Rencontres du GFEN : Les enjeux aujourd'hui des pratiques d'écriture dans et hors l'école  

Michel Neumayer a pour expérience des ateliers d'écriture menés soit dans le cadre professionnel soit avec des adultes qui apprennent à écrire en alphabétisation. Stéphanie Fouquet intervient quant à elle dans le champ associatif par le biais d'un collectif qui organise des événements poétiques sur la ville de Melun ainsi qu'une expérience professionnelle dans le cadre de son travail en classes élémentaires.

 

Pour introduire leur propos Michel Neumayer évoque l'expo Boltanski qu'il a vue récemment et dans laquelle selon lui « les traces de l'humain se dissolvent, les visages s'estompent au fil des salles ». Fort impressionné de son ressenti à la sortie de cette expo, il propose aujourd'hui d'évoquer « l'exact contraire : le retour à l'humain par l'écriture et non la dissolution de l'humain. »

 

Stéphanie Fouquet et Michel Neumayer proposent donc d'éclairer leur public sur les apports des ateliers d'éducation nouvelles dans la conquête de l'écriture. Selon eux ces ateliers d'écriture « peuvent transformer le rapport à l'écriture. En interrogeant des pratiques de création, ils permettent de construire une posture de sujet écrivant. Pourquoi les pratiques de création dans l'écriture nous paraissent essentielles ? Quelles transformations laissent-elles paraître ? »

 

Au-delà de l'atelier d'écriture, les participants s'autorisent à investir des scènes, pour oraliser, mettre en scène les textes travaillés en atelier d'écriture. Et ce peut aller jusqu'au terme du processus d'écriture par la publication dans une revue. »

 

Nos intervenants proposent 4 enjeux qui déterminent la pratique de l'écriture :

 

Une écriture à inventer qui bouscule nos usages de la langue :

L'atelier délivre des désirs et permet de construire des considérations nouvelles, tous ces éléments sont essentiels de l'émancipation. Cela permet d'aller au-delà de ce qu'on pensait pouvoir faire. Pour point de départ il faut convenir d'une possibilité d'étonnement, au lieu d'avoir un regard qui accroche par le manque, il faut accueillir toutes les formulations, trouvailles, étrangetés... Cette force sera un tremplin, c'est ce qui permet d'oser construire des projets. L'étonnement est une force, il mobilise, donne du sens, pousse l'exigence et fait avancer.

 

Dans certains ateliers on écrit d'abord comme on parle, on écrit avec trois fois plus de surprises linguistiques et d'invention. L'enjeu sera de comprendre la notion de normes. C'est un travail d'écriture et de réécriture, en passant par l'excès on permet d'accéder à une norme qui nous rende lisibles. Ce sont des allers-retours, des mouvements de saturation / désaturation, pour acquérir la notion de normes. Et quelle norme apprend-on ? Si la métaphore peut se construire que gagne le sujet ?

 

Se rendre après coup de la force d'évocation qu'un texte peut avoir, même avec un texte produit un peu avec inadvertance. Le désir et les questionnements des autres peut engendrer à son tour le désir d'écrire. Les enfants sont dépassés par ce qu'ils écrivent, mais la distanciation par les pairs leur permet de prendre conscience de la consistance de ce qu'ils ont produit.

 

Une écriture à inventer qui bouscule notre rapport au savoir

L'une des forces de la poésie réside dans le fait qu'à partir d'un énoncé on peut tirer des représentations diverses. Et ce faisant on accède à la rencontre avec la multiplicité des êtres que nous sommes. Stéphanie Fouquet propose de « s'emparer des problématiques propres à certains auteurs, ceci nous permet de nous emparer de leurs œuvres. » Ou comment rencontrer l'universalité.

 

Une écriture qui étrange notre rapport aux apprentissages

1/ Toute écriture est d'abord une situation problèmes qui interroge la notion de production à l'école, si le but est de produire, que fait-on du processus ?

2/ Il n'y a pas d'écriture vraie sans problématique d'écriture à la clé : « On écrit pas en l'air, mais autour d'une question posée à la pensée humaine »

3/ De texte en texte un atelier avance par ruptures de nature conceptuelle... : On avance pas par ajouts successifs mais par des ruptures. Saturer, dé-saturer ce sont des ruptures. On améliore pas, on transforme pour que le texte mute.

 

4/ Du collectif naissent en chacun des savoirs-pouvoirs nouveaux : C'est toute la question du partage des textes, est-ce dire voilà ce que je pense ou entrer en négociation avec la pensée de l'autre pour construire ma propre pensée. On fait ici le parallèle avec le concept d'auto-socio-construction des savoirs propre au GFEN. « Après l'écriture, revenir dessus par le questionnement sur ce que j'ai fait, ce que je me suis autorisé ou pas à faire... C'est un acte d'émancipation : à partir du moment où je prends conscience que je n'ai pas osé telle chose, je m'ouvre ce nouvel espace d'écriture. »

 

5/ Tout atelier est un palimpseste. Et l'on renoue avec la question de la culture : « je suis toujours en train d'écrire un texte déjà écrit avant et contre lequel je me positionne. Écrire c'est apprendre à lire dans mes textes les amonts de mes textes, les ancêtres de mes textes. J'apprends à lire la distance, la proximité avec d'autres textes. »

 

Une écriture qui interroge la dichotomie entre atelier de création et démarche de construction de savoirs.

On peut interroger la posture d'enseignant grâce à la posture d'auteur :

- la place de l'écoute dans chacune des productions : toute erreur est une matière ouvrant sur de nouveaux possibles. Accueillir l’erreur comme possible, prendre ce qui est dérangeant, ce qui n'est pas stable.

- la consigne, ou contrainte, ou même induction d'écriture est aussi éprouvée par l'enseignant, qui se mouille avec les élèves. Donner, mais vivre aussi la consigne. Prendre les mêmes risques. Avec des enfants en difficulté, on peut arriver à un changement de regard de l'enfant quand il voit l'adulte en difficulté. Et aux enfants ensuite la possibilité de se saisir du matériau produit.

- Observer dans les textes les marques de l'implication du sujet, et l'évolution de celle-ci à travers les phases de réécriture, les phases de socialisation. « Chercher ce qui est en germe, ce qui va pouvoir se développer comme disait Bucheton. Ne pas juste voir tout ce qui ne va pas, c'est difficile de trouver les perles, mais faire le pari qu'il y en a et aider les enfants à les trouver. »

- Permettre l'implication de chacun en favorisant la posture critique, constitutive du processus d'écriture. Posture qui se construit dès le premier atelier par la prise de conscience d'une distanciation nécessaire lors des bilans d'atelier. Prendre conscience de la richesse, faire des liens avec des textes poétiques existants.

 

Cette écriture évoquée par les deux intervenants, en revenant à Boltanski, « permet de se réinstaller en tant qu'humain. La culture nous réinstalle dans l'histoire, dans le rapport à l'autre, nous permet de vivre. C'est l'écriture qui tisse des liens »

 

Lucie Gillet

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 15 avril 2015.

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