Les bacheliers méritants ont-ils toujours ce qu’ils méritent ? Pas sûr. Régulièrement la secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur Geneviève Fioraso se vante d’avoir mis dans sa loi un dispositif relançant l’ascenseur social, qui fait obligation à tous les lycées de France de proposer une place dans une formation sélective, de type prépas, aux 10% de ses meilleurs bacheliers. La ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem envisage elle-même un déplacement sur le thème des bacheliers méritants. C’est qu’il reste du boulot… La preuve avec ce reportage.
Guillaume Dahan est un jeune ingénieur informaticien à Cap Gemini. Originaire de Paris, il est venu s’installer à Nantes, avec sa femme, pour la qualité de vie. Lorsque l’association Passeport Avenir est venue à Cap Gemini exposer son action auprès des jeunes issus de milieux défavorisés et recruter des tuteurs, il s’est aussitôt proposé. «J’ai besoin de faire des choses qui ont un peu de sens, explique-t-il, je suis issu d'un milieu favorisé, à mon tour d’aider des jeunes qui se posent des questions et qui ne sont guère aidés».
Lutter contre le manque d'ambition...
Passeport Avenir, créé en 2005, mobilise des entreprises pour booster les ambitions des jeunes de milieux modestes qui souvent s’autocensurent, et n’osent se lancer dans des formations ambitieuses alors qu’ils en auraient les capacités. Mais faute de parents pour les encourager et de modèles dans leurs familles, ils sont persuadés que ce n’est pas pour eux. A terme, il s’agit pour Passeport Avenir de «former des leaders différents». L’association compte aujourd’hui 1200 tuteurs dans toute la France.
Guillaume Dahan garde toujours le contact avec le jeune de BTS qu’il a suivi l’an dernier. Un étudiant de deuxième année de BTS (brevet de technicien supérieur) Informatique à Cholet, non loin de Nantes, avec qui il a bien accroché. Lorsqu’il l’a rencontré pour la première fois, Pierre – par souci de discrétion, son tuteur préfère ne pas donner son nom – ne savait pas trop ce qu’il allait faire après son BTS. Il hésitait: arrêter là et se mettre à travailler ? Le secteur informatique recrute à tour de bras. Ou poursuivre les études ? Pierre avait repéré une petite école d’ingénieurs de quatre ans, qu’il aurait pu intégrer en troisième année mais qui ne délivre pas de diplôme reconnu. Il la jugeait à sa portée. Elle avait en plus l’avantage de ne pas être loin de chez lui.
Lors de leurs contacts, par mail ou par téléphone, Guillaume a essayé d’en savoir plus sur ce qu’il voulait faire – notamment s’il avait envie de continuer dans l’informatique -, mais aussi pourquoi il était si modeste dans ses prétentions. Un jour, il l’a interrogé sur son bac. Et là il a découvert qu’il avait décroché le bac S avec 16 et demi - la mention Très bien. Et qu’en BTS, il avait 17 de moyenne. Avec de telles notes, il pouvait prétendre à de bien meilleures écoles que celle qu’il avait repérée. Guillaume lui en a parlé. Mais Pierre craignait que ce soit trop difficile pour lui. En plus, il redoutait de devoir partir à l’étranger durant le cursus.
Ou agir dès le primaire ?
Toutes les études le montrent. Les jeunes de milieu modeste préfèrent souvent poursuivre leurs études près de chez eux. Pour des raisons d’économie mais aussi par manque de confiance, parce que cela paraît plus rassurant. Tout au long de l’année, tous deux ont beaucoup discuté. Guillaume a vanté le métier d’ingénieur dans l’informatique – «un confort de vie, un salaire assez élevé, de l’emploi, des responsabilités pas trop stressantes» -, mais aussi l’intérêt d’avoir un diplôme reconnu: «on fait pratiquement le même travail que lorsqu’on sort d’une école sans diplôme visé, mais on démarre avec 500 euros de plus chaque mois». Finalement Pierre a revu ses ambitions à la hausse. Mais pas autant qu’il aurait pu. En accord avec ses parents, il a opté pour une école d’ingénieurs reconnue en cinq ans, de niveau moyen et privée. Et il a emprunté pour payer les frais de scolarité. L’école a noué un partenariat avec le lycée où il faisait son BTS. Un élément qui le rassurait.
Cette année, Guillaume Dahan suit un nouveau jeune, toujours en BTS Informatique mais à Nantes. «Cette fois c’est un tout fou, il veut faire 10 000 choses, n’est pas sûr de vouloir travailler dans l’informatique car il a peur de ne pas tenir toute la journée assis devant un écran. Il a fait deux stages malheureux où il s’est retrouvé sans personne pour s’occuper de lui». Guillaume va bientôt lui faire visiter les locaux de Cap Gemini pour qu’il voit un open space, des gens qui se parlent, etc.
En conseillant ces jeunes sur leur orientation et en les poussant, Guillaume a «l’impression de contribuer un peu à surmonter les déterminismes sociaux». Mais de tels dispositifs peuvent-ils changer les choses sur le fond ? Un jour, il a demandé au représentant de Passeport Avenir si l’on n’intervenait pas un peu tard, s’il ne fallait pas mieux pas agir dès la troisième par exemple pour corriger les inégalités. «Il y a des associations qui agissent à tous les niveaux, lui a-t-on répondu, il faut choisir sa cible». Avec la Refondation de l’école, le gouvernement PS a jugé, lui, qu’il fallait agir dès le primaire et a promis de mettre le paquet dessus. Encore deux ans pour en voir les premiers effets.
Véronique Soulé
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Laïcité : Lettre persane