Le Conseil supérieur des programmes : Pour quoi faire ? 

"Il ne revient pas à un ministre de faire les programmes". Vincent Peillon a installé le 10 octobre le Conseil supérieur des programmes (CSP) et présenté son programme de travail. Le nouveau CSP va devoir arbitrer sur des points délicats laissés en arbitrage par la loi d'orientation. Le ministre avait une intention : présenter le CSP comme une structure totalement indépendante de son ministère mais aussi des lobbys disciplinaires ou des influences syndicales. La démonstration reste à faire...

 

La composition du CSP

 

Encadré d'Alain Boissinot, président du CSP, et d'Anny Cazenave, vice-présidente, Vincent Peillon a rapidement présenté les 18 membres du CSP. Composé de 18 membres, 8 parlementaires et 10 experts désignés par le ministre, le Conseil supérieur de l'éducation est paritaire conformément à la loi d'orientation. Son président est un personnage clé du ministère. Inspecteur général, ancien membre du Conseil national des programmes, il a été directeur de l'enseignement scolaire et directeur de cabinet de Luc Ferry. Anny Cazenave est moins connue dans l'éducation nationale. C'est une géophysicienne, membre de l'Académie des sciences.

 

Parmi les autres membres nommés par le ministre, Marie-Claude Blais est une philosophe auteure d'ouvrages sur la philosophie politique de l'éducation. Xavier Buff préside la section mathématiques au Conseil national des universités. Agnès Buzyn est professeur de médecine.  Eric Favey est secrétaire général de la Ligue de l'enseignement. L'inspecteur général Roger François Gauthier est un spécialiste des programmes. Denis Paget est un ancien co-secrétaire général du Snes. Sylvie Plane, agrégée de grammaire, professeure en IUFM a des responsabilités au Snesup. Directrice de recherches au CNRS, Agnès Van Zanten est un sociologue de l'éducation renommée.

 

Les assemblées  ont désigné 8 membres du CSP. L'Assemblée nationale a nommé Luc Belot et Sandrine Doucet, députés PS et Annie Genevard, députée UMP. Le Sénat envoie au CSP des personnalités plus connues dans l'éducation. Jacques Legendre suit les questions d'éducation à l'UMP depuis des années. Marie Christine Blandin, vice présidente du groupe écologiste du Sénat, a été très active dans les débats de la loi d'orientation. Jacques Bernard Magner est membre socialiste de la Commission éducation.  Le CESE a nommé Marie-Aleth Grard, vice présidente d'ATD Quart Monde et André Leclercq, vice président du Comité olympique français.

 

Les missions du conseil

 

A BoissinotLe CSP "émet des avis" et "formule des propositions" sur "la conception générale des enseignements dispensés" de l'école au lycée, "l'introduction du numérique", "le contenu du socle commun" en veillant à la cohérence des programmes. La loi d'orientation précise que " afin d’avoir une vision globale des programmes et de leur articulation avec le socle commun, le conseil devra organiser ses réflexions, non seulement par grand domaine disciplinaire mais aussi par cycle, afin de garantir une cohérence interne forte en termes de connaissances, de compétences et d’apprentissages à chaque cycle". Il doit aussi décider de la validation du socle ce qui revient à lui donner un droit de regard sur les examens, y compris le bac. Le CSP aura aussi son mot à dire sur le "contenu des épreuves des concours de recrutement d'enseignants". C'est dire que le CSP sera au centre de toutes les politiques ministérielles et de toutes les tensions entre les acteurs de l'Ecole. Alors que le Haut Conseil de l'Education, qu'il remplace selon la loi", se bornait à un rapport annuel, le CSP aura à préparer de nombreux avis sur des sujets très variés.

 

Socle, primaire et maternelle

 

Le ministre a chargé le CSP de 4 missions dans un premier temps. La première concerne le socle. La loi d'orientation s'était bien gardée de définir le socle. Le CSP doit "réexaminer sa conception et ses composantes dans le respect des objectifs définis par la loi : le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté". Objet d'opposition entre réformistes et traditionnalistes de l'éducation, le socle pourrait faire l'objet des premiers affrontements dans le CSP. "Au demeurant, je souhaite que votre réflexion sur le socle prenne en compte la nécessaire articulation entre le socle et les programmes de l’école et du collège, les seconds devant constituer la déclinaison du premier", précise la lettre de mission du ministre.

 

Le premier programme que le CSP devra établir concerne la maternelle. "Je souhaite (leur) application à tous les niveaux du cycle des apprentissages premiers dès la prochaine rentrée scolaire", précise le ministre. Interrogé, Alain Boissinot nous a déclaré qu'il entendait "trouver le point d'équilibre pour que l'école maternelle prépare les enfants à la suite de la scolarité sans se transformer en classe préparatoire au CP".  Pour la rentrée 2015 le CSP devra avoir rédigé les programmes de la première année de chaque cycle du primaire.

 

Les "éducations à"

 

A CazenaveLe ministre attend aussi pour cette rentrée 2015 "une proposition de programme d’enseignement moral et civique, depuis l’école jusqu’au lycée", ainsi que " deux référentiels à destination de tous les élèves relatifs à la construction, pour le premier, d’un parcours d’éducation artistique et culturelle et, pour le second, d’un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel". Pour corser la difficulté, le CSP devra également tenir compte de tout ce que le gouvernement a du ajouter à la loi pour obtenir des votes majoritaires. Ainsi le CSP devra tenir compte des objectifs "d'éducation à l’environnement et au développement durable, du respect de l’égalité entre les sexes, de la valorisation des langues et cultures régionales, de la promotion d’une plus grande ouverture sur l’Europe et sur le monde, ainsi que la prise en compte des contraintes propres aux personnes souffrant d’un handicap ou d’un trouble invalidant". Le CSP devra également résoudre la question de la note de vie scolaire, disparue de la loi mais pas de la définition du brevet. Derrière cette note, c'est la question de l'évaluation de certaines compétences du socle qui est posée.

 

Ajoutons que le ministre a omis "la promotion de la culture scientifique et technologique" pendant le temps scolaire et périscolaire tout au long de la scolarité, qui est bien une obligation légale. Comment dégager du temps pour tous ces enseignements tout en tenant compte des exigences des lobbys disciplinaires et pédagogiques ? Voilà de quoi occuper largement le CSP pendant les 3 prochaines années au moins.... 

 

Collège et lycée

 

Le CSP pourrait aussi être saisi de la refonte des programmes du collège et du lycée. Des exigences fortes se sont faites jour dans certaines disciplines au point que le ministère a été obligé d'adopter prématurément des allègements en histoire-géo et S.E.S. par exemple. Lié à ces questions, c'est l'avenir du brevet et du bac qui devront être tranchés. Le brevet actuellement fait double emploi avec la validation du socle.

 

Mais qu'est-ce qu'un programme ?

 

Le CSP devra rédiger une charte précisant la procédure d'élaboration des programmes. Longtemps la rédaction des programmes a été confiée à l'inspection générale. En 1989, C. Allègre a créé un Conseil national des programmes. Les programmes avaient des rédacteurs connus. Mais le CNP a été supprimé en 2005. Et les programmes du primaire de 2008 ont été rédigés dans le secret du cabinet ministériel par des mains anonymes, sans discussion et débat. V Peillon a voulu rompre avec cette façon de faire.

 

Mais qu'est ce qu'un programme ? V Peillon souhaite encourager l'interdisciplinarité dans les programmes. La nomination de RF Gauthier au CSP devrait amener le CSP à réfléchir d'abord à l'écart entre programme et curriculum. "Le curriculum renverse la logique des programmes habituelle", nous a dit A Boissinot. "C'est une vision plus haute qui décline les disciplines en partant du parcours d'apprentissage des élèves". C'est cette vision incluant l'évaluation qui devrait s'imposer au sein du CSP rompant avec les programmes listes traditionnels.

 

Des groupes de travail et des chargés de mission

 

Pour pouvoir réaliser tout cela, le CSP devra bénéficier de bien plus que ses 18 membres. Le ministère a déjà choisi la secrétaire générale du CSP en désignant... l'actuelle responsable du bureau des programmes de la Dgesco. Interrogé par le Café, Alain Boissinot a précisé qu'il recruterait une dizaine de chargés de mission pour accompagner des groupes de travail.

 

Quelle indépendance vis à vis du ministère ?

 

"Le CSP organisera totalement librement ses travaux avec des chargés d'étude et la possibilité d'installer ses groupes d'experts... C'est la première fois que les experts sont rattachés à un conseil et non à l'administration" a précisé le ministre. "Il ne revient pas au ministre de  faire les programmes. Je veux l'indépendance du conseil". Le prédécesseur du CSP, le HCE, avait fait montre d'une indépendance certaine en prenant souvent à rebrousse poil l'institution. Le CSP aura plus de mal à s'affirmer indépendant déjà dans la mesure où la majorité de ses membres sont nommés par le ministre de l'Education nationale. En choisissant des personnalités aussi bien installées dans l'institution que son président, ancien membre du CNP, ou des inspecteurs généraux, le ministre a plutôt choisi la continuité que la rupture avec la rue de Grenelle. Il a d'ailleurs envoyé un signal assez clair en nommant comme secrétaire du comité, chargée de le faire fonctionner, la responsable des programmes de la Dgesco...

 

Et envers les lobbys disciplinaires et syndicaux ?

 

Le ministre a vivement souligné sa volonté de faire échapper le CSP aux lobbys disciplinaires. Mais est-ce possible ?  Un membre du CSP représente les maths au CNU.  D'autres ont une identité disciplinaire.  A Boissinot, RF Gauthier ou S Plane viennent des lettres.

 

Mais il est d'autres pressions. La présence de plusieurs responsables FSU au sein du CSP fait jaser les autres syndicats. Le camp réformiste  (Se Unsa, Sgen Cfdt, CRAP, Education & devenir) a réagi publiant un communiqué demandant la suppression du brevet, qui pourrait être remplacé par différentes évaluations en cours d'année) et l'introduction dans le socle d'un pilier "apprendre à apprendre".

 

Aucun enseignant au CSP

 

Aucun enseignant de terrain ne siège au CSP. alors même qu'un collectif de chercheurs et d'associations professionnelles, proche de la FSU, a demandé expressément que le CSP travaille avec des enseignants. Vincent Peillon a décidé, pour les programmes du primaire, une double consultation du terrain, avant la mise en place du CSP et après la rédaction d'un projet de programme par le CSP. Interrogé par le Café il a souhaité que des professeurs de terrain soient inclus dans les groupes de travail. Ca tombe bien car pour aborder la maternelle ou les programmes du primaire il n'y a personne au CSP qui ait pratiqué fut-ce en un temps reculé...

 

François Jarraud

 

Loi d'orientation

Décret sur son fonctionnement

RF Gauthier sur les curriculums

Le dossier de presse

 

Par fjarraud , le vendredi 11 octobre 2013.

Commentaires

  • emapi, le 11/10/2013 à 19:48

    "Aucun enseignant de terrain ne siège au CSP": et bien voilà, c'est consternant, mais hélas, juste à moitié étonnant. C'est par les programmes que cette refondation aurait dû commencer (avec l'analyse des conditions réelles de travail), non par les rythmes.
    Et voilà que maintenant, alors qu'on parle enfin des programmes, je découvre qu'une fois encore les gens de terrain sont oubliés. Leurs connaissances réelles de l'école? Rien à faire... Les difficultés qu'ils rencontrent avec les programmes actuels? Rien à faire non plus (ça n'est pas la pseudo concertation sur la critique des actuels programmes qui me fera penser le contraire: demander l'avis d'un professionnel en aussi peu de mots... bref!). Donc, si j'ai bien compris, ce sont encore des gens (aussi brillants soient-ils, là n'est pas le propos) coupés du monde réel qui vont décider de ce qu'il faudra faire devant des élèves qu'ils n'auront jamais croisés...C'est bien ça finalement, en dehors de "consternant", je ne vois pas trop ce que je pourrais en dire...

  • Viviane Micaud, le 11/10/2013 à 08:19
    Bravo pour ce conseil de programme. Je n'ai pas de commentaires pour sa composition.
    J'espère que le ministre va pouvoir s'occuper en des programmes de physique et des technologies, de la filière scientifiques du lycée et des filières technologies industrielles du lycée. La filière S a été encore pénalisée et rendue plus généraliste, et plus discriminante pour ceux qui s'appuient sur les sciences pour réussir, avec l'ajout d'une demi-heure d'histoire qui n'était pas nécessaire. (le rééquilibre de la matière sur les deux années était  nécessaire). La filière STI n'a pas de contenu cohérent.  Pour nourrir les philosophes, il faut des techniciens, des ingénieurs, des scientifiques qui font marché l'économie. Pour l'instant, Vincent Peillon semble ne pas s'en être aperçu. Les 10% des élèves qui réussissait dans la S de Châtel et qui sont conduit à l'échec scolaire consistent un problème moins importants que la refondation d'une école plus juste, la prévention des violences entre élèves, et la mise en place de moyens pour ceux les plus en difficulté. Cependant, c'est une discrimination comme les autres et de plus, qui était, relativement facile à résoudre.
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