Rencontres du GFEN : Ecrire, c'est bien prioritaire 

Doit-on se résigner à ce que l'écrit soit l'instrument de la discrimination sociale à l'Ecole ? Les 8èmes Rencontres du GFEN, à Saint-Denis le 11 avril, ont tenté d'annuler cette malédiction en réfléchissant sur l'apprentissage de l'écriture à l'Ecole. Car, comme l'a remarqué D. Bucheton, si l'oral est un apprentissage en famille, l'écrit est bien l'affaire de l'école et sa maitrise est un bon prédicteur de la réussite scolaire. La grande force de ces Rencontres c'est que près de 300 enseignants échangent idées et projets en bénéficiant de la réflexion de chercheurs comme D Bucheton, B Devanne et de formateurs comme B Hautin. Alors que les nouveaux programmes de l'école demandent aux enseignants de nouvelles approches et de nouvelles connaissances didactiques, les Rencontre du GFEN ont été à la hauteur des enjeux : assurer la maitrise de l'écrit à tous les élèves.

 

Jacques Bernardin : Apologie du brouillon

 

Jacques Bernardin, président du GFEN, prend le micro pour présenter les enjeux de cette journée centrée sur l'écriture comme éducation prioritaire : « si les évaluations ne cessent de pointer la faiblesse des compétences de trop d'élèves, il faut dépasser le constat et trouver ce qui fait obstacle pour les élèves ». Les questions de rapport au savoir sont intrinsèquement liées à celle du rapport entre culture orale et culture écrite. Qui se prépare à l'écriture se prépare à rejoindre le camp de ceux qui exercent leur pouvoir d'agir sur le monde. « La maîtrise de l'écriture est un moyen majeur d'exercer sa citoyenneté. » Alors, quels sont les points aveugles du côté des élèves, des éducateurs ? Il brosse un rapide état des lieux en s’appuyant sur point de vue de professeurs de collèges, lycées généraux et professionnels rencontrés récemment.  Ces derniers relèvent parmi les problèmes « comprendre la consigne » ; « dépasser l'appréhension, la peur d'écrire » ; « on se retrouve toujours avec un bloc sans segmentation. Ils ne se relisent pas. Le problème c'est de faire réécrire (pour eux, après le premier jet, c'est terminé) » ; «  faire des phrases construites, correctes » ; « comprendre les codes, les attendus (différents selon les matières ) ; « sortir de la parole de l'autre »... Leurs élèves notent-ils ont une tendance fréquente à « écrire comme ils parlent », ils sont dans l'illusion d'une transparence entre l'illustré et le compréhensible, n'ont pas de perception des contraintes inhérentes à l'écrit. » Le lecteur ne fait pas partie de leur univers de référence aussi les élèves ne s'en préoccupent pas.

 

Jacques Bernardin s'interroge : « Quelle vision ont développé ces élèves de l'écriture ? » Se référant à une enquête menée auprès d'une centaine d'élèves de 6èmes il commente les réponses à la question « le brouillon est-il utile ? » Pour eux le brouillon sert essentiellement « pour mettre au propre » ou amender les fautes d'orthographe, 87 % des élèves sont sur ce but, 13 % seulement disent que le brouillon est un espace d'élaboration qui permet de composer sur le fonds. Pour la majorité de ces élèves, « bien écrire c'est avoir une belle écriture, former correctement ses lettres, ne pas faire de fautes d'orthographe ». Or, selon les mots de Jacques Goody, anthropologue, « l'écriture permet la rumination constructive propice à l'examen critique ».

 

Alors, comment expliquer ce rendez-vous raté ? Il convient de revenir en amont : serait-ce un effet des pratiques scolaires ? Les rapports et recherches disent, en particulier le rapport de l'IGEN de 2013, au cycle 2 « les récits de vie sont peu sollicités », « les productions individuelles ne font l'objet de reprise », au cycle 3 : « pas d'enseignement explicite ni programmation de l’enseignement de l'écriture », « les élèves restent seuls pour produire, avec quasiment jamais de phase pré-rédactionnelle » et « un travail non guidé souvent réduit au premier jet » » Au total, ce que vivent les élèves c'est la prévalence de pratiques scolaro-centrées, sans écho aux pratiques sociales de références et peu de réelles situations de productions. On regrette la trop faible place accordée à l'écriture hors de la fonction de contrôle, notamment qu'il y ait « peu d'écrits personnels ou d'écrits de synthèse ».

Citant les propos d'une élève, explicites : « On m'a beaucoup corrigé mais on ne m'a jamais répondu » ...

 

 

Dominique Bucheton : Refonder l'enseignement de l'écriture

 

Plongée au cœur des classes avec la projection de deux courts extraits vidéos de situations de productions d'écrits en classes, l'une en CP, l'autre au collège. Dominique Bucheton ambitionne de « montrer que oui c'est possible de faire des choses intéressantes, passionnantes ». « Le commun de ces vidéos, c'est en premier lieu l'atmosphère bienveillante, joyeuse qui s'en dégage, et le grand engagement de la part des élèves... et des enseignantes ! Celles-ci peuvent être fatiguées à l'issue de leurs séances : elles sont en posture d'attention extrême à ce que les enfants disent, à les reprendre, leur aide est individualisée dans le collectif, elles ont des gestes professionnels d'accompagnement de l'écriture. Leur posture d'accompagnement est d'une très grande proximité. »

 

Dominique Bucheton revient sur ce qui lui tient à cœur, « l'importance des gestes de tissage : l'enseignante de CP fait des liens avec ce qui a été fait la veille, ce qui est affiché au tableau, et même repris par les élèves eux-mêmes. Ce sont des gestes sociaux d'apprentissage dans des groupes hétérogènes, parce qu'apprendre se vit dans le collectif, avec et aussi contre les autres. Les enseignants sont extrêmement au point sur les objets didactiques enseignés, leurs objets, leurs gestes didactiques et leurs gestes d'études sont très ciblés et maîtrisés. Ces gestes portent sur le genre ou type d'écrit, les questions de phonie/graphie, la fonction du brouillon en CP ; les notions de points de vue, de dialogue littéraire, de registre de langue, le geste de retour au texte pour les 3ème pour faire entrer les élèves dans la lecture par l'écriture. Car il s'agit bien « d'écrire pour faire l'expérience de l'écriture et pas seulement pour apprendre règles et normes ». C'est vivre l'écriture en se rapprochant de l'histoire de celle-ci, en vivant son aventure d'un point de vue anthropologique. Le statut de l'erreur dès l'entrée dans l'activité est évident, on va nécessairement reprendre son écrit. « C'est en faisant l'expérience de l'écriture, qu'on leur fait comprendre qu'est-ce qu'est l'écriture, c'est à dire : se poser des questions, résoudre des problèmes. »

 

L'écriture, facteur premier de la discrimination scolaire à l'école, est-ce une fatalité ? Dominique Bucheton ne tergiverse pas, si l'oral se conquiert en famille, l'écriture c'est l'affaire de l'école, ce sur quoi on a du pouvoir d'agir en tant qu'enseignant. Or, c'est un fabuleux pouvoir à partager, que l'écriture. Mais pour ce faire il conviendrait de « changer le rapport des profs et des élèves à l'écriture », et « d'ouvrir la palette des postures d'écriture des élèves, qu'ils passent des postures premières, affectives et « scolaires » aux postures réflexives, ludiques, créatives... réfléchies ».

 

Pourquoi ont-ils si peur de l'écriture ? Ils... « Les enseignants, terrifiés !, les élèves...terrifiés aussi et les corps d'inspection...terrifiés encore ! » Dominique Bucheton invite à observer le travail sur les brouillons, or les élèves n'en ont plus dans les classes. Les indicateurs sont au rouge avec cette disparition des cahiers de brouillons ou cahiers de travail. Les programmes de 2008 ont particulièrement porté le coup de grâce : « On formalise beaucoup d'exercices de langage, mais peu de situation d'écriture ». Elle déplore les inégalités entre écoles et enseignants selon les contextes et lieux de vie, les écarts qui se produisent. « Au collège il n'y a plus de brouillon... » Sans concession, Dominique Bucheton déplore le flou de la notion de compétences langagières dans le socle commun (la disparition du rôle de l'enseignant de français dans les exemples du projet ministère pour le collège). De l’inexistence de la formation sur l'écriture, à l'université, dans les ESPE et en formation continue elle qualifie « terres vierges ! ». « Il ne faut pas s'étonner que les enseignants ne savent pas enseigner l'écriture alors que les travaux qui existent depuis 50 ans n'ont pas circulé dans l’Éducation Nationale. » Elle constate amèrement « une perte complète de repères didactiques ! La fin des modèles ! », « un très faible niveau d'exigences institutionnelles... les enseignants ne sont pas du tout formés. » Pourtant il ne s'agirait que d'utiliser des ressources déjà disponibles, il s'agit d'un travail de formation considérable à mener. »

 

L'écriture instrument n°1 du travail à l'école, oui mais à condition d'accomplir une révolution professionnelle  : cela demande que l'élève parle, discute, dialogue, lit, écrit seul et avec ses pairs pour penser, apprendre et se construire, vivre ensemble. Ce qui suppose que les enseignants se taisent, soit une révolution culturelle (dans les vidéos de classe présenté, il y a du bruit dans la classe mais un bruit feutré). Il y a besoin d'accompagnement pour les professionnels, la formation doit être modélisée enjoint D. Bucheton. Nécessité aussi d'apporter une formation approfondie aux enseignants sur les questions langagières...

 

Écrire, c'est une résolution très complexe de problèmes multiples, ce qui veut dire que ça s'enseigne, ce n'est pas spontané, ça s'accompagne. Cela sous-entend de porter un regard non normatif sur les productions des enfants, « de rechercher ce qui est en germe à développer » et non pas de partir du principe que l'enfant est en manque, il convient de prendre ce qui existe et de le travailler. Projetant un schéma qui modélise les dimensions du sujet écrivant, Dominique Bucheton revient sur la problématique du destinataire à prendre en compte. Dans chaque situation d'écriture, qui est un problème complexe où se font jour des intentions, il s'agit bien de « comprendre qu'on écrit avec des calculs de recevabilité (prenant exemple du difficile exercice de la rédaction du faire-part de décès, ou du petit mot à la femme de ménage). Ce n'est pas étonnant que l'écriture a mis des milliers d'années à se construire et bouge encore par la mise en place de nouvelles normes. »

 

L'écriture est un sujet éminemment complexe dans son enseignement de par entre autres l'extrême variabilité de la langue écrite que Dominique Bucheton qualifie humoristiquement « le monde de « barbapapa » ». Elle rappelle le polymorphisme de la langue écrite et son stupéfiant pouvoir de variation, selon les contextes, les disciplines, les « mondes », genres, etc. lexique, syntaxe, énonciation (« je » n'a pas la même valeur), genre de discours, mise en page , formes de l'implicite, stéréotypes, tons, l'avancée du travail, les places et rôles des destinataires, etc.

 

« Qui enseigne cela ? Où ? Quand, comment ? » interroge D. Bucheton : « On nous parle de compétences, mais c'est « barbapapa » ? Qu'est ce qu'on peut évaluer ? Ce que nous devons apprendre aux élèves, c'est à être capable de bouger sans arrêt dans la posture écrite. L'objectif de l'écriture c'est de ne pas avoir peur de la variation et de faire circuler des habiletés cognitives. Les élèves en réussite scolaire sont des élèves qui sont capables de postures différentes (première, scolaire, ludique, …) ils circulent et en circulant ont des modes d'écritures différents. L'écriture bouge et va épouser ces variations. » D. Bucheton milite pour réhabiliter les brouillons, « non pas sous forme de feuilles volantes, mais véritables cahiers de travail (je peux me relire, mes voisins, mon prof, mes parents aussi...) il faut que ce soit lisible et daté pour pouvoir être repris. Pour que l'élève puisse voir son propre parcours, l'évolution de son travail intellectuel. » Dominique Bucheton n'aime pas trop le mot « brouillon (c'est sale, ça se jette...), reste à trouver le bon terme : travail, essais... »

 

Pour Dominique Bucheton il y a développement conjoint du cognitif, du langagier, des processus subjectifs et identitaires, elle tient à montrer le rôle du temps, de la culture, de l'enseignement. « En prenant de la distance sur les choses on va chercher d'autres mots, d'autres formes textuelles, on se construit comme sujet écrivant. » Positive elle renchérit : « On sous-estime les talents des élèves, on sous utilise leurs compétences langagières, il faut prendre le temps de laisser émerger et de laisser se développer. Il faut du temps pour construire une histoire... entre temps, entre les différentes jets le professeur a lu d'autres textes, a fait cours, a enseigné de façon structurée, mais cet enseignement ne prend sens que parce que l'élève est investi dans un projet personnel d'écriture. L'enfant convoque du compliqué parce qu'il a du compliqué et intéressant à dire. Sinon ça ne vaut pas le coup. Il faut que l'enfant puisse s'engager dans l'écriture, y puisse trouver sa place. Pour pouvoir s'installer dans l'écriture, il faut pouvoir revenir sur ses écrits, et non pas sauter d'un type de texte à un autre. »

 

Dominique Bucheton entrevoit « des gestes professionnels et didactiques communs et spécifiques à refonder :

-des réservoirs oubliés de ressources, de talents à réveiller, reconnaître, valoriser, partager : que l'on trouve dans les revues professionnelles, didactiques ;

-faire écrire très tôt, souvent, et longuement (un espace pour s'impliquer) ;

-tisser lecture, écriture, oral par le biais des écrits et oraux intermédiaires (la culture) ;

-un accompagnement de proximité (changer les dispositifs et le rôle de l'enseignant), on écrit jamais classe entière, mais en demi-classe encore mieux en tiers de classe voire en atelier dirigé...Il y a ainsi plus d'interactions de chaque élève avec l'enseignant ;

-un retour structuré sur la langue mais en contexte ;

-tirer bénéfice de l'hétérogénéité, c'est positif. Tirer bénéfice des différences. »

 

En conclusion Dominique Bucheton nous invite: « Osez !, c'est aussi le terme du livre paru chez Retz en 2014 « Refonder l'enseignement de l'écriture » qui développe toutes ces questions.

 

Lucie Gillet

 

 

Par fjarraud , le mercredi 15 avril 2015.

Commentaires

  • delacour, le 15/04/2015 à 10:49

    Je partage totalement les propositions de B. Devanne, et pour ceux qui, en CP, voudraient permettre aux enfants d’écrire pour apprendre à lire, je conseille le site :

     http://apprendre-a-lire.pagesperso-orange.fr/

      Une remarque complémentaire confirmant les difficultés phonographiques : l’enfant écrit bien ce qu’il s’entend dire, donc il code le phonème qu’il s’entend prononcer, même s’il est loin de celui que prononce le copain ou le maître. L’écriture permet d’éliminer la difficulté phonétique, l’enfant ne peut coder que ce qu’il prononce. De même pour le sens. Si l’enfant écrit du sens, il retrouvera le sens, son sens à lui.

    Le sens qu’on écrit est à dimension personnelle, même si une bonne partie de son « spectre » doit être collective pour que la communication soit possible.

    On voit qu’on est loin des dictées de syllabes, ou des lectures de non-mots et de syllabes ! Et à des années lumières du son des lettres !

     

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