Numérique : Jacques-Olivier Martin : Mettre la pédagogie d'abord 

Comment rendre un plan numérique utile aux enseignants ? Jacques-Olivier Martin fait partie des enseignants qui réfléchissent en lien avec une pratique réelle sur le terrain. Il enseigne le français au collège Leonard de Vinci à Saint-Brieuc, un des 23 « collèges connectés » et forme les enseignants dans l’académie de Rennes aux usages du numérique. Il occupe ainsi un poste privilégié pour éclairer les spécificités, les intérêts, les difficultés d’un enseignement réinventé par le numérique en général, par les tablettes en particulier. Plutôt qu'attendre "le grand soir numérique", il invite à se concentrer sur les apports pédagogiques du numérique au plus près du terrain.

 

Le président de la République a annoncé un vaste plan numérique basé sur la généralisation des tablettes dans un premier temps en 5ème. Quels points positifs y voyez-vous ?

 

Ce plan marque un effort, une volonté de faire avancer le numérique. Il y a un intérêt pour développer une filière productrice de contenus éducatifs numériques. Mais je suis sceptique sur la généralisation de la tablette pour chaque élève, ce qu'on appelle le "1 to 1". D'après mon expérience d'enseignant dans un collège connecté où nous avons 100 tablettes pour 600 élèves, ce n'est pas une bonne idée.

 

Pourquoi ?

 

Ce qui me vient tout de suite à l'idée ce sont les problèmes de maintenance que cela va générer. Quand on confie une tablette à chaque élève il faut s'attendre à de la casse, des problème logiciels. Ça se répercute en classe avec des élèves qui n'ont plus d'outil de travail. Pour le moment on ne sait pas comment la maintenance sera effectuée. A coup sûr, il faudra embaucher de la main d’œuvre... Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est dans les contenus des tablettes. Je crains que les contenus installés d'office sur les tablettes brident l'expérimentation.

 

Comment cela ?

 

On va installer sur les tablettes des manuels numériques et cela va pousser les enseignants à "faire" du manuel. Or je ne vois pas beaucoup de supériorité du manuel numérique sur le manuel papier. Certes il y a des séquences vidéo, des exercices. Je ne crois pas que le numérique apporte quelque chose de très intéressant quand il est utilisé comme le papier. C'est la même chose pour les exerciseurs. Où est la supériorité sur les exercices faits avec du papier ? On nous dit qu'ils permettent de différencier davantage les élèves par exemple parce qu'ils avancent à leur rythme. Mais c'est souvent parce qu'on se désintéresse de la correction. L'élève réussit l'exercice par répétition pas parce qu'il a  compris.  

 

Alors quels usages sont-ils efficaces ?

 

Le numérique peut aider les élèves à résoudre des situations complexes. Par exemple, pour un travail sur l'argumentation orale , en français, on peut demander à un groupe de 2 ou 4 élèves de construire une argumentation vidéo avec la tablette. Un groupe va se faire l'avocat d'une cause et apprendra à anticiper sur les remarques d'un groupe opposé. Avec la tablette il pourra réaliser quelque chose de qualité, une vidéo par exemple, rapidement au terme d'un vrai apprentissage de l'argumentation. Mais dans ce cas-là on n'a pas besoin d'une tablette par élève. Inversement la tablette en "1 to 1" va rendre plus urgente des évolutions de l’École.

 

Lesquelles ?

 

Je pense à l'éducation au numérique. Aujourd'hui 70% de mes collégiens ont un smartphone. L'école se satisfait du filtrage et ne veut pas voir quels usages les jeunes font d'internet hors du cadre scolaire. Le plan devrait mettre l'accent sur les usages des élèves. On ne les accompagne pas assez.  Il faudra bien leur donner une véritable formation. La généralisation des tablettes rendra cette position intenable. Il va bien falloir s'intéresser enfin aux usages des élèves et leur apprendre à utiliser Internet avec prudence.

 

Un plan numérique efficace devrait avoir quelles caractéristiques selon vous ?

 

Je suis convaincu de l'intérêt du numérique. Mais je ne crois effectivement pas au plan rigide qu'on n'arrivera pas à gérer. Le numérique ne répondra pas à toutes les difficultés pédagogiques.  La bonne démarche ce serait de soutenir les projets des équipes pédagogiques de terrain. Et ainsi de permettre une diffusion par capillarité de pratiques qui utilisent vraiment les apports du numérique. Le plan Hollande est trop pyramidal.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Des couteaux suisses dans un collège breton

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 10 novembre 2014.

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