La réforme de l'Ecole et le pouvoir enseignant 

"Les autorités éducatives sont condamnées à rendre toute réforme pédagogique souhaitable aux yeux de la majorité des acteurs concernés". En seulement 150 pages, Vincent Dupriez renouvelle la question de la réforme de l'Ecole en l'abordant sous un angle nouveau et prometteur, celui de son organisation. Alors qu'en France les invitations à changer se multiplient, qu'il s'agisse de l'évaluation, du redoublement, des contenus et programmes, son petit livre s'avère un vrai manuel, lisible, didactique pour tout candidat au changement de l'Ecole.

 

De nombreuses études ont été consacrées récemment à la réforme de l'Ecole. On se souvient des travaux de l'OCDE, du livre de Claude Lessard et Anylène Carpentier, des réflexions d'Alain Boissinot, du colloque de l'AFAE pour ne prendre que des ouvrages récents. Professeur à l'université de  Louvain, Vincent Dupriez analyse les réformes et leurs effets de façon très concrète, au niveau de la classe. Il nous installe ainsi dans un va et vient entre les théories du changement en éducation et la réalité observée sur le terrain. Cette position lui permet de démonter les idées à la mode en matière d'éducation. Ainsi l'idée de l'autonomie des établissements comme levier automatique du changement. Ou celle des super profs seuls capables de relever les écoles. Vincent Dupriez rappelle que l'école est une organisation et qu'il faut traiter la question du changement en tenant compte de la réalité de la place qu'y tiennent les enseignants.

 

Quand on pense au changement en éducation deux idées reviennent parce qu'elles se sont imposées récemment ; l'autonomie des établissements et la formation des enseignants. L'autonomie des établissements est-elle en soi un levier pour améliorer l'Ecole ?

 

 Il faut d'abord remarquer que la situation des établissements ets très variable d'un pays à l'autre. Mais de nombreuses recherches ont été faites dans le monde pour évaluer dans quelle mesure plus d'autonomie des établissements amène une meilleure qualité ou de meilleurs résultats. Le plus souvent la réponse est négative. Ca ne va pas de soi. Ce n'est pas parce qu'on donne plus d'autonomie aux établissements que cela va mieux. L'explication majeure c'ets que donner plus d'autonomie aux écoles est un défi. Rien ne garantit que l'accroissement de l'autonomie se transforme en pratiques pédagogiques de meilleure qualité. S'il y a plus d'autonomie il faut se demander ce qui est fait pour soutenir les enseignants.

 

On peut prendre l'exemple belge francophone. On a un important secteur privé qui a une grande autonomie et une identité pédagogique installée. Les études montrent que même dans ces écoles il est difficile d'obtenir un vrai travail pédagogique d'équipe. Il y a un discours favorable à ces thèmes. Mais quand on gratte on s'aperçoit que le travail collectif se réduit à des discussions générales. Il ne porte pas sur des pratiques pédagogiques précises à développer en classe.

 

Un autre exemple : en Australie le chef d'établissement d'une école secondaire m'affirme que le travail en équipe des enseignants est réellement développé. J'ai compris pourquoi. Dans cette école tous les enseignants ont 4 heures de réunions pédagogiques ensemble chaque semaine. Deux heures entre professeurs de la même classe pour une sorte de conseil de classe hebdomadaire. Et deux heures où les enseignants s'inscrivent sur des thèmes comme améliorer el climat scolaire ou la didactique des sciences. Les enseignants oint aussi de vastes bureaux par famille disciplinaire, par exemple les langues vivantes ou les sciences, dans lequel chacun a son bureau personnel et partage des ressources pédagogiques : matériel, livres etc. Ainsi est organisé concrètement le travail collectif.

 

Penser au changement pédagogique ça passe aussi par des mesures organisationnelles dans la gestion du temps et de l'espace. Un système éducatif qui veut répondre aux défis actuels a besoin d'enseignants de haut niveau. Cela a des conséquences sur leur formation et leur salaire. Mais cela implique aussi un accord entre les enseignants et la société sur le fait que le temps de présence dans l'école doit être supérieur au temps devant élèves.

 

L'autre idée à la mode, venue des Etats-Unis, c'est qu'il suffirait de former de super profs pour changer l'Ecole. Qu'en pensez vous ?

On ne change l'Ecole qu'en agissant sur plusieurs leviers. Mais au regard de la complexité du travail éducatif et de la structure organisationnelle de l'Ecole où le professeur est seul face aux élèves, améliorer la qualité de l'école passe par la formation de enseignants. Je plaide pour une formation professionnalisante qui prépare réellement au métier , qui ne soit pas que théorique mais repose aussi sur des stages.  Cette formation doit continuer en formation continue dans l'accompagnement des nouveaux enseignants.

 

Mais pour savoir évaluer une situation pédagogique et différencier ses réponses l'enseignant doit aussi avoir de l'autonomie et du pouvoir.

 

N'y a -t-il pas une contradiction entre la nécessité de changer l'Ecole et celle du pouvoir enseignant ?

 

 Il y a  un paradoxe. Souvent les réformes correspondent aux seules volontés des décideurs. J'insiste sur le fait que la réforme doit se faire avec les enseignants. Cela demande de la modestie aux décideurs. Ils doivent accepter l'idée que l'appropriation par les enseignants de la réforme va la transformer. Ils doivent reconnaitre qu'il est légitime que les enseignants aient le pouvoir sur le contenu de leur travail et leurs pratiques. Or dans beaucoup d'établissements les enseignants n'ont le pouvoir que sur ce qui se fait dans la classe. Le pouvoir des enseignants doit être adossé à un pouvoir collectif de la profession enseignante comme il existe pour les médecins ou les avocats. Il y a là une faiblesse historique des enseignants. On voit bien qu'en France ou en Belgique quand on réforme on s'adresse aux experts pas aux enseignants. Il y a là une question clé pour les syndicats enseignants.

 

Propos recueillis par François Jarraud

Vincent Dupriez, Peut-on réformer l'école ? Approches organisationnelles et institutionnelles du changement pédagogique. De Boeck 2015. ISBN 978-2-8041-9046-0

 

Dossier : Comment changer l'Ecole

 

Par fjarraud , le mardi 10 février 2015.

Commentaires

  • Aerun, le 13/02/2015 à 11:02
    Les rapports de l'OCDE affirment que nous avons des enseignants plus expérimentés que la plupart des pays de l'OCDE, mais qu'ils sont moins bien payés. On déplore le fait qu'ils ne travaillent pas ensemble, mais ils n'ont, à part les conseils de classe, aucun temps de concertation, si ce n'est le temps qu'ils passent dans "la salle des profs". Peut être que si on ajustait les moyens autour de ces "équipes pédagogiques", le travail collectif se ferait peut être plus présent. Ajuster non dans le sens obliger les enseignants à se concerter, mais plus dans le sens où si on leur proposait de réels créneaux de concertation, "l'esprit d'équipe" serait peut être plus fort. Les mentalités auront du mal à évoluer, surtout si on reste sur une formation strictement disciplinaire. On veut des enseignements transversaux, un véritable "socle commun", mais je pense qu'il faudrait davantage axer la formation initiale des enseignants autour de cette idée de travail collectif (entre enseignants, mais aussi avec les autres membres de la communauté éducative) et d'instruction collective, plutôt qu'un simple "toi tu feras des maths, toi de l'histoire, mais attention il faudra que ce soit lier !" qui au final sonne et sonnera bien creux.
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