des choses, même à petite échelle)
    On voit bien que ce qui permet de faire raccrocher des élèves en perdition, c'est l'humain, et encore l'humain... et que toutes ces belles politiques annoncées, ne feront rien si plus d'humain n'est pas réintroduit dans les espaces scolaires ... or aujourd'hui on s'en éloigne : le métier de directeur, de proviseur d'enseignant, est de plus en plus un métier de gestionnaire, d'administratif ...on l'éloigne du terrain , de la vie pour l'enfermer dans son bureau devant son ordinateur (on n'a jamais autant passé de temps à la paperasserie alors que cet outil aurait dû nous en libérer... cherchez l'erreur..). Le gestionnaire chasse l'empathique, la "prévisionnite" aiguë chasse le naturel et le spontané , le sécuritaire chasse la confiance . Il est tant que les élèves redeviennent des êtres vivant et non des statistiques ...
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