Eduthèque, à quoi ça sert ? 

Le portail éduthèque est ouvert depuis novembre 2013. Mis en place dans le cadre du service public du numérique éducatif, il permet à chaque enseignant d’accéder, via ses identifiants académiques, à des ressources pédagogiques proposées par des établissements publics à caractère culturel et scientifique avec lesquels le Ministère a conclu un partenariat : le Louvre, l’INA, le CNRS, Antigone-en-ligne, Edugéo, la BnF… S’agit-il d’un énième « machin », technocratique, pyramidal et inutile ? Ou bien d’un réel service susceptible d’aider les enseignants, et les élèves, dans les pratiques quotidiennes de classe ? Au terme de cette première année scolaire d’existence, il est intéressant de dresser un bilan et de tracer des perspectives. Pour Delphine Regnard, chef de projet à la Direction Numérique pour l’Education (ministère), éduthèque est un outil susceptible de favoriser l’accès de tous à la culture, sous des formes plus variées et plus riches, jusqu’à favoriser l’interdisciplinarité. Ariane Bach, professeure de lettres au lycée Jean-Jacques Rousseau à Sarcelles, témoigne d’usages pédagogiques qui mettent les élèves en activité de recherche et de création, jusque dans des ateliers d’écriture.

 

Delphine Regnard : explorer avec éduthèque

 

En quelques mots pouvez-vous expliquer ce qu’est éduthèque aux enseignants qui ne le connaîtraient pas encore ?

 

Le service éduthèque est un portail ouvert à tous les enseignants, des premier et second degrés, qui leur donne accès gratuitement, sur inscription, à des ressources construites et structurées par les institutions publiques partenaires. A ce jour, seize offres proposées par des établissements scientifiques et culturels sont disponibles, soit des centaines d’images en haute définition, de vidéos, de podcasts, de notices, de documents, de cartes, de textes…, utilisables dans tout projet pédagogique. Une partie des ressources est téléchargeable. Elles sont présentées sous formes de dossiers ou de parcours, mais sont granulaires pour que l’enseignant puisse construire son propre projet pédagogique.

 

Les enseignants ont pour la plupart d’entre eux pris l’habitude de faire des recherches en ligne pour préparer et enrichir leurs cours : qu’est-ce qu’éduthèque peut leur apporter de plus ou de mieux par rapport à ces usages habituels ?

 

Le portail vise à faciliter l’usage de ressources numériques par les enseignants. Ainsi, ces ressources offertes dans le cadre du partenariat éduthèque jouissent de droits libérés pour un usage pédagogique. Elles sont, de plus, proposées dans des formats de très bonne qualité : par exemple les images reproduisant des œuvres iconographiques en respectent les couleurs et sont dans une définition suffisante pour y effectuer des zooms. Surtout, elles sont construites par des experts et sont donc fiables. Les enseignants peuvent y puiser en toute confiance des éléments pour la construction de leurs projets. A noter qu’une partie des partenaires sont des musées : l’objectif est de construire des ressources qui puissent être utilisables même sans visite sur place. Il s’agit de permettre d’assurer à tous le droit à la culture.

 

Quels sont les partenaires d’ores et déjà présents sur le portail ? Y en a-t-il d’autres à venir ?

 

Le portail compte seize partenaires actuellement, dont une bonne partie proposent des ressources à caractère culturel. Des partenaires avec une offre scientifique (CNRS, CNES et Météo éducation) sont arrivés en avril dernier et sont d’ores et déjà très utilisés. L’offre doit s’étoffer d’une dizaine de partenaires lors de la prochaine année scolaire. Les partenaires déjà présents proposent régulièrement de nouvelles ressources. A ce jour, on trouve ainsi des ressources sous des formats différents : images, vidéos, textes, animations, frises, cartes, enregistrements audio…, couvrant différentes périodes, de l’antiquité égyptienne aux techniques spatiales contemporaines !

 

Le portail éduthèque permet-t-il d’utiliser les ressources des partenaires gratuitement et librement : où je veux, quand je veux,  comme je veux ?

 

Les enseignants s’inscrivent sur ce portail avec leur adresse académique et en acceptent les conditions générales d’utilisation (C.G.U.). C’est donc à un usage professionnel, en l’occurrence pédagogique, qu’ils doivent s’astreindre. Les C.G.U. leur permettent de mettre les ressources, gratuitement accessibles, en streaming ou téléchargées, à la disposition de leurs seuls élèves pour que ceux-ci travaillent avec. Ils peuvent faire des captures d’écran pour donner de la visibilité aux productions des élèves et aux leurs, sur des sites académiques par exemple, mais ils ne peuvent pas diffuser ces ressources n’importe où. Elles doivent rester dans le périmètre de la classe, que ce soit dans les murs ou en ligne (dans un ENT).

 

Pouvez-vous donner quelques exemples précis de ressources intéressantes que pourraient trouver les enseignants sur éduthèque ?

 

Des ressources spécifiques sont fournies : par exemple tel manuscrit du Moyen Age pour le professeur de lettres, des vidéos en anglais ou des documents sur les matériaux pour le professeur de physique. Mais les professeurs ont aussi à disposition toutes les ressources pour des projets et partenariats transdisciplinaires. Le guide d’écoute de la marche des Turcs du Bourgeois gentilhomme est construit de telle sorte qu’il peut être le support d’une activité physique et sportive dans les petites classes comme la découverte de la comédie ballet pour des plus grands. L’opportunité est ainsi donner d’imaginer des activités variées et innovantes.

 

En quoi éduthèque vous semble-t-il aussi susceptible d’aider l’Ecole à se libérer de certains cloisonnements disciplinaires ?

 

C’est l’enjeu du portail qui est construit selon des thématiques et non par entrée disciplinaire. Il s’agit de proposer des ressources qui soient intéressantes pour plusieurs disciplines. Par exemple, telle ressource du CNRS peut être utilisée dans le cadre du programme de physique au lycée mais aussi dans le cadre de l’éducation à l’orientation, à la lutte contre les inégalités fille/garçon par exemple. Il ne s’agit pas d’associer un partenaire à une discipline mais au contraire, par la visibilité donnée de tous les partenaires à tous les enseignants, de permettre une meilleure connaissance et appropriation des ressources créées par les institutions publiques partenaires. Les ressources apportées par chaque partenaire sont, également, complémentaires.

 

Eduthèque existe depuis quelques mois : quels sont les retours que vous en avez ?

 

Nous avons à présent une vue un peu plus précise avec nos partenaires. Le portail compte 40 000 inscrits après neuf mois depuis son lancement fin novembre 2013. Il doit continuer à évoluer, non seulement en accueillant de nouvelles ressources des partenaires déjà présents mais aussi de nouveaux partenaires. Une dizaine devraient rejoindre éduthèque lors de la prochaine année scolaire. Les partenaires considèrent que les utilisateurs de leur site par l’accès éduthèque sont de qualité : ils passent un certain temps sur leurs ressources et sur leur site. Les visites sont assez homogènes pour tous les partenaires, ce qui indique que l’offre répond à un besoin. Nous avons mis en ligne sur le portail trois vidéos qui témoignent de l’utilisation que peuvent en avoir des enseignants, notamment en lettres. Les retours portent surtout sur des demandes d’amélioration que nous sommes en train de construire. Nous avons tâché, autant que possible, de répondre aux remontées qui nous ont été adressées.

 

Ariane Bach : créer avec éduthèque

 

Vous avez utilisé éduthèque dans le cadre de vos ateliers d’écriture : pouvez-vous expliquer en quoi consistent ces ateliers, comment ils fonctionnent, quels en sont les intérêts ?

 

Depuis cette année, je conduis des ateliers d’écriture créative en 2nde, dans le cadre de l’Accompagnement Personnalisé. Cela correspond aux directives fixées par les instructions officielles, puisque l’Accompagnement Personnalisé offre la possibilité d’approcher la discipline d’une manière différente de celle ordinairement enseignée dans le cours. En effet l’atelier d’écriture invite les élèves à quitter la posture analytique et réflexive que l’on attend généralement d’eux dans une perspective scolaire, notamment pour les épreuves du bac. Pendant cet atelier, ils ont l’occasion d’expérimenter par eux-mêmes la démarche de création littéraire.

 

Les propositions d’écriture portent généralement sur un thème, une forme ou une structure, et s’appuient souvent sur la relation à l’image. Je m’inspire de travaux d’écrivains qui conduisent régulièrement des ateliers d’écriture avec des publics variés, comme François Bon ou Pierre Ménard. Ils ont des propositions d’écriture variées et stimulantes qu’ils mettent souvent en perspective avec des textes littéraires. J’adapte leurs propositions, j’en invente aussi parfois suivant l’élément que j’ai choisi de mettre en lumière avec les élèves ce jour-là (travail sur la chronologie, la métaphore, le portrait…) Le but n’est pas de transformer les élèves en écrivains, mais plutôt de leur faire expérimenter le processus créatif afin de permettre une meilleure appréhension ultérieure des textes littéraires qu’on leur propose d’étudier en classe.

 

L’atelier se termine toujours par la lecture commentée des textes qu’ils ont produits. Cette phase de commentaire est importante car elle leur permet de prendre conscience des procédés d’écriture qu’ils ont mis en œuvre, parfois à leur insu. Ils se rendent compte que l’intention esthétique vient avant l’analyse, ce que nos cours traditionnels peuvent leur faire oublier, car nous entrons généralement dans le texte d’abord par l’analyse dans notre enseignement.

 

Comment avez-vous utilisé éduthèque dans ce cadre ?

 

J’aime bien faire travailler des élèves à partir d’images, que l’on ne cherche pas à décrire ou analyser dans une perspective interprétative, mais qui servent plutôt à déclencher le désir d’écriture par les questions qu’elles suscitent. Les élèves sont invités à entrer en dialogue avec l’œuvre présentée, plus qu’à en comprendre les enjeux. A cette fin, il m’est bien sûr facile de trouver des images à exploiter via un moteur de recherche, mais leur utilisation en classe est problématique. En effet nous devons initier nos élèves à un usage responsable des médias, et en particulier des ressources que l’on peut trouver sur internet. L’utilisation de ces images qui ne sont pas toujours libres de droits en classe est tentante, certes, car facile d’accès, mais elle nous met en porte-à-faux.

 

Le portail éduthèque offre une réponse à ce problème en permettant aux enseignants d’utiliser des ressources dont les droits ont été négociés pour une utilisation en classe. Les sites des institutions auxquelles ce portail donne accès mettent donc à disposition toutes sortes de documents, qui plus est dans une qualité bien supérieure à celle que l’on pourrait trouver sur des moteurs de recherche.

 

Qu’est-ce que les ressources d’éduthèque ont apporté à cet atelier selon vous ?

 

Outre la grande qualité des images proposées par les établissements partenaires d’éduthèque, la licence particulière de ces documents me permet de publier les textes des élèves sur le site de mon lycée en regard d’une reproduction de l’œuvre qu’ils choisissent. Ainsi nous pouvons conserver une trace de leur production, dont ils sont souvent (et à juste titre!) très fiers.

 

Les élèves ont travaillé dans cet atelier avec des tablettes numériques : en quoi cet outil vous semble-t-il intéressant, y compris dans sa possible articulation avec le portail éduthèque ?

 

L’utilisation de la tablette en classe peut avoir un caractère désinhibant pour les élèves, particulièrement ceux qui se croient fâchés avec l’écrit. La tablette est un outil que les élèves utilisent déjà souvent à titre personnel, son utilisation en classe a donc été assez naturelle. Il n’y a pas de raison pour que l’école demeure un espace déconnecté des pratiques réelles des élèves. Pour autant je reste simultanément favorable à l’utilisation traditionnelle du papier et du crayon! Les deux approches sont complémentaires aujourd’hui. Suivant l’objectif de la séance, le professeur peut aller sélectionner un certain nombre de ressources sur les sites liés à éduthèque, les mettre à disposition des élèves sur leur tablette, et leur proposer de se construire un parcours artistique personnel. La tablette permet l’individualisation du parcours de l’élève, et de ce fait favorise une plus grande implication de sa part dans les démarches d’apprentissage.

 

Le portail éduthèque vous est d’ores et déjà familier : quels autres usages en avez-vous déjà eus ou quelles nouvelles utilisations pensez-vous en avoir ?

 

Les ressources proposées par éduthèque sont très nombreuses et variées. On peut les utiliser aussi bien en Histoire des Arts que pour construire la notion de mouvement littéraire, en complétant le panorama pictural (Louvre, Centre Pompidou, RMN) par des morceaux de musique (Cité de la Musique), des éléments architecturaux (Cité de l’Architecture et du Patrimoine), des documents vidéo (INA, Le SiteTV) ou des extraits de pièces de théâtre (Antigone en Ligne), des activités proposées par le site pédagogique de la BNF.

 

De manière générale, d’après vos expériences, en quoi le numérique vous semble-t-il susceptible de revitaliser l’enseignement du français ?

 

Dans la manière dont nous abordons les lectures patrimoniales ou l’enseignement de la langue en classe, le numérique est un atout grâce auquel on peut individualiser l’approche des notions à étudier. Mais cette approche individuelle ne doit pas être individualiste : les outils numériques favorisent également un authentique travail collectif, en permettant aux élèves de collaborer à l’élaboration du cours par exemple. Enfin c’est aussi un moyen de favoriser leur créativité, en publiant un texte de leur cru, en réalisant un film, une émission de radio… Tous ces outils sont désormais accessibles à tous et aisés à manipuler.

 

Mais le numérique ne me semble pas être qu’un simple outil de « revitalisation » de l’enseignement du français. C’est aussi un objet d’étude en soi. En effet la littérature dite « numérique » s’appuie désormais sur toutes sortes de médias, elle exploite les possibilités de relations du texte et de l’image, de la vidéo ou du son, elle développe de nouveaux types de narration non linéaires, elle prend en compte le lecteur immédiatement, par le dialogue qui peut s’établir avec lui via les réseaux sociaux… Toutes ces nouvelles possibilités d’expression doivent être étudiées en cours de français, car si elles font partie de notre quotidien désormais, il appartient aux enseignants de montrer à la fois leur spécificité et leur inscription dans la continuité de notre héritage littéraire.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Le portail Eduthèque

Vidéos présentant des usages

Atelier d’écriture avec Eduthèque sur le site du lycée Jean-Jacques Rousseau

Atelier d’écriture « Sujets sensibles » avec Juliette Mezenc

 

 

Par fjarraud , le lundi 23 juin 2014.

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