Rencontres du GFEN : B. Devanne : Apprendre à lire en écrivant 

A l'occasion des 8èmes Rencontres du GFEN , le 11 avril, Bernard Devanne revient sur les inégalités d'accès à l'écrit. Comment travailler avec les mêmes enjeux d'apprentissages pour tous les élèves ? Il y a dans certaines familles, les « héritiers » selon Bourdieu, une question centrale : la transmission culturelle.  Pour lui c'est donc la mission de l'école, « dès l'école maternelle d'organiser des médiations du même ordre que celles mises en place dans les familles à l'aise avec les codes de lecture et d'écriture. Travailler la Culture de la langue écrite. ».

 

Donner de la place au livre

 

Tout au long de son propos, Bernard Devanne montrera qu'il s'agit bien de constituer un environnement riche et de proposer aux élèves une fréquentation exigeante par sa qualité d'oeuvres d'art diverses (écoute musicale de grands standards de jazz, tel Billie Holiday, peintures, poésie...) qui vont nourrir le terreau créatif des élèves. On ne crée pas à partir de rien, on réinjecte ce qui nous a touché ici où là dans ses créations, ses productions écrites. Devanne pourrait ici faire sienne la fameuse phrase de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Bernard Devanne invite donc à « enraciner dans une culture vivante, interactive, quotidienne pour tous les enfants » les pratiques d'écriture. Mais lucide il ponctue « On se donne du temps pour faire ça. La construction de cet environnement culturel suppose d'y consacrer du temps et de l'espace. Donner par exemple de la place au livre pour que les élèves puissent s'en emparer. Du temps consacré et un espace appelé à vivre...Faire vivre ça veut dire mettre en place des situations qui vont questionner les élèves. » B.Devanne préfère parler « d'espace livres » que de « coin livres », il propose en exemple pour illustrer son propos : « Découvrir un livre ouvert à une double page et proposer aux élèves de mettre en rapport les livres qui peuvent aller avec cette double-page. C'est un dispositif qui permet la mise en place d'un discours argumentatif : je suis d'accord, je ne le suis pas. Et comprendre, c'est créer des liens. »

 

Il s'inscrit en faux sur la conception erronée de « réseau » : « J'ai beaucoup vu écrit « réseau » au singulier depuis 10 ans », ce n'est de la pensée en réseaux, c'est juste compiler « un groupement de textes » (par exemple « travailler sur » les sorcières). Or les « réseaux » c'est « ce qui se passe dans la tête d'un enfant au niveau des liens qu'il crée ...c'est forcément du pluriel qui se joue. On parlait ce matin de complexité, on est en plein dans la création d'un objet complexe. Travailler à une pensée en réseaux, c'est élaborer un raisonnement collectif. »

 

Apprendre à lire en écrivant

 

Le jeune enfant apprend à parler et puis plus tard il « apprend à lire », et se joue une rupture épistémologique. Bernard Devanne distingue : « Quand on vise l'apprenant qui est en train d'apprendre à parler, le sujet est producteur, il fait appel au langage. Quand il apprend à lire l'enfant est récepteur. Autant on envisage l'enfant en acte de production dans l'apprentissage de la langue orale, autant dans la lecture on envisage que la réception. » Or il y a deux versants à chaque apprentissage : « quand il parle l'enfant construit aussi« l'entendement », sa capacité à « entendre » sa représentation du langage, il construit les fonctions pragmatiques du langage « les mots pour le dire », c'est parce qu'il a besoin de la parole et de fonctions plus opératoires qu'il construit ses usages de la langue orale ». Dans l'autre apprentissage, « le pendant pour la lecture est « l'écrire », la mise en dynamique de l'apprentissage de la lecture. » Et précise Devanne, « Il faut que ce soit d'autant plus culturel que ce n'est pas naturel. »

 

Il convient donc de former à l'école des « sujets culturels » : Bernard Devanne le montre, « ce n'est pas que découvrir la culture écrite, c'est l'écoute musicale, les pratiques artistiques, la danse, la chorégraphie, la découverte du monde que l'on voudrait plus exigeantes. ». Devanne définit ce que sont pour lui des élèves « sujets de langue écrite », s'appuyant sur la projection de vidéos de classe il nous montre des enfants « sujets de désir », « le désir c'est l'envie d'aller vers des tables où il y a du papier et des crayons, ces élèves ont intégré cette présence de l'écriture. Ils produisent des écrits spontanés, et c'est le moment, où les parents commencent à dire « on ne peut plus leur enlever le crayon des mains » ». C'est très important et pour Devanne cela doit se produire avant la fin de l'école maternelle.

 

Le propos de Devanne est dense, illustré par de courts extraits vidéos, il propose à présent une « étude de cas », celle d'élèves de CE1, « ayant vécu les programmes Darcos, il n'ont jamais écrit », voici leurs premiers mois d'apprentissage (en REP+) où on leur propose des situations d'écritures à partir de structures répétitives. En début d'année, on leur fait découvrir beaucoup de comptines, puis on leur propose d'écrire à partir d'une structure (un poème de Corinne Albaut), à leur portée les élèves ont des imagiers pour les aider à compléter les propositions de leurs textes. « Comment donner du sens à une proposition de production de texte ? En mobilisant les pairs... Les autres élèves prennent la parole pour donner leurs techniques. Et puis, beaucoup de lectures en parallèle, des lectures magistrales, de fictions, de poèmes (des textes exigeants : Jean-Paul Siméon, Butor, Guillevic...), de documentaires (qui permettront de convoquer un lexique précis)... et « les écrits se transforment. ». « Il y a des appuis d'écriture, les interactions sont entre les élèves et les objets de lecture. C'est une mise en dynamique où les intervention des autres vont conduire l'élève à modifier sa production... »

 

Précis, Devanne est subtil, les albums proposés ne sont pas « prétextes à écriture, mais se dégustent et font cheminer. » et l'on peut proposer aux élèves de parfois « se saisir de la forme narrative, ainsi l'écriture poétique donne-t-elle accès aux lectures poétiques. L'écriture devient tremplin pour accéder à la lecture poétique ». Il s'agit de découvrir et structurer, grâce à la production de textes, des « horizons d'attente » complexes, en prise sur les objets de lecture, c'est apprendre à lire en écrivant. Refusant les évidences simplistes, Devanne tempête : « Évidement qu'écrire ça permet de se construire une meilleure maîtrise du code, mais au-delà ça donne accès à des horizons d'attente complexes en fonction des types de textes, chacun d'entre eux s'écrit à sa manière, chaque énoncé se conduit d'une façon particulière qui lui est propre »

 

 

Atelier Bernard Devanne, « Écrire depuis la maternelle, quelles situations d'écriture mettre en place ? Quelle progressivité ? Quels supports ? »

 

Devanne rappelle les ambitions pour l'école maternelle de la « refondation », avec pour preuve, la lettre de Peillon missionnant les rédacteurs proposant les nouveaux programmes. Mais avec leur parution récente, Devanne regrette que ceux-ci « demeurent loin du compte... », Christine Passerieux ponctue : « 69 lignes sur la phono, 7 sur la compréhension » et Bernard Devanne renchérit qu'en plus ces malheureuses lignes ne sont que concessions pour enfoncer le clou par ailleurs sur l'entrée dans le code. Devanne fait une allusion à Stanislas Dehaene, refusant une approche centrée uniquement sur la validation par les neurones d'une unique méthode de lecture « ba be bi bo bu »...

 

Il y a selon Devanne quelques idées à déconstruire quand on parle de la maternelle. La première serait que pour accéder à l'écrit, il faut d'abord maîtriser l'oral. « Ce n'est pas vrai, il y a des textes destinés à de très jeunes enfants, qui sont accessibles. L'entrée dans les livres n'attend pas la maîtrise de la langue orale. »

 

Pas de phono pour la phono

 

La deuxième idée à déconstruire : « Pour préparer le CP il faut procéder de façon intensive à la pratique de la phonologie. Devanne cite Fijalkow : « certains travaux montrent que la conscience phonologique aide à entrer dans la combinatoire, mais je connais autant de travaux qui montrent que l'entrée dans la combinatoire aide à comprendre la phonologie. » C'est réversible, circulaire. » Devanne est intraitable : « Quand on fait réfléchir des enfants sur des oppositions phono en/on, on torture certains enfants dont la langue maternelle n'est pas le français, distinguer ces oppositions dans certaines langues c'est impossible. Alors que quand on écrit des comptines en GS, qu'on les invente oralement, on observe des ressemblances, des récurrences graphiques. Le voir sous les yeux permet d'analyser, c'est du présent, on peut s'y référer, s'y reporter. En phonologie, il ne faut pas oublier que l'on travaille sur du passé (qu'est ce que vous venez d'entendre ?) ». Bernard Devanne réfute donc les pratiques de « phono pour la phono », il faut que les activités aient du sens, il milite pour « des  apprentissages culturels en situations ». Il met en garde aussi sur l'utilisation des travaux d'Emilia Ferreiro (et qui elle-même d'ailleurs aurait invité à cette vigilance et à ne pas forcément calquer ce qui ne peut l'être) : « Emilia Ferreiro travaille sur l'espagnol, langue fortement phonographique, un son a toujours quelque chose qui le code de la même manière, quand on voit une lettre, un même son lui correspond. C'est le même double mouvement. Ce n'est pas du tout le cas en français qui est purement orthographique et non phonographique. On ne peut pas savoir comment ça se dit tant que le sens n'est pas là... »

 

Alors, il faut avoir une pratique de la phonologie qui soit culturelle, inscrite dans les objets de langage, les jeux de langue, il cite Agnes Rosenthiel et son Alphabet fou ou le livre des syllabes sybillines, les virelangues... « Tous les objets de langue qui mettent la langue au travail dans sa dimension rythmique : la diction, c'est extrêmement important. »

 

Un apprentissage n'est jamais prématuré

 

Troisième idée à déconstruire : Pour ne pas creuser les écarts, il faut surtout éviter tout « apprentissage prématuré ». Devanne indique qu'un apprentissage n'est jamais prématuré, « ce qui peut être prématuré c'est un acte d'enseignement ». Il faut créer les conditions de l'apprentissage. Et l'écrit ça doit être abordé très tôt, parce qu'il n'y a pas de moment prématuré pour acclimater les enfants à l'univers de l'écrit. »

 

Contre ces fausses évidences, Devanne invite à faire « une place à la calligraphie, à la plastique de l'écriture comme plastique du mouvement. Entre chorégraphie et calligraphie, il y a peu de différences : la belle écriture et la belle occupation de l'espace en chœur. Derrière l'écriture il y a un mouvement. » Devanne montre qu'écrire c'est aussi « apprendre à gérer les allers-retours entre problèmes d'écriture et prises de repères dans l'écriture », c'est aussi : « se poser, apprendre la patience et la persévérance. L'écriture c'est profondément « fixatif », et ça assagit les agités. »

 

Vivre l'expérience de la langue écrite

 

Devanne invite à dès le plus jeune âge vivre l'expérience de la langue écrite ; le plus tôt possible faire expérience de la production de textes. Une production de textes qui soit articulée à la construction d'une culture générale, la production de textes comme dynamique de l'exploration des codes.

 

Alors, dès le plus jeune âge, faire l'expérience de la langue écrite. Ça passe par quoi ? Par les réseaux, la pluralité de versions d'une même histoire et avec humour Devane assène : « Roule Galette n'est pas la lecture de la galette des rois...C'est un objet de réseaux à mettre en parallèle de Kolobok, du petit bonhomme de pain d'épices... comparer des livres et se dire c'est la même histoire... mais non , mais si.... » Ceci pour que les élèves accèdent à 'intelligence des textes narratifs : « comprendre, c'est créer des liens (sur tous les plans, notamment le dénouement d'un récit …) », et pour ce faire prendre appui sur la matérialité des objets linguistiques par exemple la fonction des ritournelles.

 

Devanne invite également à appuyer la lecture de documentaires sur une expérience dans le milieu, et pour ce faire quoi de plus simple que d'utiliser des supports vidéo : couper le son des commentaires, et voir in situ l'abeille butiner en gros plan...

 

Alors, le plus tôt possible, la production de textes : des énoncés répétitifs ancrés dans une pratique culturelle. Il s'agit de construire une complicité scripturale pour rendre possible « la sécurité scripturale ». On peut produire tout type de textes et ce faisant on catégorise, on compte...en s'appuyant sur imagiers, documentaires, on peut même créer des énoncés de problèmes liés à la découverte du monde et la zoologie. Devanne projette des exemples d'échanges de devinettes zoologiques entre classe voisines, pour ce faire les élèves se sont rendus compte de la pertinence à hiérarchiser les renseignements à donner pour que la recherche de la réponse soit efficiente.

Dans d'autres productions de d'autres types de textes, plus poétiques, la production servira de dynamique à l'exploration des codes de la langue écrite : « Repérer des rimes à l'oral, écrire des bouts rimés en s'appuyant sur des structures, inventer oralement des comptines et en écrire en s'appuyant sur des comptines connues... »

Et très vite il sera possible de faire comprendre aux jeunes enfants que « l'écrit c'est de l'orthographe ».

 

Lucie Gillet

 

N.B : pour mémoire ou pour prolonger on peut retrouver les travaux de suivis de classes de maternelle en production d'écrit dans ce dossier du café pédagogique.

 

 

Par fjarraud , le mercredi 15 avril 2015.

Commentaires

  • delacour, le 15/04/2015 à 10:39

    Je partage totalement les propositions de B. Devanne, et pour ceux qui, en CP, voudraient permettre aux enfants d’écrire pour apprendre à lire, je conseille le site :

     http://apprendre-a-lire.pagesperso-orange.fr/

      Une remarque complémentaire confirmant les difficultés phonographiques : l’enfant écrit bien ce qu’il s’entend dire, donc il code le phonème qu’il s’entend prononcer, même s’il est loin de celui que prononce le copain ou le maître. L’écriture permet d’éliminer la difficulté phonétique, l’enfant ne peut coder que ce qu’il prononce. De même pour le sens. Si l’enfant écrit du sens, il retrouvera le sens, son sens à lui.

    Le sens qu’on écrit est à dimension personnelle, même si une bonne partie de son « spectre » doit être collective pour que la communication soit possible.

    On voit qu’on est loin des dictées de syllabes, ou des lectures de non-mots et de syllabes ! Et à des années lumières du son des lettres !

     

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