Anne Armand : Changer l'Ecole pour réduire le décrochage ? 

Invitée le 5 février au matin par l'Assemblée nationale, le soir par l'OZP, l'inspectrice générale Anne Armand a défendu son rapport sur la prévention du décrochage. Si pour elle, la lutte contre le décrochage passe par des changements dans les pratiques pédagogiques, elle semble en même temps relativiser l'impact des instructions officielles. C'est que la question du décrochage est maintenant prise dans deux machines puissantes. Celle de la modernisation de l'action publique (MAP) à laquelle participent les auteurs du rapport. Et les régions à qui la loi sur la formation professionnelle va confier le raccrochage.

 

Prévenir plutôt que guérir

 

" Le thème de notre mission nous a conduits à focaliser nos réflexions sur la prévention du décrochage scolaire, c'est-à-dire sur les actions qui, à l’école, visent ou tendraient à réduire ce phénomène. Si la lutte contre l’absentéisme est un des éléments de la prévention du décrochage, elle n’est pas la seule. À l’approche administrative qui a longtemps prévalu, notamment dans la lutte contre l’absentéisme, notre conviction est qu’il faut ajouter une démarche pédagogique et éducative globale seule en mesure de porter des fruits durables". Anne Armand et Claude Bisson-Vaivre, les deux coordonateurs du rapport "Agir contre le décrochage scolaire", marquent d'emblée une orientation qui, au regard des évolutions administratives, va se révéler payante. Au lieu de rendre un rapport sur l'absentéisme, ils ont décidé de travailler sur la prévention du décrochage. C'est d'autant mieux venu que le raccrochage va échapper à l'Etat devrait devenir, avec la loi sur la formation professionnelle, une compétence exclusive des régions.

 

Leur rapport montre d'abord le coût du décrochage. Pour la France ils l'évaluent à 220 000 par décrocheur tout au long de sa vie. Chaque année cela représenterait 22 milliards d'euros par an, soit 1% du PIB. Il varierait selon les états européens, certains limitant son ampleur. Ainsi en France 6% des 15-19 ans ont décroché contre 2% aux Pays-Bas, 8,5% des Britanniques et 12% des Italiens. Le décrochage apparait ainsi comme un boulet qui vient peser sur les économies nationales. Le prévenir devient un investissement rentable.

 

Le poids de l'Ecole

 

Or pour A. Armand et C. Bisson-Vaivre, la prévention passe par des évolutions dans l'Ecole. Ils énumèrent dans leur rapport les nombreux facteurs internes au système éducatif dans le décrochage. D'abord l'orientation car le décrochage se nourrit des "déliaisons" qui se produisent lors des changements de structure : passage de maternelle au CP, de Cm2 à la 6ème etc., sans parler des orientations subies. S'y ajoute le décrochage cognitif non traité. " Si des conditions de décrochage s’installent dès le premier degré, des scolarités peuvent se dérouler en apparence normalement à l’école primaire, voire au collège, le processus de décrochage s’installant plus tardivement. Par exemple, des élèves décrochés ont fait savoir à la mission que leurs difficultés étaient apparues dès les premiers mois de la classe de seconde, faute de réponses à des questions de méthode posées, faute de sécurisation dans leurs parcours : « je ne savais pas comment faire », « je n’ai trouvé personne pour m’aider à faire le devoir » ou « alors que je travaillais chez moi le soir, était écrit sur mon bulletin “doit travailler davantage” ». Les auteurs soulignent aussi les rigidités du système éducatif. Les passerelles mises en place dans le cadre de la réforme des lycées ne fonctionnent pas. L'Ecole exerce "un recours abusif à l'exclusion". La réforme des sanctions de 2011 a abouti à ce que 85% des conseils de discipline se terminent par elle (81% avant la réforme).  

 

Que faire ? IL faut d'abord repérer le plus tôt possible les risques de décrochage grâce à des "observatoires du décrochage" installés dans chaque école et établissement. Et proposer une prise en charge efficace. Pour les auteurs c'est "un élève, un projet, une équipe". C'est à dire que le traitement efficace doit être personnalisé et doit entrainer une équipe pluridisciplinaire incluant des spécialistes non enseignants. Ils s'appuient sur l'expérience des LATI, des structures installées en Alsace.

 

L'Inspection veut-elle changer la notation ?

 

Mais c'est surtout la pédagogie qu'il faut changer.  C'est dans la classe qu'il faut lutter contre le décrochage et les auteurs invitent à la rendre bienveillante et à vivre le vécu de l'élève. "Aujourd'hui la notation sur 20 trie les léèves. Les classes sans notes marchent bien", affirme C Bisson-Vaivre. "Faut-il des notes partout, tout le temps, dans toutes les disciplines", demande A Armand. Le rapport préconise, comme cela avait été fait après 1968, l'introduction de la notation sur 5 (type ABCDE) en place de la note sur 20.  Il faut considérer l'élève comme une personne et généraliser le tutorat dans le second degré. Le temps scolaire doit être construit en fonction de l'enfant. Il faut aussi travailler l'orientation et lutter contre la hiérarchie des filières.  Les inspecteurs doivent fortement s'impliquer dans la lutte pour cette prévention alors que le pilotage de la lutte contre le décrochage reste "très peu pédagogique". Le rapport donne des anecdotes sur le fait que les Cardie ne se sentent pas concernés. Ou sur le fait que le site ministériel sur le décrochage comporte "tout et n'importe quoi", la grande masse des documents ayant peu de rapport avec le sujet...

 

Au total, le rapport aligne 17 préconisations, toutes à mettre en application dès cette année. Mais les rapporteurs y croient-ils ? "Si on dit "l'Inspection veut l'abolition des notes ça ne marchera pas", lâche A Armand devant les députés."On ne veut pas écrire une circulaire" dit-elle devant l'OZP. "Il en faut pas compter que tous les enseignants s'y mettent mais s'appuyer sur certains", confie-t-elle. On touche là l'ambiguité de ce rapport qui conclue sur des préconisations, la plupart déjà connues, voire déjà expérimentées, alors que le rapport lui-même recense les 165 préconisations faites sur ce sujet depuis 5 ans...

 

Une nouvelle politique se met en place

 

Mais si les auteurs semblent aussi convaincus de la relativité de leur rapport, c'est peut-être pour mieux éviter de parler de ce qui se prépare en réalité sur le terrain.

 

Le combat pour le raccrochage sera confié par la loi sur la formation professionnelle, qui entre en débat à l'Assemblée nationale, aux régions. Elles en auront la responsabilité et elles dirigeront l'action du réseau des MGI, des Espi etc. Par contre l'Etat est en train de préparer la prévention du décrochage. Anne Armand et Claude Bisson-Vaivre participent aux groupes de travail installés dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP). Le 4ème Comité interministériel pour la MAP, réuni le 18 décembre 2013, a travaillé sur la lutte contre le décrochage. Un diagnostic devrait être prochainement rendu public et un programme sera rendu public en mai. Inefficaces ou pas, la question du décrochage va revenir vers l'éducation nationale après ce détour sous forme de décisions politiques dans les mois à venir.

 

François Jarraud

 

Le rapport

Le Comité interministériel de la MAP

Un point sur la lutte contre le décrochage

Un autre dossier

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 06 février 2014.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 14/02/2014 à 09:13
    Il y a au moins deux erreurs d'analyse provenant des auteurs du rapport dans ce résumé et deux gros manques.
    La première est de résumer le processus qui conduit à l'exclusion, au conseil de discipline. Le conseil de discipline est dans la plupart des cas, la dernière étape d'un long processus de remédiation: Il se tient quand tout a été essayé. L'intérêt de l'enfant (pouvoir rebondir ailleurs), ou l'intérêt général des autres enfants (en danger) sont recherchés par les humains qui participent au conseil de discipline, sincèrement motivés pour rechercher la moins mauvaise solution.
    La critère doit être : Dans un contexte donné, combien de remédiations ont réussi ? Non pas le fait que quelques unes ont échoué et pour lesquels on a organisé un conseil de discipline. Le chiffre d'exclus après un conseil de discipline n'a pas de sens. C'est une erreur de le réifier en critère.
    - La deuxième erreur est le mythe de la suppression de la hiérarchie des filières. Cette hiérarchie est intrinsèque et dépend du nombre de portes ouvertes après le bac ou les avantages présumées ou réelles que les formations apportent. Non ! Les élèves ne vont pas en S, la filière généraliste dite scientifique, à cause du prestige présumée de la filière.  Les bons élèves qui n'ont rien contre la physique vont en S car c'est la seule filière qui laisse toutes les portes ouvertes après le bac." Les compétentes exigées en expression littéraire sont les mêmes que la L. La preuve est que 25% des élèves de l'hypersélective "hypokhagne" viennent de S. 0% des élèves des classes préparatoires scientifiques viennent de L. Pour le lycée générale et technologique, il existe une solution qui consiste à déconnecter le parcours en "expression littéraire" , le parcours en "acquis mathématiques" et le choix de la dominante. J'en ai expliqué les principes sur mon blog. Il est nécessaire d'avoir au moins deux niveaux "en expression littéraire" et en "mathématiques". Cependant, le parcours choisis en "acquis mathématiques" n'impose pas la dominante comme aujourd'hui. Pour l'orientation professionnelle, il convient de mettre la sélection "non pas par un logiciel aveugle qui se base sur les notes" mais sur la démonstration de la motivation pour le métier". Tous les métiers ont des avantages. C'est là-dessus qu'il faut communiquer filière par filière. Pour le lycée général, le principal moteur de la hiérarchie des filières est le nombre de portes ouvertes après le bac. Pour le lycée professionnel, le principal moteur de la hiérarchie des filière est le "logiciel d'affectation" (en fonction des notes les filières sont possibles où non) et des "représentations souvent infondées dans l'esprit des jeunes sur la filière". Cette dernière peut être compensée par une meilleure connaissance du métier.
    - le premier gros manque est la non-mention du rôle des violences entre élèves dans l'absentéisme scolaire (c'est la première cause).
    - le deuxième gros manque est le rôle des programmes, inadaptés aux classes hétérogènes, dans la mise en place de l'échec scolaire et la perte de l'estime de soi. A partir de la quatrième, les élèves qui maîtrisent insuffisamment la lecture et l'expression écrite sont incapables, quels que soient leurs efforts, de réussir les contrôles imposés par l'éducation nationale. 
    Il y a par ailleurs un négationnisme. C'est stupide d'accepter en 2GT  des élèves qui, à causes de leurs lacunes, n'ont pas une chance raisonnable de la réussir. Si les programmes et contrôles de 4ème et 3ème peuvent être adaptés pour éviter la mise en échec, ce n'est pas possible dans une classe de 2GT qui préparent l'accès à l'université. Pour des lacunes en expression accumulée depuis 5 ans, la remédiation est une grosse illusion, un énorme mensonge qui conduit irrémédiablement, à mettre en échec les enfants qui croient en ce mensonge.
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