V. Soulé : Enseigner les valeurs républicaines en prison 

On a beaucoup parlé de la prison comme lieu d’endoctrinement des jeunes djihadistes. On n’a en revanche rien entendu sur la prison comme lieu d’éducation. Même Najat Vallaud-Belkacem, toujours prompte à vanter les actions de son ministère, n’en a pas soufflé mot. Rendons ici hommage à ces enseignants qui travaillent en détention, héros ignorés de la bataille pour les valeurs républicaines.

 

Nathalie de Spirt est professeure d’histoire-géo ainsi que d’éducation civique au centre scolaire – appelé Unité pédagogique régionale (UPR) - de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne, le plus grand centre pénitentiaire de France. Elle enseigne dix-huit heures par semaine, essentiellement dans des cursus professionnels – CAP (certificat d’aptitude professionnelle) et bac pro - et technologique, plus rarement dans la filière générale. La plupart des jeunes détenus sont d’origine immigrée et ont eu des parcours scolaires chaotiques. Elle intervient dans deux types de classes: avec des mineurs qui ne restent pas longtemps à Fleury-Mérogis, et avec des majeurs.

 

Malaise le 7 janvier...

 

Je l’avais rencontrée en janvier 2014, après qu’elle ait remporté avec ses élèves détenus le prix Annie et Charles Corrin récompensant un travail scolaire sur la Shoah, ex-aequo avec le lycée parisien Montaigne.... Avec sa classe, ils avaient réalisé un super abécédaire du sport sous le nazisme (lire ici). Nathalie de Spirt avait enseigné 18 ans dans des collèges avant de découvrir l’école en prison – «je m’y sens bien plus utile, une vraie mission».

 

L’enseignante se souvient encore très bien du malaise ressenti le 7 janvier dernier, jour des attentats contre Charlie, en quittant Fleury-Mérogis: « j’avais déjeunés au mess avec des collègues, j’avais cours juste après et je n’étais pas au courant du massacre. Mais mes élèves ne pouvaient pas ne pas savoir: ils passent leur temps devant la télé. Pourtant ils n’ont rien  dit, pas un mot, pas une allusion durant le cours. Alors que d’habitude ils commentent l’actualité». Plus tard, elle comprendra que c’est la méfiance qui les a fait se taire, méfiance entre eux et vis-à-vis d’elle. La semaine suivante, les profs recevront d’ailleurs la consigne de renforce leur vigilance devant des comportements suspects.

 

Le jeudi, elle n’a pas cours. Le vendredi 9 janvier, elle arrive «blindée» au centre scolaire. Elle connaît les détenus – les provocations qui fusent pendant les cours, la hargne contre  la France, les remarques antisémites, homophobes… En plus, c’est le jour de l’attaque contre le supermarché casher. Cette fois, un mineur lui demande si «elle est Charlie». Lui l’est mais pas trop – l’insulte au Prophète passe  mal. Elle répond qu’il en a bien le droit, rappelle ce qu’est la liberté d’expression. Mais elle préfère ne pas lancer la discussion. Trop de passions, trop de risques de dérapage. 

 

«Avec les majeurs, ce sera possible de discuter plus tard, avec du recul, mais avec les mineurs, c’est impossible, explique-t-elle, tout simplement parce qu’ils n’ont pas de vocabulaire, ils manquent de mots pour s’exprimer. Par exemple, j’ai constaté qu’ils ne savaient pas ce qu’était le terrorisme. Pas plus qu’une caricature. Lorsque je leur ai montré une caricature sexiste de femmes de la Belle Epoque, ils n’ont pas su dire ce que c’était. Il faut bien voir que beaucoup ne sont jamais sortis de leurs quartiers. Dans mes cours je m’applique à bien parler et ils se moquent un peu. Avec des collègues, on se disait que l’on pourrait utiliser des chansons de Renaud ou de Brassens, qui usent d’un langage populaire et  savent remarquablement manier les mots.»

 

Marquer des points...

 

Avant les attentats, l’enseignante avait prévu d’étudier la libération des camps, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de celle d’Auschwitz. Elle n’a rien changé à son programme – «on est là aussi pour les ouvrir sur le monde et parler de sujets qui dérangent». Comme chaque année, elle a fait venir Ida Grinspan, une survivante d’Auschwitz âgée de 88 ans, qui a décidé de témoigner tant que sa santé le lui permettrait. La rencontre a été «tendue», se souvient Nathalie de Spirt : «j’avais trois négationnistes dans le groupe. Ils ont été dérangés par le récit d’Ida. Ils ramenaient tout à eux : «c’est comme nous, on vous a injustement enfermée»… Là encore, la prof ne lâche rien et tente de démonter un à un les préjugés et autres bêtises. Si elle réussit à convaincre au moins un élève…

 

Tout cela peut paraître décourageant. Pas pour Nathalie de Spirt. Les moindres avancées – un élève qui accepte de discuter, un autre qui se ravise – sont ressenties comme une victoire. En novembre 2014, elle a marqué des points. A l’occasion du centenaire du début de la Première guerre mondiale, elle a organisé durant les vacances de la Toussaint un atelier avec  les mineurs: ils devaient dessiner leur monument aux morts et imaginer les phrases qu’ils y inscriraient. Ils ont choisi «A notre famille, A la France». Elle les a fait participer à la cérémonie du 11 novembre dans le gymnase. Et leur a appris la Marseillaise. «Ils ne voulaient pas au début. Je leur ai dit que c’était obligé car c’était le protocole. Ils ont été super sympas: 6 sur 9 étaient présents et l’ont chantée à la cérémonie. Je leur ai fait remettre un diplôme attestant qu’ils avaient participé à une Journée de la citoyenneté. Ils étaient fiers».

 

Une mission sacrée

 

Nathalie de Spirt a enchaîné sur un autre projet. Elle participe avec ses classes au Concours national de la Résistance. «Je vais mettre l’accent sur la libération des camps. Avec les mineurs on fera une sorte de jeu sur le mode «Qui est-ce ?», autour du destin de dix hommes et dix femmes – comme Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle Anthonioz (deux des quatre panthéonisés de mai, avec Pierre Brossolette et Jean Zay). » Huit mineurs se sont portés volontaires – les cours ne sont pas obligatoires en prison. «Je tiens particulièrement  à la  venue de deux d’entre eux, explique-t-elle,  l’un revient de Syrie. Il ne venait plus en cours depuis les événements et là il s’est inscrit». Une autre, durant un cours consacré aux traites négrières qui avait bifurqué sur Hitler, avait eu cette remarque : «moi je préfère Hitler. Au moins ils tuaient les gens tout de suite. Alors qu’avec l’esclavage, pour les noirs, c’était long». La prof avait répliqué, citant Toussaint Louverture, puis s’était expliqué à part avec lui.

 

Nathalie de Spirt rêve d’avoir davantage de moyens - «des tableaux numériques interactifs dans toutes les salles, la possibilité de montrer des vidéos et de faire des recherches sur internet pour enrichir les cours». Mais tout est très lourd en prison. Internet est interdit, et il faut télécharger les documents avant. L’an dernier, la prof a eu accès aux archives de l’INA. Mais il faut réitérer la demande chaque année.

 

Tout n’est pas si sombre. «La prison peut radicaliser, conclut-elle, mais elle peut aussi contribuer à dé-radicaliser grâce à l’enseignement». Certes, des élèves récidivistes reviennent. Mais il y a aussi des succès, comme l’an dernier où trois détenus ont décroché le bac à Fleury - «on était tous super contents !». Pour Nathalie de Spirt, enseigner en prison reste «une mission sacrée, plus que jamais».

 

Véronique Soulé

 

La chronique précédente : Louise et Léa

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 23 février 2015.

Commentaires

  • Bernard Girard, le 23/02/2015 à 12:07
    En quoi la Marseillaise a-t-elle sa place dans l'éducation des mineurs détenus ? Personnellement, je ne vois pas le rapport entre l'apprentissage de la vie en société ou la citoyenneté et la sacralisation de symboles éculés. C'est même plutôt le contraire. 
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